Vous trouverez ci-dessous un article paru sur le site de Momagri le 24/07/2017
Dans un récent entretien accordé à AgraPresse lors du premier congrès de la viticulture française, le Commissaire à l’Agriculture Phil Hogan est revenu sur les orientations de la filière viti-vinicole pour qualifier le vin d’une des « success stories » de la PAC. Dans la période de crise agricole actuelle, on ne saurait le contredire tant les autres exemples de réussite de la PAC ne sont pas légion. Pour autant, à regarder l’argumentaire du Commissaire, on ne peut que diverger sur les raisons qui ont conduit à ce succès, et ce d’autant plus que, à notre sens, c’est d’avoir été l’exception de la dérégulation de la PAC qui fonde le succès actuel de la filière viti-vinicole.
En premier lieu, Phil Hogan qualifie de « bonne opération » la réforme du secteur du vin de 2008 qui a permis de concentrer les soutiens publics sur la reconversion des vignobles et la promotion. Ce n’est pas faux, mais faut-il rappeler que cette réforme a surtout été marquée par le refus du secteur d’appliquer le découplage des aides et, ainsi, de ne pas rentrer dans la logique de versement de rentes à l’hectare aux effets pervers. A la place, ont été dotés des fonds gérés au niveau des Etats-membres et des interprofessions de chaque bassin, pour investir dans des outils de transformation et renforcer la gestion collective.
En second lieu, en qualifiant la distillation de crise de « mécanismes de marché désuets », le Commissaire semble oublier que s’ils sont nettement moins soutenus aujourd’hui, les outils de distillation ont, pour une grande part, conservé leur place au sein des bassins car l’éventualité d’avoir à les utiliser à nouveau existe toujours. Mais surtout, s’ils sont moins centraux dans la gestion de l’équilibre des volumes, c’est que les aides à l’arrachage et les aides à la reconversion des vignobles ont permis depuis au moins 30 ans de réorienter la production, qualitativement et quantitativement, vers les attentes des consommateurs. Tel l’adage « il vaut mieux se couper la main que le bras », c’est bien de clairvoyance collective et de volontarisme politique dont il s’agit, et non de laisser-faire le temps que l’offre s’ajuste d’elle-même.
Troisièmement, pour le Commissaire, « la probabilité d’un déséquilibre majeur du marché est relativement faible et le restera aussi longtemps que le régime actuel d’autorisation de plantation ne changera pas ». On ne peut voir ici qu’un signal positif sur l’avenir du dernier régime de maitrise de l’offre au niveau communautaire, les autres ayant été supprimés avec les conséquences que l’on connait. Pour autant, il faudra rappeler la bataille qu’a conduit le secteur, avec en première ligne l’Assemblée Européenne des Régions Viticoles (AREV), pour que soit mis en place ce nouveau régime en lieu et place des droits de plantation dont la suppression était proposée par la Commission lors de la réforme lancée en 2010. Néanmoins, il faut rappeler que la régulation des volumes ne se limite pas au seul régime des autorisations de plantation qui doivent permettre une croissance annuelle de 1% des surfaces. Les principales productions en Appellation d’Origine Contrôlée sont régulées en surface et en rendement au sein de chaque interprofession, et il y a encore à faire pour que ces mécanismes de régulation efficaces ne soient plus la cible des ultra-libéraux.
Quatrièmement, le Commissaire fait le constat que les fonds mutuels et les assurances récoltes n’ont qu’une place très limitée dans les programmes nationaux. Ce constat d’échec à l’égard des fonds mutuels économiques est d’autant plus troublant que leur développement continue d’être prôné pour les autres filières au sein de la PAC sous le nom « d’instrument de stabilisation des revenus ».
Enfin, alors que les observatoires européens de marché se multiplient, Phil Hogan ne souhaite pas qu’une telle institution soit développée pour le vin. Il justifie son opposition par le fait que ces observatoires ont été créés pour « accompagner la libéralisation » et que le vin n’est pas une « matière première », au sens anglais de commodity, c’est-à-dire de production brute indifférenciée. Ayant en mémoire les images des wagons-citernes transportant du vin dans les années 1970, on serait tenté de répondre que le vin n’est plus une matière première, et ce grâce aux efforts et à la clairvoyance de professionnels et de pouvoirs publics qui ont réorienté une production de masse alors en crise.
Au final, oui, le vin est certainement l’une voire la « success story » de la PAC. Rien que pour la France, premier producteur agricole européen, la balance commerciale agro-alimentaire passe au rouge (-5.3 milliards d’euros en 2016) dès lors qu’on soustrait les 11,4 milliards d’excédents des vins et spiritueux. Ceci est d’autant plus remarquable quand on sait que les surfaces en vignes ne représentent que 2,5% des surfaces agricoles. Logique d’investissement plutôt que de rente, stratégie commune des acteurs et outils de régulation pour ajuster l’offre à la demande ont été les ingrédients pour sortir le vin d’une logique de commoditisation. Et s’il fallait trouver dans cette success story les solutions aux maux des autres filières européennes ?
Frédéric Courleux, Directeur des études d’Agriculture Stratégies