Mobilisant différentes bases de données de la FAO, la chercheure caractérise l’effort d’investissement privé comme public dans le secteur agricole. Globalement, une situation de sous-investissement dans l’agriculture resterait caractéristique de l’Afrique, même si les pays d’Afrique Australe et de l’Est se démarqueraient positivement. Les engagements pris par les Etats africains en 2003 à Maputo et renouvelés en 2014 à Malabo restent donc à atteindre.
Représentant 23% du PIB du continent et 55% des emplois, le sous-investissement dans les capacités productives agricoles explique en partie une dégradation du « taux de couverture des exportations des produits agricoles par leurs importations [qui] était de 102% en 1995 et est passé à 77% en 2015 ». On ne peut donc que partager la conclusion de Fatima Ezzahra Mengoub : « […] le potentiel agricole en Afrique est toujours sous exploité et présente des opportunités de développement énormes ».
Christopher Gaudoin, Chargé de veille et d’analyse pour Agriculture Stratégies
L’investissement agricole est une condition nécessaire pour développer et organiser le secteur agricole en Afrique. Le potentiel agricole Africain présente des opportunités à saisir en termes d’intensification de production et structuration des chaines des chaines de valeurs agricoles. Bien que diversifié (issu de plusieurs sources publiques, privées et étrangères), l’investissement agricole demeure faible. Le basculement vers une agriculture moderne et intensive doit nécessairement passer par l’élaboration d’une politique agricole globale qui prend en considération plusieurs volets (irrigation, utilisation des inputs et organisation des circuits) et aboutit à la fin à une production agricole suffisante capable d’assurer la sécurité alimentaire de la population et à un secteur agricole actif et bien intégré dans l’économie des pays africains.
I Introduction
Après avoir été longuement délaissée, l’agriculture a refait surface dans les débats mondiaux et occupe désormais le devant de la scène internationale du fait des nombreuses crises que connait le marché agricole. L’impact des changements climatiques sur la production, conjugué aux crises alimentaires qui ont marqué la dernière décennie, ont poussé les chefs d’Etats, les organisations internationales et la société civile à s’interroger sur les problèmes de productivité agricole et de sécurité alimentaire dans le globe.
Le rôle important de l’agriculture dans la croissance économique et le développement durable des nations n’est plus à démontrer. Les gains de productivité dans l’agriculture génèrent un surplus qui peut participer activement au développement des économies. Un secteur agricole organisé et performant permet d’avoir une production agricole importante et diversifiée, assure une accumulation de capital capable de transiter vers les autres secteurs et garantit un niveau de vie adéquat grâce à la stabilisation des prix des produits agricoles de base. Grâce à cette accumulation de richesse, l’investissement du surplus produit par l’agriculture dans les autres secteurs aboutit in fine à la création de nouvelles opportunités de travail, à l’augmentation des revenus et bien évidemment à l’augmentation de la demande. Investir dans l’agriculture s’avère donc une condition nécessaire au développement des pays.
En Afrique, le secteur agricole est au cœur des économies étatiques. Il contribue en effet à hauteur de 23% du PIB et constitue un réel réservoir d’emplois puisqu’il représente en moyenne 55% de la population active de ces pays (ILOSTAT, 2017). Contrairement à ce qui est couramment admis, la production agricole en Afrique a connu ces deux dernières décennies une augmentation significative aboutissant ainsi à une production trois fois plus importante qu’auparavant.1 Malgré cette augmentation, le continent africain continue d’être un importateur net de produits agricoles pour satisfaire les besoins alimentaires de base de sa population. D’ailleurs, on assiste même à une dégradation de la balance commerciale. En effet, le taux de couverture des exportations des produits agricoles par leurs importations était de 102% en 1995 et est passé à 77% en 2015. Les pays africains sont donc passés du statut de pays excédentaires en termes de produits agricoles à celui de pays déficitaires importateurs net des produits agricoles. Face à cette situation, devant l’augmentation des prix des denrées alimentaires et leur volatilité sur le marché international, auquel il faut ajouter les effets négatifs des accidents climatiques sur la production agricole, les Etats africains ne peuvent plus compter sur les importations pour nourrir leur population : ils doivent développer leur secteur agricole afin d’assurer la sécurité alimentaire de leurs populations et lutter contre la pauvreté.
Dans ces pays, la population est en majorité rurale, et l’agriculture est l’activité la plus importante, générant revenu et emploi pour les individus. Si on ajoute à cela le potentiel en ressources naturelles qui est très important et qui n’est pas totalement exploité, on comprend que les pays africains doivent nécessairement investir dans l’agriculture afin de réduire leur dépendance alimentaire vis-à-vis du marché international, assurer la sécurité alimentaire et garantir la création de plus de richesses en faisant de l’agriculture le moteur de croissance de leurs économies.
II. Qui investit ?
Les investisseurs qu’ils soient publics ou privés, nationaux ou étrangers, investissent dans l’agriculture pour accroitre la production, diversifier les produits, générer des profits et créer de la valeur ajoutée.
1. Investissement public
La fourniture des biens publics est une condition élémentaire pour encourager et accompagner les investissements privés. Les dépenses publiques consacrées au milieu rural doivent être suffisantes de façon à assurer des biens publics tels que l’éducation, l’infrastructure et la recherche. L’investissement public doit compléter l’investissement privé pour améliorer la productivité agricole et aboutir à des gains de productivité permettant l’augmentation de la production agricole, l’éradication de la famine, la hausse des revenus agricoles et la réduction de la pauvreté. Selon Fan et Saurkar (2006), les dépenses publiques consacrées à la recherche ont un impact plus fort sur la croissance économique et le développement agricole que celles destinées directement au secteur. En effet, la recherche scientifique permet d’acquérir un savoir-faire technique et technologique capable de se traduire au fil du temps par une amélioration de la production et des gains de productivité importants. De plus, les résultats de ces recherches vont au-delà d’un simple effet ponctuel sur la croissance et ont un effet multiplicateur sur l’ensemble de l’économie.
L’investissement dans l’éducation est considéré aussi comme un moyen efficace pour augmenter les gains de productivité agricole. En effet en instruisant la population rurale, la main d’œuvre agricole quitte le milieu rural et participe ainsi à l’amélioration de la productivité du travail. De plus, grâce à l’éducation et aux formations professionnelles, les travailleurs agricoles sont plus formés et aptes à pratiquer toutes les opérations agricoles de manière plus efficace et plus efficiente.
Quant aux infrastructures, plusieurs études ont montré l’importance des infrastructures rurales et des réseaux routiers comme moteur de croissance économique globale dans les zones rurales (Mogues, 2011). En effet, elles permettent de développer les chaînes de valeurs agricoles, d’assurer le stockage et le transport des denrées alimentaires, de s’approvisionner auprès des marchés des intrants et de faciliter l’accès aux marchés des produits. Compte tenu de la nature délicate des produits agricoles (produits périssables et difficilement stockables), l’électrification, les chaînes de froids, les routes, les bâtiments de stockages et les usines de transformation sont des éléments nécessaires pour le développement des chaînes de valeur en Afrique.
Conscients de l’importance de l’investissement public dans l’agriculture et en vue de concrétiser leur engagement envers le développement du secteur agricole, les Etats africains lors de la réunion de l’Union Africaine tenue à Maputo en 2003, ont décidé de porter la part des dépenses publiques allouées à l’agriculture à 10 % de leurs ressources budgétaires dans un délai de 5 ans. Cette décision vient appuyer la volonté des gouvernements africains de développer le secteur agricole en vue d’améliorer la productivité agricole, assurer la sécurité alimentaire et garantir une croissance économique durable et soutenue. A cette occasion, plusieurs déclarations et décisions ont été prises dans de nombreux sommets à savoir :
- La déclaration de Syrte de 2004 sur les défis de mise en œuvre d’une politique de développement intégré et durable de l’agriculture et des ressources en eau ;
- La décision de 2007 lors du sommet spécial d’Abuja sur les engrais ;
- La décision de 2007 d’Abuja sur la sécurité alimentaire en Afrique ;
- La déclaration de Syrte de 2009 sur l’investissement agricole pour la croissance économique et la sécurité alimentaire ;
- La déclaration de Malabo en 2014 sur la croissance et la transformation accélérée et de meilleures conditions de vie.
Lors de la dernière réunion, les chefs d’Etat ont insisté sur le réengagement des pays africains à améliorer le financement des investissements agricoles (en respectant les 10% des dépenses publiques), à soutenir la croissance agricole à hauteur d’au moins 6%, à créer des opportunités d’emploi pour au moins 30% des jeunes dans les chaînes de valeurs agricoles et bien sûr à valoriser la participation des femmes dans le marché du travail agricole. La figure suivante nous donne une idée sur les pays qui ont réussi à franchir la barre des dépenses en agriculture convenue par les chefs d’Etat de gouvernement de l’Union Africaine.
Figure 1 : Part des dépenses du secteur agricole dans les dépenses publiques totales en 2014
Selon la Figure 1, en 2014 seuls 4 pays africains ont franchi la barre des dépenses agricoles dans les dépenses publiques totales fixée par l’Union Africaine lors de la déclaration de Maputo. Ces pays sont : le Malawi (23%), le Mozambique (18%), le Niger (12%) et le Zimbabwe (10%).
D’autre part, neuf pays en Afrique ont vu leur part des dépenses agricoles publiques dans les dépenses totales se situer entre 5% et 10%. Pour certains, selon les données historiques, on remarque même une baisse de la part des dépenses agricoles dans les dépenses publiques totales. C’est le cas pour le Burkina Faso, où la part des dépenses publiques allouées au milieu rural est passée de 31% en 1991 à 9% en 2014. Cette remarque peut être généralisée sur l’ensemble des pays africains qui avant la déclaration de Maputo allouaient des parts de budget bien plus importantes à l’agriculture à partir des budgets publics. Enfin dans 14 pays en Afrique, la part des ressources publiques allouée à l’agriculture est inférieure à 5%. Il s’agit notamment de la Tanzanie (4%), de l’Egypte (2%) et de l’Angola (1 %).
Figure 2 : Indice d’orientation agricole (dépenses publiques) en 2014
La part des dépenses allouées à l’agriculture est un indicateur biaisé qui ne permet pas de refléter l’importance de l’agriculture ainsi les efforts publics fournis en termes de développement agricole. L’indice d’orientation agricole est en effet un indicateur qui se calcule à travers le ratio de la part des dépenses publiques allouées à l’agriculture sur la contribution de l’agriculture au PIB.
L’indice d’orientation agricole des dépenses publiques indique qu’en Afrique les montants publics alloués à l’agriculture sont inférieurs à la contribution du secteur agricole au PIB des pays étudiés.
Seul le Botswana a un indice supérieur à 1, ce qui indique que dans ce pays, les fonds publics alloués au monde rural sont supérieurs aux richesses crées par le secteur
Dans des pays comme l’Ile Maurice, l’Afrique du Sud, le Swaziland et la Tunisie, la volonté gouvernementale place l’agriculture au centre des stratégies de développement économique. Ces pays ont un indice d’orientation agricole qui varie entre 0,9 et 0,6. Contrairement à ce groupe de pays, le Libéria, le Maroc et le Togo affichent l’indice le plus faible en Afrique qui est de l’ordre de 0,01. Les efforts fournis par les gouvernements africains demeurent donc majoritairement faibles.
2. Investissement privé
Le but ultime de tout investissement étant l’amélioration de la productivité afin d’obtenir un maximum de profit, les opérateurs privés dans le secteur agricole investissent pour acquérir des biens matériels ou immatériels nouveaux et plus performants qui remplaceront les biens obsolètes et augmenteront ainsi la productivité. Comme pour l’investissement public, les agents du secteur privé (agriculteurs, coopératives ou entreprises) peuvent investir directement dans le milieu rural et initier des projets agricoles. Ils peuvent aussi orienter leur investissement vers le financement de la recherche et la création de brevets agricoles. En général, on peut définir l’investissement privé comme étant toutes les dépenses opérées par le secteur privé dans le but de participer à la formation du capital agricole.
De manière générale, il est très difficile d’approcher et de quantifier l’investissement privé. Les fonds débloqués pour le financement des investissements sont généralement issus de deux sources principales. La première est l’épargne : les agents économiques, qu’ils soient détenteurs de capitaux ou simples ménages, peuvent épargner et investir ces capitaux pour générer des profits et créer de la valeur ajoutée. La deuxième source est les crédits bancaires. En effet, les banques commerciales peuvent octroyer des crédits bancaires aux entrepreneurs sous plusieurs conditions. En agriculture, quantifier les investissements agricoles est tout un mystère à résoudre. En effet, plusieurs difficultés surviennent lors du calcul de l’investissement privé en agriculture, surtout dans les pays en voie de développement, ce qui est le cas de 99% des pays africains.
Figure 3 : Part de l’agriculture dans les crédits totaux octroyés par les banques commerciales en 2015
En Afrique la sphère agricole se caractérise par un dualisme qui intègre le caractère traditionnel ainsi que le moderne. Pour l’agriculture solidaire et traditionnelle, peu nombreux sont les agriculteurs qui ont recours aux crédits bancaires pour financer leurs investissements. S’agissant de chefs d’exploitations agricoles, dans la plupart du temps illettrés, ils financent leur investissement soit en épargnant soit en demandant des crédits auprès de la famille ou des amis4. Cette partie échappe aux calculs et n’est pas capté eau niveau macroéconomique quant à l’estimation des fonds d’investissements privés destinés à l’agriculture. En ce qui concerne l’agriculture moderne, intensive et capitalistique, les entrepreneurs demandent des crédits auprès des banques commerciales, ce qui rend facile le fait de quantifier et de retracer les flux d’investissement agricole. La mesure de la part du crédit destiné à l’agriculture nous permet d’avoir une idée sur la place qu’occupe le secteur dans la vision stratégique des investisseurs. En Afrique, la part du crédit destiné à l’agriculture dans le crédit total est faible.
La part des crédits octroyés par les banques commerciales aux agriculteurs dans les crédits totaux en Afrique varie entre 0.06 % en Guinée-Bissau et 9.2% en Ouganda et Tanzanie. Le Maroc se place parmi les pays dont les crédits destinés à l’agriculture ne dépassent pas 4% du crédit total octroyé. Ce faible niveau peut être expliqué par différentes raisons en Afrique. D’abord les problèmes d’accessibilité au crédit à cause de l’absence des garanties (titre foncier ou autre papiers). Ensuite les problèmes des taux d’intérêts exorbitants appliqués à l’agriculture. Vu que cette dernière est sujette à plusieurs aléas, notamment les risques de retard ou d’absence des précipitations, d’envahissement d’insectes ravageurs, de maladies fongiques ou même les fluctuations des prix des produits et des inputs, les taux d’intérêts appliqués aux agriculteurs sont souvent élevés et pas accessibles aux petits agriculteurs.
De plus, il est à noter que les crédits octroyés aux agriculteurs ne sont pas utilisés nécessairement dans l’activité de production agricole. Comme tout autre agent économique, l’agriculteur peut emprunter de l’argent et les orienter pour financer d’autres intérêts personnels.
3. Investissement direct étranger
Il est certainement difficile pour les pays africains de réaliser tous seuls l’ensemble des investissements nécessaires pour développer l’agriculture sur le continent. Le secteur agricole est souvent mal structuré et demande beaucoup de fonds pour sa restructuration. Certes, les prêts et les dons constituent des sources de financement mais ils ne sont pas permanents, et sont conditionnés par de nombreux critères qui compliquent l’accès à ces types de financement. Face à ces complications, les investissements directs étrangers peuvent jouer un rôle complémentaire. En effet, les IDE peuvent booster le développement de l’agriculture et aider à assurer une croissance agricole soutenue grâce à la réalisation de projets agricoles générateurs d’emploi et de valeur ajoutée agricole. Ils peuvent également faciliter l’adoption de nouvelles technologies à travers l’importation des nouvelles techniques et de matériels de production agricole.
Figure 4 : Part des entrées en IDE en agriculture par région
Malgré le potentiel important que présente l’Afrique en termes d’abondance de facteurs de production (terres, eau et travail) et leur rémunération relativement moins chère, celle-ci ne bénéficie pas beaucoup des investissements directs étrangers (IDE). Elle arrive en effet en 3ème place dans le classement des bénéficiaires : 22% en Afrique contre 29% en Asie et 43% en Amérique.
Néanmoins, les IDE vers l’Afrique ont progressé, avec un taux de croissance d’environ 2,8 sur la période 2001-2011. Leur évolution nous indique que les IDE destinés à l’agriculture en Afrique connaissent une croissance en plein essor. En moyenne, l’Afrique a reçu sur la période étudiée environ 260 millions de dollars sous forme d’IDE. L’Afrique présente donc un potentiel énorme en tant que bénéficiaire des IDE.
II. Comment investir pour une meilleure agriculture en Afrique ?
Pour promouvoir l’agriculture en Afrique, il existe différentes composantes clés sur lesquelles il faut agir, à savoir le contrôle de l’eau à travers l’irrigation, l’intensification via l’utilisation des semences sélectionnées, les fertilisants et la mécanisation, et enfin l’organisation des marchés agricoles ainsi que des chaînes de valeurs agricoles. Cette section présente les actions que les investisseurs africains, qu’ils soient publics ou privés, nationaux ou étrangers doivent entreprendre pour une meilleure production agricole autant sur le plan quantitatif que qualitatif.
1. Une meilleure gestion de risque à travers l’irrigation…
Le contrôle de l’eau est une condition nécessaire pour intensifier et développer l’agriculture en Afrique. Les zones agro-écologiques africaines offrent au secteur agricole un potentiel de production important allant des cultures désertiques jusqu’aux cultures tropicales. Cependant, en raison du caractère aléatoire des précipitations, surtout face aux impacts directs du changement climatique (augmentation de la température et irrégularité et raréfaction des pluies), l’agriculture en Afrique ne peut se passer de l’irrigation.
L’Afrique totalise une superficie agricole d’environ 1,13 milliards d’hectares, mais seulement 15,6 millions d’hectares sont équipés pour l’irrigation, soit environ 1,4% de la superficie agricole africaine totale. Comparée aux autres continents, l’Afrique affiche le taux d’équipement pour l’irrigation le plus faible au monde. A titre d’exemple, en Amérique centrale et du Sud5 et en Asie, les superficies équipées pour l’irrigation sont respectivement de 23 millions d’hectares et 1,6 milliard d’hectares, soit environ 3,1% et 15 % des superficies agricoles totales. De plus, avant de parler de besoin additionnel d’extension des terres équipées pour l’irrigation en Afrique, il faut faire le point sur la situation des superficies déjà équipées pour l’irrigation qui ont besoin d’être réhabilitées. En se focalisant uniquement sur l’Afrique subsaharienne, sur les 6 million d’hectares déjà équipés pour l’irrigation, 1 million d’hectares nécessitent une réhabilitation. Ce besoin varie d’un pays à l’autre : si on prend par exemple le Lesotho, la totalité des superficies équipées doit être réhabilitée (Liang, 2008).
L’investissement dans l’irrigation ne concerne pas seulement les infrastructures. En effet même au niveau des parcelles, les agriculteurs avec l’aide des pouvoirs publics doivent investir dans l’irrigation pour une utilisation plus efficace et plus efficiente de l’eau. L’utilisation de nouvelles techniques d’irrigation de précision, notamment l’irrigation localisée, permettra aux fermiers non seulement une meilleure gestion de l’eau d’irrigation à travers une meilleure valorisation, mais aussi d’apporter les quantités nécessaires pour le développement des cultures pratiquées au moment du besoin. Ces pratiques assureront par la suite des rendements plus élevés et une meilleure utilisation et affectation de l’eau.
Du point de vue politique, un programme de gestion intégrée des ressources hydriques doit être élaboré par les pouvoir publics. L’eau est une ressource vitale utilisée par plusieurs secteurs, à savoir l’approvisionnement en eau potable et la production de l’électricité. Elle intervient aussi dans les processus industriels notamment l’agro-alimentaire, l’industrie mécanique et l’industrie extractive. Une politique d’eau efficiente et efficace qui prend en considération le contexte de raréfaction de l’eau et l’usage multiple de cette ressource doit être élaborée, ceci en utilisant plusieurs instruments de politique notamment la tarification de l’eau.
2. Une intensification adaptée à l’environnement africain
De nos jours, l’agriculture africaine demeure peu intensifiée. L’utilisation des intrants reste très en dessous de la moyenne mondiale. A titre d’exemple, l’utilisation des engrais en Afrique tourne en moyenne autour de 8 kg/ha tandis que la moyenne mondiale est de l’ordre de 102 kg/ha. Une grande marge de manœuvre est donc à exploiter en termes d’utilisation de fertilisant. A ce niveau l’investissement doit se faire à plusieurs échelles. L’Etat doit fournir les conditions nécessaires pour approvisionner et distribuer les fertilisants aux agriculteurs. Il se trouve dans l’obligation de garantir aux agriculteurs un accès physique et financier permanent et régulier aux fertilisants, ceci à travers des politiques commerciales et des politiques de prix. De plus, il doit veiller à mettre sur les marchés des engrais adaptés aux types des sols et aux cultures locales, à promouvoir la fertilisation raisonnée et à accompagner les producteurs tout le long du processus de production.
En ce qui concerne le taux de mécanisation en Afrique, il est également faible. Selon Fuglie, le stock des machines agricoles converti en puissance n’est que de 700 milles CV6, Rapporté à l’hectare le taux de mécanisation en Afrique tourne autour de 2.6 CV/ha face à 27.7 CV/ ha en moyenne à l’échelle internationale. Devant cette situation, les Etats africains doivent investir dans la mécanisation et profiter des dernières technologies dans le domaine. Cela faciliterait l’adoption des machines modernes performantes et induirait par la suite une hausse de la productivité agricole. Le secteur semencier doit également figurer dans les priorités des pays africains car l’utilisation des semences sélectionnées est très en dessous de la moyenne mondiale.
3. Valoriser les produits et organiser les circuits de commercialisation
Le développement de l’agriculture doit nécessairement passer par l’organisation des chaînes de valeur agricole. En effet, il ne s’agit pas simplement d’augmenter la production agricole à travers l’intensification mais aussi d’améliorer toute la sphère agricole en agissant sur plusieurs composantes, à savoir les conditions de stockage, les unités de transformations, l’organisation des intermédiaires, la commercialisation des produits, etc. L’agriculture en Afrique présente de nombreuses opportunités pour les investisseurs en termes d’organisation des filières agricoles. En prenant l’exemple de la transformation des produits et en capitalisant sur le savoir-faire local, des unités de transformation peuvent être construites. En plus de produire des denrées alimentaires qui assureront par la suite la sécurité alimentaire des populations, ces unités peuvent générer plus de valeur ajoutée en créant de l’emploi et en utilisant les intrants domestiques. Ils auront un effet multiplicateur plus élevé car ils utiliseront les ressources internes et s’intégreront plus dans l’économie locale. De plus, le caractère délicat et périssable des produits agricoles rend indispensable leur conditionnement. Le développement des chaines de valeur requiert un accès permanent à l’électricité, des unités de stockage frigorifiées dont les conditions d’humectations doivent être suivies, des routes efficientes pour connecter les zones de production avec les points de ventes, etc. Malheureusement, en Afrique l’infrastructure nécessaire pour le stockage et le conditionnement des produits agricoles est encore faible voire inexistante dans quelques régions. L’investissement doit être orienté de façon à organiser les chaînes de valeur pour une meilleure valorisation des produits agricoles.
4. Une Recherche et une meilleure vulgarisation pour l’agriculture de demain
Théoriquement le changement technologique est considéré comme étant le moteur de la croissance économique (Solow, 1995). A un état stationnaire, il ne peut y avoir croissance sans adoption de nouvelles technologies capables d’agir sur la productivité et d’augmenter la production. La recherche est la source du changement technologique, et peut être considérée comme un levier majeur au changement des systèmes de production et d’évolution du monde rural à travers les gains de productivités issus de l’utilisation des résultats de la recherche. La recherche en agriculture détient un vaste potentiel qui permet d’atténuer les contraintes et les difficultés que le secteur agricole rencontre. Cela aboutit à des innovations technologiques, sociologiques et économiques qui peuvent être utilisées par les agriculteurs afin d’améliorer les rendements et augmenter les productions.
En prenant l’exemple du changement climatique, l’augmentation de la température prévue dans les prochaines décennies va entraîner la baisse des rendements de quelques cultures en Afrique. De plus, il est probable que ces cultures ne soient plus adaptées au nouveau contexte environnemental et disparaissent avec le temps. Le problème s’amplifie d’autant plus qu’il s’agit de cultures de consommation de base telles que le blé, le maïs, le sorgho et le mil. Il est prévu, dans le cadre des effets négatifs du changement climatique, que les températures augmentent. Or, l’exposition au réchauffement global agit sur le cycle de développement des cultures et raccourcit la période de croissance. Ce raccourcissement agit sur le développement de la biomasse et aboutit à une production moindre (FAO, 1995). Selon les projections, une augmentation de la température de 2° Celsius va entraîner une baisse des rendements du blé de 10%. Cela risque d’aggraver le problème de sécurité alimentaire dans les pays africains et de peser lourd dans la facture des importations des produits agricoles. Devant tous ces constats, l’investissement dans la recherche des semences et des variétés résistantes à la chaleur s’avère nécessaire et judicieux.
IV. Conclusion
L’agriculture en Afrique fait face à plusieurs contraintes. D’abord l’impact du changement climatique qui se traduit par une production agricole moindre, ensuite la croissance démographique qui génère une demande en produits agricoles alimentaires de plus en plus élevée et enfin le changement des habitudes alimentaires qui fait peser des contraintes sur la production et l’oriente vers des cultures spécifiques selon les régimes alimentaires adoptés par les populations. Devant cette situation, les pays africains ne peuvent plus compter sur les importations et doivent nécessairement restructurer leur secteur agricole de façon à assurer la sécurité alimentaire des populations et réduire leur dépendance vis-à-vis du marché international. Pour ce faire, les chefs d’Etats africains, conscients de l’ampleur du problème, ont élaboré plusieurs programmes de développement agricole et ont insisté sur l’importance des investissements destinés à l’agriculture afin d’aboutir à une croissance agricole soutenue, à la satisfaction des besoins alimentaires de leurs populations, à la création des opportunités d’emploi et enfin à l’éradication de la famine et la réduction de la pauvreté. A nos jours, les investissements agricoles demeurent faibles. Malgré les efforts entretenus par les pouvoirs publics, le secteur privé et même les investisseurs étrangers, le potentiel agricole en Afrique est toujours sous exploité et présente des opportunités de développement énormes. Pour aboutir à des gains de productivité importants au niveau du secteur agricole, des mesures prioritaires doivent être prises dans les différentes étapes de production et tout au long des chaînes de valeurs agricoles présentes dans les pays (intensifier à travers l’irrigation, l’utilisation des fertilisants et des semences sélectionnées, organiser les circuits de ventes et d’approvisionnement en inputs, assurer l’infrastructure adéquate, etc.).
1 Leur publication complète est disponible sur leur site internet au lien suivant : http://www.ocppc.ma/publications/investissement-agricole-en-afrique-un-niveau-faible%E2%80%A6-de-nombreuses-opportunit%C3%A9s#.WpO6ha7ibcv