Alors que le Salon de l’Agriculture ouvre ses portes dans un climat tendu, un projet de loi « pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et une alimentation saine et durable » vient d’être présenté en Conseil des Ministres. Avec les Plans stratégiques demandés par le Président Macron à chaque filière, il constitue le premier débouché d’un processus de consultation ambitieux, les « Etats Généraux de l’Alimentation ».
Rassemblant 14 articles, ce projet de loi parait en retrait par rapport aux espoirs que les EGA ont fait naitre. Il reprend principalement 3 propositions qui interrogent : le seuil de revente à perte et la « contractualisation », portées par la FNSEA ; la séparation du conseil et de la vente des pesticides voulue par le Ministère de l’Environnement.
Le déséquilibre dans le partage de la valeur ajoutée entre les acteurs de la filière agro-alimentaire n’est plus à démontrer. Pour autant, est-il envisageable qu’en obligeant la grande distribution à relever ses marges sur les produits de grandes marques, via l’augmentation du seuil de revente à perte, il s’en suivrait une hausse du prix d’achat des produits agro-alimentaires qui serait, de surcroit, répercutée sur les prix perçus par les agriculteurs ?
A l’instar des lois Le Maire en 2010, Le Foll en 2014 et Sapin 2 en 2016, ce nouveau projet vise à modifier les articles 631 et 632 du code rural relatifs aux contrats. L’approche retenue est constante : utiliser les attributs d’un contrat commercial de droit privé pour rééquilibrer la relation commerciale. Or, un contrat ne peut à lui seul équilibrer des rapports de force. Conçue pour la filière laitière, on peut s’interroger sur la capacité de la « contractualisation » à aboutir à un meilleur partage de la valeur ajoutée, si l’on ne procède pas, en même temps, à une concentration de la mise en marché du lait. Des solutions sont pourtant déjà discutées, notamment la constitution d’une entité unique de négociation par grand bassin laitier, ou encore le rapprochement des organisations des producteurs avec les coopératives.
Enfin, si l’Etat veut séparer le conseil et la vente des pesticides, il pourrait par exemple redévelopper l’expertise publique en matière de conseil aux agriculteurs, telle qu’elle existait jusqu’en 2007 avant que l’activité des Services Régionaux de la Protection des Végétaux ne soit réduite à peau de chagrin. De plus, cette séparation porterait remettre en cause les certificats d’économie de produits phytopharmaceutiques (CEPP) introduits dans la loi de 2014.
Pour l’agriculture, les principaux cadres réglementaires et budgétaires sont au niveau européen.
Les EGA ont été une première étape, l’action doit maintenant être portée au niveau européen. Qu’il s’agisse de partage de la valeur ou de transition environnementale, l’orientation actuelle de la PAC doit être rediscutée. Les prix internationaux ne sont en effet pas des prix d’équilibre mais le plus souvent des prix de dumping. Ainsi, la connexion du marché européen avec ces prix de dumping, place notre agriculture dans des conditions qui en affaiblissent la valeur ajoutée alors qu’il faudrait sécuriser économiquement nos agriculteurs, notamment pour supporter le coût de pratiques plus vertueuses pour l’environnement.
La Commission a promis une initiative législative pour remédier aux pratiques commerciales déloyales pour fin mars. Plutôt qu’un cadre franco-français, il parait plus opportun d’utiliser les enseignements des EGA pour peser dans les discussions communautaires à venir, et partager avec nos partenaires européens qui rencontrent des problématiques similaires.
Pour finir, les Plans de filières mettent en lumière que certaines d’entre elles, comme celle des fruits et légumes, utilisent très bien les outils communautaires pour renforcer l’organisation des producteurs. Verser des aides à l’investissement sous condition de regroupements des producteurs figure en effet comme un levier intéressant.
Pourquoi ne pas chercher à étendre cette logique à d’autres filières dans la future PAC ? Il en est de même pour les aides aux organisations de producteurs (art. 27 du développement rural), que la France a choisi de ne pas utiliser en 2014, alors que ces options peuvent être revues chaque année.
Jacques Carles, Président d’Agriculture Stratégies
Frédéric Courleux, Directeur des études d’Agriculture Stratégies