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L’agriculture européenne a besoin d’une réforme en profondeur de la politique agricole commune (PAC). Devenue inefficace à la fois face aux crises de marché et pour conduire vers la durabilité les systèmes de production agricole, la trajectoire actuelle de la PAC qui prend ses racines dans les années 1990 doit être révisée. Une nouvelle impulsion politique est désormais nécessaire pour sortir de la logique de renationalisation et de mise en concurrence des Etats-membres. Alors que toutes les grandes puissances agricoles renforcent leur soutien public à l’agriculture, on ne peut se résoudre à voir l’Europe être la seule à ne pas considérer l’Agriculture comme étant au coeur des enjeux du 21ème siècle (sécurité alimentaire, migrations, changement climatique, protection des ressources naturelles, inégalités).
A l’instar de la Revue stratégique établie en France en matière de défense, nous pensons qu’un consensus stratégique en matière agricole doit émerger à l’échelle européenne. Agriculture Stratégies et son Comité d’Orientation Stratégique regroupent les compétences et les sensibilités de différents bords pour faire progresser un débat nécessaire là où prime trop souvent un embargo intellectuel quant à l’avenir de la PAC. La Présidence Française laisse entrevoir une volonté de refondation de l’Europe, nous souhaitons contribuer à cet élan. Sans pour autant chercher à imposer ses seules vues, la France doit assumer ses responsabilités, ne pas succomber au défaitisme et chercher à convaincre les plus résignés en dépit du « french bashing » souvent rencontré en matière agricole. Figurant aux premiers rangs de la plupart des productions et ayant l’expérience d’une diversité quasiment aussi grande que la diversité de l’agriculture européenne, la France en a la légitimité.
Alors que les premières propositions de la Commission en matière budgétaire et réglementaire sont désormais connues, il semble hors de portée d’aboutir à un consensus politique ambitieux d’ici la fin de mandature de l’actuel Parlement, en mars 2019. Pour autant, le temps presse. La campagne des prochaines élections européennes et la perspective d’une Commission renouvelée doivent pousser à l’action afin d’élever un débat dont le niveau actuel se résume à la redistribution d’un budget européen limité qui s’effectuerait au détriment de la PAC et de la Politique de Cohésion pour alimenter d’hypothétiques nouvelles politiques.
Notre appréciation de la situation est que, comme pour la réforme de 1992, c’est de la conjonction d’un contexte géopolitique en pleine redéfinition et d’un constat des limites de la politique actuelle que naitra une nouvelle ouverture pour la construction européenne. C’est la condition pour donner corps à cette « Europe qui protège » et sortir, sur la scène internationale, d’une posture tantôt naïve tantôt cynique, qui était tenable dans l’ombre des Etats-Unis avant que celle-ci ne disparaisse depuis l’élection du Président Trump.
Aussi, il devient indispensable de considérer conjointement les trajectoires de la PAC et de l’OMC depuis le début des années 1990. Toute tentative de faire évoluer l’une tout en considérant l’autre inchangée est vouée à l’échec. Au coeur des deux trajectoires, le principe du découplage des aides repose sur l’hypothèse de l’efficience des marchés, c’est-à-dire la capacité des prix à retrouver leur niveau « d’équilibre » après un choc. La réalité est tout autre : les marchés agricoles sont structurellement instables et les prix dessinent des cycles marqués par des « brefs pics et des larges creux » qui rendent, par ailleurs, illusoires les approches assurantielles au grand dam de certaines organisations professionnelles agricoles qui continuent d’en faire leur cheval de bataille.
Se voyant tel un « leader vertueux mais isolé » l’Europe est la seule à continuer de faire reposer sa politique sur le principe du découplage qui est au coeur de la discipline agricole de l’OMC. Aussi rien d’étonnant dans l’échec du cycle de Doha : des règles mal fondées ne peuvent être respectées. Face à des marchés internationaux cotant la plupart du temps des prix de dumping, là où la théorie les voudraient « d’équilibre », une nouvelle coopération internationale pour stabiliser ces marchés et éviter le repli des échanges est indispensable. Aujourd’hui, c’est paradoxalement l’idéologie libre-échangiste basée sur l’hypothèse d’efficience des marchés qui est le principal risque pesant sur le commerce international car elle empêche toute approche pragmatique visant à tenir compte des enjeux de sécurité alimentaire et des limites de l’ajustement par les prix. Il faut donc renouer avec l’esprit qui prévalait avant les années 1980, où ce sont les actions de stabilisation des principaux pays producteurs qui ont permis le développement des échanges. Avec la fin des quotas laitiers et sucriers, l’Europe montre qu’elle continue, au contraire, de se penser comme un petit pays sans effet sur les prix internationaux, et n’a donc pas tiré les enseignements du bras de fer des années 1980 avec les Etats-Unis.
S’il est essentiel qu’un nouveau multilatéralisme émerge, l’Europe agricole doit d’ores et déjà retrouver la lettre et l’esprit du Traité de Rome. Garantir la sécurité alimentaire, assurer la stabilisation des marchés, participer au relèvement des revenus agricoles constituent ainsi les objectifs d’une réforme en profondeur de la PAC, en y adjoignant celui d’accompagner la transition environnementale et énergétique. Entre le marteau des contraintes environnementales et l’enclume des prix de dumping internationaux, les agriculteurs sont, en effet, devant des injonctions contradictoires. Depuis 1992, la PAC a nettement contribuer à l’amélioration de la compétitivité de son secteur agro-alimentaire en lui permettant d’avoir accès à des matières premières de qualité à un prix bien souvent inférieur aux coûts de production. Un rééquilibrage vers les objectifs sociaux du maintien d’une agriculture familiale et environnementaux de protection des ressources est désormais nécessaire pour éviter de fragiliser le socle sur lequel l’agro-alimentaire européen se situe.
Nos propositions de réforme en profondeur de la PAC se traduisent par une PAC articulée autour de 4 nouveaux piliers qui remplaceraient les deux piliers existants et rendraient beaucoup plus claire l’orientation stratégique de la politique communautaire.
- Le premier serait dévolu à l’organisation économique des producteurs et doit notamment permettre aux organisations de producteurs d’être, comme toute entreprise, en capacité d’ajuster leur offre pour ne pas déstabiliser ses marchés. Cette responsabilisation des producteurs face aux marchés peut pour autant ne pas s’avérer suffisante et nécessite un pilotage des marchés par le niveau communautaire, seul garant de l’intégrité du marché unique.
- Dans le deuxième pilier se situeraient les mesures de gestion de crise à l’instar de l’aide à la réduction volontaire de la production laitière expérimentée en 2016 mais aussi la possibilité d’utiliser les biocarburants comme un stabilisateur des marchés grâce à une priorisation des usages alimentaires sur les usages non alimentaires. Pour les produits soumis aux aléas des prix internationaux, des aides contracycliques pourront permettre une stabilisation des revenus dans une optique d’efficience dans l’emploi des fonds publics et de plus-value communautaire en association avec les mesures de pilotage de marché. A ce sujet, les travaux que nous avons conduits avec Momagri ont démontré le potentiel de ces outils tout en s’inscrivant dans les règles budgétaires en vigueur.
- Le troisième pilier serait celui de la transition environnementale et énergétique en recourant à des approches contractuelles qui nous semblent bien plus opérantes que les démarches basées sur le verdissement d’aides découplées. Pour les agricultures des zones à handicaps naturels, disposer d’aides couplées à la production nous semble nécessaire car les services rendus dans ces territoires dépendent directement de la production. De notre analyse, la seule aide découplée qui pourrait se justifier serait celle qui viendrait compenser les agriculteurs européens pour les surcoûts qu’ils ont à supporter compte tenu de standards de production plus élevés. De plus, à l’opposé du laxisme dont fait preuve la Commission vis-à-vis de dérogations accordées à certains pays, il est important que le niveau communautaire reste le garant de la politique environnementale car, à défaut, renvoyer cette responsabilité aux Etats-membres se traduira par un nivellement par le bas.
- Enfin, le quatrième nouveau pilier doit permettre d’assurer le renouvellement des générations et soutenir l’investissement. La pyramide des âges des agriculteurs est plus que préoccupante et la décennie à venir sera décisive car sans assez d’hommes et de femmes dans l’agriculture, la valeur ajoutée et les capacités de transition des systèmes s’étioleront. Outre l’aide à l’installation, la PAC doit structurer des programmes visant à accompagner la transmission des exploitations : c’est lors de l’installation que les investissements offrent le plus grand levier possible pour orienter les exploitations vers la durabilité qu’elle soit environnementale, économique ou sociale. Et le soutien aux assurances climatiques doit permettre de sécuriser dans le temps les systèmes de production.
Cette nouvelle PAC s’inscrirait dans les limites des perspectives financières pluriannuelles, maintenues à un niveau équivalent à celles dévolues à la période 2014-2020 et respecterait pleinement les traités et le règlement financier en vigueur.