Les olives de table espagnoles vont-elles dénoyauter la PAC ?
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En s’attaquant aux olives de table espagnoles, le Département au Commerce américain risque de constituer un précédent susceptible de remettre en cause le caractère non distorsif des aides découplées, pierre angulaire de la PAC et de l’OMC. Pour autant, vouloir rétorquer en saisissant l’Organe de Règlement des Différends de l’OMC serait une erreur stratégique pour l’Union européenne : la neutralité des aides découplées est difficilement plaidable dans les faits et elle éprouverait des difficultés à trouver des alliés, vu que plus aucun autre pays n’utilise ce types d’aides inefficaces. Paradoxalement, cet épisode peut être une chance pour la PAC si le jusqu’au-boutisme dans la défense du découplage laisse place à un aggiornamento susceptible de refonder en profondeur la PAC et de repositionner l’Union européenne dans le multilatéralisme agricole.
Le 24 juillet prochain se jouera une étape importante dans l’histoire de la Politique Agricole Commune. Paradoxalement, elle ne résultera pas d’une décision du Parlement ni du Conseil européen, mais proviendra de la Commission du commerce international des Etats-Unis1. En effet, cette dernière devra statuer sur l’enquête menée par le Département au Commerce suite à une réclamation de représentants de producteurs américains d’olives de table contre des importations à prix cassé en provenance d’Espagne.
Selon les résultats de l’enquête, les olives espagnoles arriveraient sur le territoire américain à un prix inférieur de 20,04% à leur « juste valeur » et profiteraient d’une subvention de 14.75%2. En cas de confirmation par la Commission du commerce international, les droits de douanes anti-dumping et anti-subvention provisoires mis en place en fin d’année dernière seraient confirmés et réhaussés.
Un sujet explosif pour l’Union européenne
Certes, il n’est pas certain que la Commission du commerce international, agence indépendante et bipartisane, confirme les résultats de l’enquête : elle a récemment été à l’encontre du gouvernement américain qui souhaitait prendre des mesures drastiques – taxes à 292% – contre Bombardier et ses activités dans l’aviation civile basées en Grande-Bretagne3. Mais, après l’acier et l’aluminium, s’en prendre aux olives espagnoles pourrait avoir des répercussions sur l’ensemble la PAC.
En effet, la production d’olives bénéfice surtout du régime d’aides découplées qui constitue les deux tiers du budget de la PAC et concerne quasiment toutes les surfaces agricoles en Europe. L’attaque sur les olives pourrait ainsi constituer une étape supplémentaire – et peut être décisive – dans la remise en cause de la doctrine du découplage, qui est la pierre angulaire des règles de l’OMC et à la base de la trajectoire de réforme de la PAC depuis 1992.
En invoquant des mesures anti-dumping et anti-subvention à l’encontre des aides découplées européennes, les Etats-Unis remettraient en cause la classification des aides agricoles à l’OMC et, en particulier la fameuse boite verte, non soumise à réduction, qui regroupe les aides découplées. Ces dernières sont considérées comme ayant un effet nul ou faible sur la production et le commerce sur la base de leur caractéristique propre (pas de production exigée, versées indépendamment des prix ou du niveau de production, etc.) et non au regard de leurs effets réels sur le comportement des producteurs. De nombreux travaux de recherche ont d’ailleurs mis en évidence les effets des aides découplées sur l’offre de travail des agriculteurs et les conditions d’entrée et de sortie dans le secteur, mais également sur leurs capacités d’investissement et leur attitude face au risque.
Cacher ce sein que je ne saurais voir !
Si la doctrine du découplage a été gravée dans le marbre de l’OMC par les Européens et les Américains au début des années 1990, ces derniers s’en sont rapidement affranchis et ont mis fin chez eux aux aides découplées en 2014. Remettre en cause l’absence d’effet distorsif des aides découplées n’aura pas de répercussion sur leur politique agricole.
Ce n’est pas le cas pour l’Union européenne qui, « en leader vertueux mais isolé » continue, vaille que vaille, à défendre cette doctrine dans les enceintes internationales comme dans sa politique agricole. En dépit de l’inefficacité de ce type d’aides à constituer une réponse aux crises agricoles (les aides sont versées indépendamment des prix) et à accompagner la transition environnementale et énergétique (les aides sont versées indépendamment de la production), la stratégie européenne, et les dernières propositions de la Commission pour la PAC post 2020 l’attestent, est de conserver le statu quo : le découplage doit rester le mantra de la PAC au nom du respect des règles de l’OMC.
Les défenseurs de l’orientation actuelle de la PAC se trouvent ainsi dans une situation délicate. Après avoir justifié depuis près de trois décennies, une série de réformes au nom du respect des règles agricoles de l’OMC, ces dernières sont maintenant attaquées par ceux-là mêmes avec qui ils les ont écrites. Certes, la martingale était alléchante : découpler les aides pour permettre aux marchés de trouver leur équilibre et ainsi, après une période transitoire, supprimer un soutien direct devenu inutile. Mais après une crise alimentaire mondiale qui a rappelé la réalité de l’instabilité structurelle des marchés agricoles, et alors que les aides constituent près de la moitié des revenus des agriculteurs européens, il serait temps pour l’Europe agricole de sortir des postures et des cynismes pour assumer une remise en cause de la doctrine du découplage.
Perseverare semper diabolicum
Pourtant, fortes de leur bon droit, certaines voix s’élèvent pour réclamer que l’UE porte plainte auprès de l’OMC à l’encontre des Américains en cas de maintien des taxes4 ; et la Commissaire Malmström a publiquement évoqué cette possibilité5. Comme le souligne Tomas Garcia Azcarate, les risques sont néanmoins importants que le panel de l’OMC ne discute non pas du bon respect des critères de la boite verte mais de l’existence ou non d’effets distorsifs des aides découplées6. En outre, l’UE aurait sûrement quelques difficultés à trouver des alliés dans cette procédure pour protéger un type d’aides qu’elle est la seule à utiliser. Aussi, en cas de confirmation par la Commission du commerce internationale, l’UE va se trouver devant un dilemme : le jusqu’au-boutisme des gardiens du temple légalistes ou l’ouverture à un aggiornamento politique.
Autrement dit, soit l’UE s’engage dans un panel à l’OMC pour défendre des aides découplées pourtant attaquées y compris en interne pour leur inefficacité face aux crises et à la transition environnementale avec un risque non nul d’échec, ce qui pourrait alors provoquer une crise de nature à remettre en cause la PAC elle-même si aucune alternative n’est suffisamment travaillée au préalable.
Soit l’UE choisit de sortir de sa zone de confort, assume le fait que sa trajectoire de réformes de la PAC reposait sur une hypothèse invérifiée (l’efficience des marchés agricoles) et accepte de rouvrir les discussions multilatérales pour réformer la discipline internationale en matière de soutien à l’agriculture et sortir le cycle de Doha de l’enlisement.
Cet épisode des olives de table espagnoles, loin d’être anecdotique, pourrait donc devenir le déclenchement d’une remise en question de la PAC telle qu’elle est devenue et telle qu’elle est en train de s’enliser avec les dernières propositions de la Commission.
Au final, l’Amérique du Président Trump est peut-être en train de rendre service à une PAC enkystée dans l’impasse du découplage, en offrant à l’Union européenne une pression extérieure de nature à l’aider à remettre en cause sa stratégie de réformes passées. Mais, inversement, si l’Union européenne n’arrive pas à forger un nouveau consensus en matière agricole, l’attaque américaine pourrait être le dernier assaut contre une Europe agricole affaiblie et divisée. Aussi, s’entêter en portant l’affaire à l’OMC serait une erreur stratégique majeure pour la construction européenne ; la solution étant d’engager dès maintenant une véritable réforme en profondeur de la PAC qui permette à l’UE de redéfinir sa position sur le multilatéralisme en matière agricole.
Jacques Carles, Président d’Agriculteur Stratégies
Frédéric Courleux, Directeur des études d’Agriculture Stratégies
Mise à jour (27/07/2018) : En date du 25 juillet 2018, la Commission du commerce international a confirmé l’analyse du département du commerce américain ce qui va conduire au maintien voire au renforcement des droits de douanes anti-dumping sur les olives espagnoles :
https://www.usitc.gov/secretary/fed_reg_notices/701_731/701_582_notice_07252018sgl.pdf
1 Voir le site internet : https://usitc.gov/
2 https://www.commerce.gov/news/press-releases/2018/06/us-department-commerce-finds-dumping-and-subsidization-imports-ripe
3 https://www.bbc.co.uk/news/uk-northern-ireland-42825916
4 Voir l’article d’Euractiv où le think tank Farm Europe défend cette position par la voix de Joao Pacheco, ancien directeur général adjoint de la DG Agri : https://www.euractiv.fr/section/commerce-industrie/news/us-questions-caps-raison-detre-with-spanish-olives-investigation/
5 https://www.commerce.gov/news/press-releases/2018/06/us-department-commerce-finds-dumping-and-subsidization-imports-ripe
6 http://tomasgarciaazcarate.com/post/us-antidumping-and-antisubsidy-investigations-on-spanish-olive-a-potential-trade-153632