Projet d’accord de libre-échange UE-Océanie : une négociation inutile pour les deux parties
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L’Australie et la Nouvelle-Zélande sont de grands exportateurs de produits animaux issus de ruminants (viandes ovines et bovines, produits laitiers). Mais le faible potentiel de développement de leur production, leur proximité avec les marchés asiatiques et la faiblesse des échanges actuels avec l’Union européenne laissent dubitatif quant aux intérêts que les pays océaniens auraient à une Accord de Libre-Echange (ALE) avec l’UE. Ces négociations officiellement entamées le 18 Juin dernier semblent plutôt émaner de la Commission, une initiative surprenante étant donné l’incertitude qui entoure le Brexit et la répartition des contingents tarifaires actuels.
Acteurs majeurs des marchés internationaux des produits animaux (viande et produits laitiers), l’Australie et la Nouvelle-Zélande possèdent des atouts indéniables pour ces productions comme le montre une étude menée par ABCIS pour le Ministère de l’Agriculture français1. Articulée autour d’une synthèse et des fiches spécifiques aux différents marchés des deux pays, cette étude donne un aperçu d’ensemble des filières océaniennes ovines et bovines, avec une attention particulière donnée aux flux commerciaux actuels avec le vieux continent. Les nombreuses informations ainsi regroupées permettent d’obtenir un aperçu de la situation économique de ces filières alors que viennent de s’ouvrir des négociations pour un accord de libre-échange entre l’UE et l’Océanie.
Des atouts et des limites fortes
Si la Nouvelle-Zélande dispose de conditions pédoclimatiques tout à fait favorables à la pousse de l’herbe et donc aux ruminants, ce n’est pas le cas de l’Australie dont la taille du territoire constitue l’un des principaux atouts. Les deux îles ont donc largement développé les productions animales grâce au pâturage et sont fortement spécialisées. La Nouvelle-Zélande produit 35% de viande bovine en plus depuis 30 ans, et a doublé sa production laitière en 20 ans, au détriment de sa filière ovine (-31% de production en 30 ans). De même l’Australie a vu sa production de viande bovine augmenter de 61% en 30 ans, tandis que les productions ovine et laitière sont relativement stables.
Cette dynamique devrait néanmoins s’estomper pour des raisons opposées : la densité de l’élevage néo-zélandais est très élevée engendrant des préoccupations importantes quant à l’évolution des écosystèmes d’une part ; la récurrence des sécheresses en Australie met à rude épreuve l’élevage sur l’essentiel du territoire d’autre part. Aussi, le potentiel de croissance de la production est limité.
Si les élevages océaniens sont les champions des marchés internationaux, il semble que cette recherche de compétitivité dans un contexte de croissance a également fait des dégâts dans les filières et sur les producteurs.
En Australie, les acteurs de la transformation du lait sont maintenant pour l’essentiel passés sous pavillon étranger depuis la faillite de la principale coopérative laitières Murray Goulburn dont les actifs ont été rachetée par Saputo, une entreprise canadienne. Ainsi, 80% de la transformation laitière australienne est aux mains de 4 entreprises étrangères (Saputo : Canada, Fonterra : Nouvelle-Zélande, Kirin : Chine et Lactalis : France). En Nouvelle-Zélande, la situation n’est pas la même, mais à côté du mastodonte local Fonterra, plusieurs opérateurs privés (principalement asiatiques) ont pris pied dans la filière laitière et traitent directement aujourd’hui 12% de la collecte.
L’endettement important des éleveurs néo-zélandais s’est également traduit par l’entrée de capitaux étrangers au niveau de la production. Par exemple, Theland Farm Group, rattaché à Alibaba, s’est notamment implanté chez les Kiwis malgré l’opposition du gouvernement2. De même en Australie le rachat de la plus grande ferme du pays qui a défrayé la chronique (la ferme Kidman de 11 millions d’hectares) n’a pu se faire qu’avec une présence minoritaire d’investisseurs chinois3.
Des flux d’exportation redirigés vers l’Asie
Les deux pays océaniens exportent actuellement vers l’UE via des contingents tarifaires à droits nuls ou faibles négociés en grande partie suite à l’entrée du Royaume-Uni dans l’UE et accordés au titre des échanges historiques qui avaient lieu entre pays du Commonwealth4. Ces contingents, qui représentent tous une faible part des exportations océaniennes (moins de 10% pour chacun des produits5), ne sont plus saturés depuis quelques années : les possibilités d’exportation vers l’Europe ne sont aujourd’hui pas pleinement utilisées.
Les viandes ovines sont essentiellement exportées par la Nouvelle-Zélande à destination du Royaume-Uni (contingents à droits nuls), et se concentrent sur des morceaux de découpe plutôt que des carcasses. De même ces pays exportent vers l’UE de la viande bovine de « haute qualité » (contingent à droit de douanes à 20%) représentant moins de 3% de leurs volumes exportés. De même sur les produits laitiers, les contingents (à droits de douanes de 40 à 50%) ne sont pas remplis.
Si l’UE est plutôt une destination en déclin pour l’Océanie, ces deux pays continuent d’augmenter leurs exportations vers l’Asie. L’Australie comme la Nouvelle-Zélande sont impliqués chacun dans des accords de libre-échange avec 15 pays asiatiques, en plus d’avoir récemment signé le Partenariat Trans-Pacifique qui renforce leurs liens avec ces marchés. En pleine croissance, la Chine absorbe désormais autant d’exportations de viande ovine que l’UE, comme on peut le voir sur la figure 1. De même, la première destination des exportations de viande bovine et de produits laitiers est asiatique. Une tendance qui devrait se confirmer à l’avenir puisque le marché asiatique est en croissance et que les capacités de productions océaniennes arrivent à saturation.
Pourquoi un accord UE-Océanie est-il donc en cours de négociation ?
Face à ces constats on ne peut que s’interroger sur l’intérêt qu’auraient les pays océaniens à initier les négociations pour un ALE avec l’UE afin d’augmenter leurs exportations de produits animaux. Leur proximité et leur complémentarité avec l’Asie fait du continent le plus peuplé du monde leur marché naturel.
De surcroit, les incertitudes qui entourent le Brexit quant à la répartition des contingents tarifaires entre l’UE et le Royaume-Uni, principale porte d’entrée des exportations océaniennes, plaident au contraire pour ne pas complexifier outre mesure une situation déjà ardue. Cette question inquiète les producteurs européens : la Fédération Nationale Ovine (FNO) dans son rapport d’activité demande une répartition des contingents sur des bases historiques6 tandis que la Copa-Cogeca a qualifié de « malvenu » les négociations d’accès au marché de l’UE alors même que l’incertitude sur le Brexit plane.
L’ouverture de cette nouvelle négociation semble à nouveau corroborer l’hypothèse d’une fuite en avant de la part d’une DG Trade qui semble éprouver des difficultés à établir le diagnostic de la crise du multilatéralisme et préfère sauver les apparences en étant pro-active sur le bilatéralisme.
Alors que les productions ovines et surtout bovines, pourtant les mieux à même de valoriser les herbages européens et leur stock de carbone, sont déjà en difficulté compte tenu de la pression commerciale au sein des filières, on peut considérer que cette négociation est inutile tant pour les producteurs européens que pour leurs homologues océaniens si elle parvenait à un autre résultat que le statu quo.
Christopher Gaudoin, chargé de veille et d’analyse stratégique pour Agriculture Stratégies
1 http://agriculture.gouv.fr/etude-risques-et-opportunites-pour-les-filieres-animales-francaises-et-europeennes-dans-la
2 https://www.nbr.co.nz/article/chinese-dairy-investor-faces-hurdles-develop-nz-dairy-factory-b-196047
3 https://www.cnbc.com/2016/10/26/battle-for-kidman-cattle-empire-sparks-calls-for-change-in-australias-foreign-investment-laws.html
4 http://europa.eu/rapid/press-release_MEMO-87-33_en.htm?locale=en et http://rmac.com.au/wp-content/uploads/2017/01/Sub49-3.pdf
6 http://www.nosbrebis.fr/IMG/pdf/Rapport_d_activite_2017_-_congres_2018.pdf