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Les crises de surproduction sont monnaie courante dans le secteur agricole et plus particulièrement dans le secteur des fruits et légumes où les rendements peuvent être très variables d’une année à l’autre. C’est précisément la situation que connaissent actuellement les producteurs américains de canneberges qui viennent de décider de ne pas commercialiser un quart de leur production, soit plus de 100.000 tonnes de produits1, afin de soulager des marchés surchargés.
Produit emblématique de l’Amérique du Nord, présent sur toutes les tables de Thanksgiving, la production de canneberges (ou cranberries en anglais) a connu un essor important après une grave crise sanitaire à la fin des années 1950. Déjà confrontés à des stocks importants, les producteurs organisés au sein du Cranberry Marketing Order (CMC) depuis en 19622, ont demandé l’aval de l’administration fédérale (USDA) pour interdire la commercialisation de 25% de l’abondante récolte de cette année. Ce surplus devra être donné, composté ou utilisé à des fins non commerciales3.
Via l’Agricultural Marketing Agreement Act de 1937, les filières agricoles américaines ont en effet la possibilité de créer des offices de commercialisation afin de gérer collectivement la mise en marché. Au-delà de la filière laitière, on dénombre 28 offices essentiellement pour les fruits et légumes (agrumes, raisin, poires, pomme de terre, oignons, etc…)4. Ces offices peuvent en particulier réguler l’offre : soit en ayant recours au stockage (« withholding »), soit en imposant des quotas de commercialisation (« allotment »). Il faut noter que toutes les décisions des offices doivent être validées par les autorités fédérales.
Pour la canneberge, le stockage a ainsi été utilisé à quatre reprises entre 1962 et 19715, ainsi que plus récemment en 20176. Quant aux quotas de commercialisation, ils n’avaient plus été utilisés depuis 2000 et 20017. En 20148 une demande avait été soumise par le CMC afin d’utiliser les quotas de commercialisation, mais l’USDA s’y est opposé soupçonnant une entente avec des producteurs canadiens.
Afin d’établir les quotas de commercialisation pour cette année, on se base sur la moyenne glissante sur les quatre meilleures des six dernières années, ce qui présente l’avantage de ne pas figer la situation. Entre 2004 et 2016, la production a augmenté de près de 50%9.
Ainsi que le souligne Claire Brown dans son article sur New Food Economy10, il peut paraitre insatisfaisant de s’en tenir à des quotas de commercialisation, source d’importants gaspillages, plutôt que de chercher à agir directement sur la production par des quotas de production.
Mais il faut dire que la variabilité des rendements, très importante, pour la plupart des fruits et légumes peut justifier d’agir sur l’offre une fois la récolte effectuée. Et, au final la destruction de ces surplus n’est-elle pas le prix, modique au demeurant, pour assurer la pérennité d’une filière qui dispose du cadre réglementaire pour sortir par elle-même et sans soutien public d’une crise de surproduction.
Christopher Gaudoin, Chargé de veille et d’analyse pour Agriculture Stratégies
1 https://newfoodeconomy.org/cranberry-glut-destroy-crop-volume-regulation-usda-ocean-spray/
2 http://www.uscranberries.com/about-cmc/
3 https://www.ams.usda.gov/content/usda-announces-cranberries-volume-regulation-2018%E2%80%9319-crop-year
4 https://www.ecfr.gov/cgi-bin/text-idx?sid=285d017562453496d60f218d5fbe932f&c=ecfr&tpl=/ecfrbrowse/Title07/7cfrv8_02.tpl
5 https://fruit.wisc.edu/wp-content/uploads/sites/36/2011/05/Cranberry-Marketing-Order-Volume-Regulation.pdf
6 http://www.uscranberries.com/industry-news/2017-2018-volume-regulation-recommendations/
7 E. V. Jesse, R. T. Rodgers, 2006, The Cranberry Industry and Ocean Spray Cooperative: Lessons in Cooperative Governance, Food System Research Group Monograph Series, n°19
8 https://www.wisconsinwatch.org/2014/08/cranberry-growers-frustrated-after-feds-reject-production-cuts/
10 https://newfoodeconomy.org/cranberry-glut-destroy-crop-volume-regulation-usda-ocean-spray/