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L’ordre économique international que nous connaissons depuis le début des années 1990 vacille et si les chefs d’Etats et de gouvernements présents lors du dernier G20 de Buenos Aires ont reconnu le besoin de réformer l’OMC, l’agenda de cette réforme reste encore à établir1.
Ancien directeur de la Direction générale de l’agriculture de la Commission européenne et actuel directeur de la Direction générale du commerce, Jean-Luc Demarty a été auditionné par le Parlement européen en juin dernier2. Nous avons retranscrit et traduit ci-dessous ses propos le plus fidèlement possible à partir de la vidéo disponible sur le site du Parlement. Compte tenu de ses fonctions actuelles et passées, l’analyse de la situation par Jean-Luc Demarty est d’autant plus intéressante qu’elle révèle la position de l’Union européenne sur les sujets agricoles et apporte des éléments de compréhension au bras de fer entre les Américains et Européens sur l’acier et l’aluminium3.
Sur les sujets agricoles, Monsieur Demarty évoque l’affaire des olives espagnoles taxées par des droits anti-dumpings et anti-subventions par les Etats-Unis. Alors en attente d’une décision finale, les Etats-Unis ont depuis (fin juillet) confirmé ces mesures de rétorsions. Le directeur du commerce indique « nous avons peur des conséquences systémiques que cette décision pourrait avoir. Notre appel à ne pas ouvrir la boite de Pandore sur le soutien domestique pour les agriculteurs a été abruptement ignoré ».
Interrogé sur la possible réaction de l’UE, il répond : « nous devrons regarder précisément sur la manière dont les mesures sont appliquées pour voir si on peut les attaquer à l’OMC d’un point de vue anti-dumping. Mais nous devons aussi penser en termes de PAC, qui sont des éléments systémiques qui sont bien plus larges que le cas des olives en soi, et je pense que nous n’aimerions pas que l’OMC regarde par la porte de derrière nos subventions de la boite verte et qu’elle prenne une décision pour savoir si nos règles sont vraiment de la boite verte à travers ce cas ».
Plus qu’un aveu, Jean-Luc Demarty fait exploser en vol le paradigme au cœur de 25 ans de réformes de la PAC : les aides découplées de la PAC sont indéfendables, il est illusoire de défendre leur neutralité, c’est-à-dire leur caractère non distorsif sur la production et les échanges.
Dommage pour la DG Agri qui préparait une nouvelle réforme, toujours centrée sur le principe du découplage, il va falloir revoir sa copie ! Dommage pour les économistes qui veulent faire de l’Europe un « leader vertueux mais isolé » pour avoir conservé, seule contre tous, le principe du découplage au cœur de sa politique agricole4 ! Dommage enfin pour ces mêmes économistes qui avancent qu’avec la fin des subventions aux exportations, la PAC ne fait plus de dumping des marchés internationaux5, Jean-Luc Demarty indique qu’il est peine perdue de chercher à défendre leur non-distorsivité !
A partir de ce constat, que nous partageons largement, sur les limites du principe de découplage des aides qui sont également à la base de l’inefficacité de la PAC face aux crises économiques et en faveur de la transition environnementale, on aurait pu s’attendre à un appel à un aggiornamento de la discipline OMC en matière agricole, qui est tout de même au cœur du blocage du cycle de Doha depuis 2008. Il n’en est rien !
Au contraire, Monsieur Demarty évoque la combine qu’il préconise : « Donc je pense qu’ici il faut réfléchir à cela également dans la nouvelle PAC et il faut essayer de coller au maximum à la boite verte. Cela pourrait avoir du sens, par exemple, d’utiliser des systèmes d’assurance revenu horizontaux, car même s’ils sont de la boite orange, leur caractère horizontal les rend beaucoup plus difficile à cibler via les droits compensatoires ». Sachant que les « systèmes d’assurance revenu horizontaux » n’existent pas ni en Europe ni ailleurs dans le monde, et que dans tous les cas ils ne sont d’aucuns recours quand les prix sont déprimés plusieurs années, on ne peut que rester coi : les réformes de la PAC ont surtout pour objectif de réduire l’exposition de l’UE à l’OMC quitte à aboutir à des mesures inefficaces voire factices.
Aussi s’il convient de louer la lucidité et la franchise de Monsieur Demarty sur le fond, on voit dans cette audition que la Commission n’a pas encore vraiment cherché à penser les bases d’un nouveau multilatéralisme en matière agricole. Mais, certes, il fallait déjà pouvoir commencer par là.
S’agissant du reste de l’audition, allons à l’essentiel. A l’heure où il s’agit de participer à la redéfinition d’un nouvel ordre économique multilatéral, il n’est peut-être pas nécessaire d’ériger la Chine comme le responsable de tous les maux : « le problème structurel principal est la Chine ». De même, il pourrait être pertinent de s’interroger sur les raisons profondes des Américains et en particulier sur leurs déficits commerciaux gigantesque (553 Mds de $ en 20176), et ne pas en rester à des références idéologiques datées du 19ème siècle : « Il ne semblerait pas que le Président Trump ou le Secrétaire Ross ait lu Adam Smith, ou David Ricardo ou Jean-Baptiste Say, ils ne les connaissent pas je pense ». Surtout s’il s’agit de penser la réforme de l’OMC pour répondre aux défis du 21ème siècle !
Enfin, Jean-Luc Demarty n’aurait peut-être pas du parler des « 15 conférences téléphoniques entre la Commissaire Malmström et le Secrétaire Ross » auquel il a participé et où ils étaient prêts à proposer des baisses de droits de douanes sur les produits industriels « avec une totale libéralisation », mais que cela n’intéressait pas les Américains qui voulaient eux que les Européens participent à la réduction des surcapacités de production d’acier et d’aluminium. Fait troublant, Monsieur Demarty parle de « concessions unilatérales » et d’une « approche qui consiste à prendre des mesures illégales », alors que la Chine et d’autres ont pris leur part pour sortir de la surproduction mondiale7. S’agit-il d’une erreur d’appréciation ? En tous cas on peut parler d’un dialogue de sourds entre ceux qui ne pensent que libéralisation et baisse des droits de douanes, et ceux qui veulent réguler les surcapacités.
On fera remarquer qu’il n’a pas pourtant pas pu échapper à Monsieur Demarty que lors de la guerre commerciale autour de la PAC dans les années 1980-1990 s’est conclue par la mise en place de la jachère en Europe pour satisfaire les Etats-Unis. Bref, déjà à l’époque les Américains ne croyaient pas aux vertus de l’ajustement par les prix et cherchaient déjà à résoudre le problème des prix bas par une réduction des surcapacités. Trois décennies plus tard, il serait peut-être temps de tirer les vrais enseignements de la guerre commerciale des années 1980-1990 !
La remise en cause de l’ordre économique hérité des années 1990 n’en est qu’à son début. La crise de l’OMC est d’autant plus délicate pour l’Union européenne qu’elle s’est érigée en la « fille ainée » de l’OMC, avec le zèle des derniers convertis. Cette crise du multilatéralisme interroge donc la construction européenne elle-même. Comme le montre l’audition de Jean-Luc Demarty mais aussi le non-papier de la Commission8 de septembre dernier où les sujets agricoles ne sont pas mêmes évoqués, il va vraiment falloir engager un aggiornamento de la doctrine agricole de l’Europe pour participer à la redéfinition d’une coopération internationale, et accessoirement redresser la PAC.
Jacques Carles, Président d’Agriculture Stratégies
Frédéric Courleux, Directeur des études d’Agriculture Stratégies
1 Voir la déclaration finale https://g20.org/sites/default/files/buenos_aires_leaders_declaration.pdf
2 http://www.europarl.europa.eu/ep-live/en/committees/video?event=20180620-0900-COMMITTEE-INTA
3 Nous remercions Jacques Berthelot pour avoir repérer cette audition dans son récent article https://www.sol-asso.fr/wp-content/uploads/2017/01/Alea-iacta-es-comment-les-olives-espagnoles-vont-changer-radicalement-la-PAC-7-novembre-2018.pdf
4 Voir Bureau, Fontagné et Jean, L’agriculture française à l’heure des choix (Décembre 27, 2015), Les notes du conseil d’analyse économique : http://www.cae-eco.fr/IMG/pdf/cae-note027v2.pdf
5 Voir Bureau et Swinnen, EU Policies and Global Food Security (Mars 20, 2017). LICOS Discussion Paper Series No. 392/2017 : https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=2961695
6 Source : US Census bureau, https://www.census.gov/foreign-trade/Press-Release/current_press_release/index.html
7 https://www.reuters.com/article/us-g20-steel/china-u-s-at-odds-over-steel-overcapacity-at-g20-forum-idUSKBN1DU1TQ
8 http://trade.ec.europa.eu/doclib/docs/2018/september/tradoc_157331.pdf
Retranscription de l’audition de Jean-Luc Demarty au Parlement Européen du 20/06/2018
Jean-Luc Demarty : Merci beaucoup Bernd [Bernd Lange, Président de la Commission Commerce International (INTA) du Parlement Européen]. Nous sommes en train d’entrer dans des temps difficiles avec les USA et cela pourrait aussi créer de nombreuses difficultés non seulement bilatérales mais pour le commerce et l’économie mondiale. Les perspectives pour la politique commerciale de l’UE est très complexe sur différents fronts. Dans les derniers mois on a vu l’imposition de tarifs américains de la section 2.3.2, basés sur la sécurité nationale, quelque chose qui date de la guerre froide, sur l’acier et l’aluminium, sur leurs alliés comme leurs rivaux ; des divisions US-UE sur les positions concernant les sanctions commerciales pour la Russie et l’Iran ; une nouvelle enquête de sécurité nationale sur les importations américaines de voitures, un G7 clivant, et des blocages qui continuent sur des sujets comme l’Organe d’appel de l’OMC. Par-dessus cette liste déjà longue, le département du commerce américain (USDC) a jugé nécessaire d’imposer la semaine dernière des tarifs excessivement élevés anti-subvention/anti-dumping sur les olives espagnoles.
Tout en essayant d’éviter la situation actuelle, l’UE est prête à réagir pour se défendre dans le système commercial multilatéral. Les tarifs américains de la section 2.3.2 sur acier et aluminium infligent déjà d’importants dégâts économiques sur les alliés des USA et ne résoudront pas les causes profondes de la surcapacité ou les difficultés que connait l’industrie domestique américaine. Une protection à l’échelle du secteur est un remède inapproprié pour les vrais problèmes de surcapacité. Les tarifs américains reçoivent donc une réponse rapide, ferme, proportionnée et 100% OMC-compatible. Nous avons lancé des procédures à l’OMC le jour-même où les tarifs de la section 2.3.2 ont été appliqués à l’UE. Jeudi dernier tous les Etats Membres ont donné leur accord pour procéder au rééquilibrage, donc on va tout de suite exercer nos droits de rééquilibrage à hauteur des 2.8 milliards euros d’exports dans les jours à venir. La régulation imposant des tarifs européens à un certain nombre de produits américains sera publiée au Journal Officiel bientôt, et sera appliquée le jour suivant. Nous ferons aussi ce qu’il faut pour protéger le marché de l’Union Européenne des effets du détournement des échanges due à la fermeture du marché Etats-unien. Notre réponse ferme et notre unité, au sein de l’ensemble des 28 Etats-membres envoie un message clair de notre volonté et capacité à défendre nos intérêts d’une manière OMC-compatible. Nous sommes également unis face à l’enquête de sécurité nationale sur les voitures et les pièces automobiles. Quelques mesures futures sur le secteur automobile auraient des conséquences négatives importantes non seulement sur l’UE mais aussi l’économie globale, et même sur les Etats-Unis. Les effets économiques de ces mesures sur les US seraient globalement plus importants et négatifs que sur l’UE. Pas seulement à cause des mesures en elle-même mais aussi des contre-mesures inévitables que les partenaires économiques mettraient en place. Nous ferons de notre mieux pour gérer cette situation au mieux mais évidemment cela s’ajoute au climat d’incertitude. Nous devons regrettablement nous résoudre à accepter, avec leurs implications systémiques, les décisions commerciales américaines sur le système commercial multilatéral. Il ne semblerait pas que le Président Trump ou le Secrétaire Ross ait lu Adam Smith, ou David Ricardo ou Jean-Baptiste Say, ils ne les connaissent pas je pense.
Ceci est également illustré par la décision de l’USDC la semaine dernière d’imposer des tarifs anti-subvention et anti-dumping excessivement élevés sur les olives espagnoles : cette action de défense américaine impacte déjà significativement les exportations espagnoles d’olives vers les USA, affectant la principale source de revenu de centaines de familles productrices d’olives. La décision finale n’a pas encore été prise mais il est clair que nous anticipons le pire. En plus des difficultés économiques pour les communautés agricoles espagnoles durement affectées par ces mesures abusives, nous avons également peur des conséquences systémiques que cette décision pourrait avoir. Notre appel à ne pas ouvrir la boite de pandore sur le soutien domestique pour les agriculteurs a été abruptement ignorées. Les USA ont lancé des mécanismes de soutien pour des produits agricoles importés par l’UE en quantités significatives comme : l’éthanol, les amandes, le maïs, ou le blé dur. Contrairement à nos outils de la PAC, ils ne sont même pas dans la boite verte, les US ne devront pas être surpris si d’autres partenaires commerciaux commencent à regarder de plus près les effets potentiellement distorsifs des aides domestiques américaines.
Dans l’UE on bénéficie d’un système de commerce international fort et nous devons penser à comment ce système peut être modernisé et être plus apte pour le 21e siècle. Mais nous devrons aussi trouver un moyen de gérer la relation transatlantique d’une manière aussi peu dommageable que possible pour l’économie globale. Cela requière d’être ferme contre les USA quand nécessaire, mais aussi d’être déterminés à faire face à des pays comme la Chine dont la responsabilité est de s’ouvrir et d’arrêter les politiques industrielles discriminantes et dommageables, qui font partie des causes profondes des tensions actuelles et du manque de confiance dans les règles OMC. Il y a un rôle ici pour l’UE ici afin de travailler de manière triangulaire, USA-UE-Chine par exemple, mais aussi pour travailler avec des pays qui pensent comme nous : Japon, Canada, Mexique, Corée, Australie, il y en a beaucoup à faire ici. Ce n’est pas facile mais cela sera un travail important. Finalement je voudrais vous remercier pour le fort soutien que vous avez apporté à l’approche de la Commission, comme l’a souligné votre président [Bernd Lange]. L’importance de votre contact avec vos homologues du Congrès américain ne devrait pas être sous-estimée, avec les élections de mi-mandat qui approchent, je veux que vous continuiez à transmettre nos doutes sur la politique commerciale des USA à vos interlocuteurs américains, vos homologues américains du Congrès et du Sénat pourraient faire partie des rares acteurs qui ont le pouvoir de ralentir quelques-unes des initiatives les plus dommageables dans le secteur du commerce, en particulier sur la future annonce 2.3.2 sur les voitures et les pièces automobiles qui serait très très dommageable pour le monde entier. Merci beaucoup de votre attention.
Après cette première intervention, les députés ont posé leurs questions et énoncé leurs remarques, auxquels Jean-Luc Demarty a répondu en une seule fois.
Jean-Luc Demarty : Merci beaucoup, beaucoup de questions intéressantes. La première question sur l’ORD de l’OMC, pourquoi ne pas essayer de construire une approche plurilatérale ? Premièrement je pense que pour le moment il n’y a pas d’appétence pour cela à l’OMC, je pense que la bonne approche serait de voir ce qui pourrait être fait pour améliorer l’ORD, y compris l’organe d’appel. Je ne pense pas qu’il faille utiliser la terminologie de « juges », il s’agit de « membres de l’organe d’appel », parce que cette terminologie peut en irriter certains, dont les USA, ils ne sont pas des « juges, ils sont « membres de l’organe d’appel », respectables et indépendants, et là l’UE est prête à regarder de quelle façon l’on peut améliorer le système et à discuter avec d’autres y compris les USA, le problème étant que pour l’instant les USA n’ont indiqué aucune disponibilité pour négocier quelque chose. Ici je pense que l’objectif clé de notre côté est de maintenir l’approche en deux temps dans l’ORD avec un système d’appel fondé sur des membres indépendants, car ce que l’on peut craindre c’est que l’un des objectifs des USA soit, au mieux, d’enlever la deuxième étape de l’ORD, c.à.d. l’organe d’appel, en le bloquant, laissant seulement une étape contraignante, quelque chose qui était crucial pour nous dans les négociations de l’Uruguay Round et pas simplement un ajout de dernière minute dans les négociations, et certains essaient de le présenter ainsi dans le système américain ; ou alors, au pire, revenir en arrière au GATT où il n’y avait qu’une seule étape non contraignante. Donc je pense qu’il faut être conscient du risque, et il faut plutôt travailler pour voir comment nous pouvons améliorer cela sans remettre en question les principes clés de l’indépendance, et on va certainement prendre des initiatives pendant les prochaines semaines, avec d’autres ayant le même état d’esprit pour avancer sur ces différentes questions. Je reviendrai plus tard sur les différents éléments de l’OMC, sur les règles. Un dernier élément pour l’ORD, pour le moment je ne vois pas la Chine être intéressée par l’OMC et l’ORD sans les Etats-Unis. Donc il faut être conscient de cela.
En ce qui concerne la question de Mme Rodriguez sur les olives, et aussi M. Salafranca, nous sommes très préoccupés par cela et on doit encore regarder dans les détails de cette décision une fois qu’elle sera adoptée formellement, car n’ayons pas d’attentes que la situation soit comme le cas Bombardier, nous allons avoir l’application de ces mesures, et nous devrons regarder précisément sur la manière dont les mesures sont appliquées pour voir si on peut les attaquer à l’OMC d’un point de vue anti-dumping. Mais nous devons aussi penser en termes de PAC, qui sont des éléments systémiques qui sont bien plus larges que le cas des olives en soi, et je pense que nous n’aimerions pas que l’OMC regarde par la porte de derrière nos subventions de la boite verte et qu’elle prenne une décision pour savoir si nos règles sont vraiment de la boite verte à travers ce cas, donc c’est quelque chose auquel nous devons penser. Sur les implications, il est clair que les conséquences sont très larges, et on voit également que les Etats-Unis n’ayant pas la règle de « droit moindre », il y aura cumulation d’anti-dumping, déjà très élevé, et d’anti-subvention, cela montre que la non application de la règle de « droit moindre » dans de tels cas est aussi un problème, et pas la solution. Donc l’un dans l’autre, nous allons continuer à regarder cela non seulement avec mon département sous l’autorité de la Commissaire Malmström mais aussi avec la DGAGRI et le Commissaire Hogan, rien n’est exclu, et cela montre aussi que dans le futur, sur la partie anti-subvention, ce sont surtout des subventions de la boite verte qui sont injustement contestées, mais cela montre aussi que dans la PAC actuelle et la future PAC nous devons éviter de multiplier certaines subventions sectorielles de la boîte orange dans l’agriculture, dans les aides directes, qui sont vertes, mais il est déjà possible de multiplier ce type de subvention sectorielle, je connais un Etat Membre en particulier qui possède 46 schémas correspondant à la boite bleue et qui pourraient devenir orange, et je voudrais alerter que ce type de soutien pourrait être contesté aussi par des partenaires et être des cible faciles pour des anti-subventions. Donc je pense qu’ici il faut réfléchir à cela également dans la nouvelle PAC et il faut essayer de coller au maximum à la boite verte. Cela pourrait avoir du sens d’avoir, par exemple, d’utiliser des systèmes d’assurance revenu horizontaux, car même s’ils sont de la boite orange, leur caractère horizontal les rend beaucoup plus difficile à cibler via les droits compensatoires. Je profite aussi de cette opportunité pour faire passer ce message, davantage pour vos collègues de la COMAGRI.
Sur la Russie, la Russie demeure un problème important et on ne détecte pas la moindre volonté de la Russie pour essayer d’améliorer la situation, je me rappelle que nous avons gagné de nombreux cas à l’OMC contre eux récemment, c’est sans précédent qu’un nouveau membre de l’OMC viole autant les règles, et par exemple, ils ont récemment perdu dramatiquement leurs récentes mesures sanitaires et phytosanitaires sur le porc, et au lieu d’essayer de revenir vers la conformité, ils ont ajouté, en abusant encore de la sécurité nationale, ils ont ajouté de nouveaux produits dans les sanctions, qui n’étaient pas couverts par les sanctions précédentes, et là encore si il n’y a pas de solution à cela et que les Russes ne veulent pas faire ce qu’il faut pour se plier aux règles, nous n’hésiterons pas à attaquer, y compris leurs nouvelles mesures, car il est clair que les sanctions actuelles continueraient. Sur la Russie nous devrions être dans une situation qui permet d’améliorer le commerce avec la Russie, mais je ne vois pas de signal positif pour l’instant et plus largement sur la dimension géopolitique avec ce qu’il se passe en Ukraine on ne voit pas d’amélioration.
Sur ce qui a été dit sur la nécessité de rester uni, sur la réforme de l’OMC, également mentionnée, et sur les risques d’une escalade entre la Chine et les Etats-Unis. Sur l’OMC, j’ai déjà parlé de l’ORD, donc il est clair, comme on peut le voir, que quand la Chine a rejoint l’OMC en 2001 la plupart des membres étaient préoccupés par la dimension d’accès au marché, et sur cela la Chine a du faire des efforts sans précédents, mais pour moi nous ne sommes pas assez vigilants sur les règles, il est clair que les règles aujourd’hui sont insuffisantes pour encadrer correctement le comportement de la Chine, en termes de subventions, d’entreprises d’Etat, de transfert de technologie forcée, les joint-ventures et d’investissement, tout cela devrait être mieux encadré et c’est un de nos objectifs clés quand nous évoquons la réforme de l’OMC, et c’est dommage aussi que ce que les USA font actuellement, même si c’est présenté comme étant pour résoudre le problème causé par la Chine, cela va plutôt dans le sens contraire, cela nous affaiblit collectivement, au lieu d’essayer d’utiliser la crise actuelle pour aller au cœur du système chinois, et de demander une réforme à la Chine, les USA, en ciblant ses alliés, affaiblissent plutôt leur main, et le risque d’une telle guerre commerciale, surtout entre US et Chine, je sais que le président Trump dit que les guerres commerciales sont faciles à gagner, mais à mon avis cette guerre-là va être mauvaise pour tout le monde, et je ne vois pas la Chine perdre face aux Etats-Unis. Je pense là encore qu’il est difficile de comprendre l’objectif. Donc risques d’escalade certainement. Pour le moment il est difficile d’analyser l’effet direct sur les produits visés, je ne vois pas pour l’instant beaucoup de conséquences désastreuses pour nous, mais cela reste à analyser. Mais en terme d’humeur générale, car la santé de l’économie dépend aussi de l’anticipation positive ou négative, tout cela ne crée pas de l’anticipation positive.
Sur les questions sur notre action, premièrement, encore une fois, nous ne sommes pas en train de riposter, nous prenons des contre-mesures mesures proportionnées et raisonnables, basées sur les accords de sauvegarde, on peut voir ici que les mesures des Etats-Unis sont de la sauvegarde camouflée, et basé là-dessus on ne couvre en acier et en aluminium, en réaction immédiate, le reste étant dans 3 ans, ou après le règlement des différends, on ne couvre que 40% de la mesure qui nous affecte. Sur la question des conséquences possibles si on gagne ou si on perd notre cas à l’OMC. D’abord pour avoir un règlement par l’OMC il faut une solution pour l’organe d’appel sinon il est possible qu’il n’y ait jamais de décision sur cette situation, et secondement, un tel règlement va prendre beaucoup de temps, ma réponse est que si l’on perd ce serait catastrophique car tout serait autorisé, donc je pense que nous n’avons d’autre choix que de gagner, mais rien qu’en terme de timing, et je ne fais qu’observer, que la décision finale de l’OMC n’aura lieu que dans au moins 3 ans, donc ce sera je suppose après le mandat actuel du président Trump, et je n’anticipe pas s’il va avoir un deuxième mandat ou pas, mais juste en tant qu’observation…
Sur les questions plus systémiques, premièrement je voudrais noter que je suis d’accord, le problème structurel principal est la Chine et ses actions actuelles qui ne vont pas dans le bon sens en terme de subventionnement, d’entreprises d’Etat et de transferts de technologie forcés, c’est pour cela que nous avons attaqué la Chine sur les transferts de technologie forcés, mais malgré la situation difficile avec les USA, nous avons gardé nos coopérations trilatérales avec les USA et le Japon sur les problèmes systémiques que j’ai mentionné. Et vous avez certainement suivi le point de presse commun entre le Secrétaire Lighthizer et le Commissaire Malmstrom à Paris le 31 mai, où une direction claire a émergé pour travailler sur les règles OMC sur ces questions, en premier lieu sur les subventions où les règles sont insuffisantes, en second sur les transferts de technologie forcés et troisièmement de regarder des questions d’économie de marché et d’utiliser au mieux le système OMC actuel en terme de transparence et de notification car de nombreux membres ne respectent pas leurs obligations de notifications. Nous pouvons faire beaucoup de choses et nous gardons cette voie ouverte, et c’est important d’avoir cela à l’esprit. Je pense que l’OMC est un outil utile mais que dans la situation actuelle, et c’est pour cela que la réunion ministérielle sur l’acier qui aurait dû avoir lieu à Paris aujourd’hui avec une présidence argentine, n’aura pas lieu et sera reportée à Septembre, la situation présente n’étant pas propice à obtenir des engagements sérieux. Par exemple la Chine est déjà, avant les mesures 3.0.1 annoncées par les USA, la Chine a commencé à utiliser des mesures 2.3.2 sur l’acier et l’aluminium pour essayer de conditionner leur bonne volonté à travailler à la suppression de ces mesures. Je pense que cet argument avant la mesure 3.0.1 n’était pas sérieux, car nous sommes bien plus affecté en tant qu’UE, et bien d’autres membres aussi, par les mesures 2.3.2 que la Chine, les mesures 2.3.2 sur l’acier et l’aluminium concernent presque tout le monde sauf la Chine parce que la Chine a déjà été ciblée par les mesures de sécurité nationales des USA, donc je pense qu’ici, c’est quelque chose que nous devrions avoir à l’esprit, cela donne un bon exemple de quelque chose qui donnerait une opportunité à la Chine de ne pas être prise au sérieux sur le sujet des surcapacités pendant le forum sur l’acier.
Sur l’idée qu’une crise peu représenter une opportunité, je suis d’accord, dans une crise quand on sait bien quels sont les problèmes et quels sont les objectifs des différents partenaires, on peut ressortir en meilleur état qu’en y entrant mais ici il est très difficile de savoir, premièrement, personnellement je ne sais pas exactement quels sont les objectifs du président Trump, s’il a des objectifs clairs ? Deuxièmement, la dernière chose à faire serait de faire prononcer l’acronyme TTIP ou de faire revivre les négociations du TTIP car ça n’irait nulle part [une des questions des députés concernait une possible reprise des négociations du TTIP comme alternative aux blocages multilatéraux], comment peut-on penser qu’alors que les négociations ont bloqué avec l’administration précédente, qui pourrait être qualifiée de « normale », que l’on pourrait trouver une solution dans une négociation large du TTIP avec cette administration. Et de toute façon cela ne veut pas dire que nous ne sommes pas prêts à relancer ces négociations, clairement, il y a eu 15 conférences téléphoniques entre la Commissaire Malmström et le Secrétaire Ross, et j’ai participé à toutes, et nous étions prêts à proposer, si nous avions été retirés de la liste des sanctions, à discuter de tarifs et d’avoir un agenda positif qui aurait pu mener à des perspectives uniquement tarifaires dans les produits industriels avec une totale libéralisation, cela aurait été l’objectif, pas en agriculture car beaucoup plus compliqué, des deux côtés, mais il n’y a eu absolument aucune traction du côté américain, le Secrétaire Ross répétait à l’envie ce dont il avait besoin, il aurait fallu que nous acceptions des quotas durs sur acier et l’aluminium, et une réduction de nos exportations actuelles, et c’est quelque chose que nous aurions dû accepter, je me rappelle de la terminologie, pour obtenir l' »absolution » car nous sommes censés être des pêcheurs je suppose, mais franchement il y a beaucoup de chemins et de moyens pour trouver des solutions à des problèmes lorsqu’il y en a, sur de nombreux éléments y compris les voitures, mais cela ne peut être des concessions unilatérales, et l’approche qui consiste à prendre des mesures illégales dans les règles internationales et demander ensuite une rançon pour enlever ces mesures n’est pas la bonne approche. Notre porte est ouverte s’il y a une possibilité de discuter, et nous sommes toujours ouverts aux discussions raisonnables mais pas avec un pistolet sur la tempe.
Sur l’impact quantitatif : il est clair que toutes ces mesures seront préjudiciables en général, en particulier pour l’économie américaine, il y aura des effets positifs artificiels sur l’industrie de l’acier mais globalement cela va détruire des emplois, et certains imaginent qu’avec ce type de mesure on peut reconstruire le secteur de l’acier en Ohio et en Pennsylvanie, ce n’est pas la façon dont l’économie fonctionne. Il y a déjà eu une mesure de ce type avec la mesure de Bush en 2002 sur l’acier et l’aluminium, de bonnes études ont montré que, alors que c’était présenté comme une mesure de sauvegarde, que nous avons attaqué et gagné, de nombreuses études ont clairement montré que cela était préjudiciable à l’économie. Il est clair que sur les voitures et les pièces automobiles cela sera encore pire, y compris pour l’économie des USA. Sur l’ALENA, oui il y a beaucoup de lien avec l’ALENA, sur les voitures et les pièces automobiles, il est clair qu’il y a une intégration des voitures et des pièces automobiles comme un grand élément dans la construction de l’ALENA, et cela a été aussi positif globalement pour tout le monde, il est clair que les Etats-Unis ont un déficit, mais il y a des chaines de valeur très intégrées dans le système de l’ALENA, et quand on voit les résultats de cela, il est difficile de dire qu’ils ont été négatifs globalement, et je sais que du côté du Mexique et du Canada il y a eu des ouvertures pour trouver des solutions mais il y a eu aussi d’autres demandes qui ont rendu impossible à conclure ces négociations de l’ALENA en particulier l’idée d’une clause pour renégocier l’accord tous les cinq ans, il n’y a eu aucune appétence ni du Canada ni du Mexique pour entrer dans une telle approche, et l’UE ne pourra jamais faire de telles choses non plus. Le problème automobile est donc aussi beaucoup à propos de l’ALENA, mais nous avons de nombreuses choses en commun avec le Canada et le Mexique, nous travaillons bien ensemble et nous nous coordonnons bien.
A propos de la contre-attaque, nous de ripostons pas, nous prenons des mesures de rééquilibrage, et, vous évoquez la psychologie de M. Trump, personnellement je ne suis pas psychologue ni psychiatre mais la dernière chose à faire est de tout mettre à feu, et la dernière chose à faire face à un tel comportement est d’avoir l’air faible, franchement si on ne réagit du tout, je suis certain que ce sera un processus sans fin d’addition de nouvelles mesures, donc je pense ici encore que l’on doit défendre nos intérêts, donc oui ces mesures sont mauvaises globalement, mais nous devons montrer l’UE doit être respectée et est prête à réagir.
Sur la question du bilatéralisme avec les USA, j’ai répondu, le TTIP n’est pas du tout dans l’agenda, et il est clair que s’il y avait une perspective d’enlever les mesures des deux côtés nous sommes prêts à continuer à s’engager avec les Etats-Unis, bilatéralement ou plurilatéralement, personnellement je pense qu’il serait bon d’essayer de travailler avec ceux qui ont le même état d’esprit, nous travaillons très bien avec le Japon, avec le Canada, le Mexique, la Corée, sur les voitures il y a un intérêt là aussi. Enfin, je pense qu’en terme de « quand » les mesures des Etats-Unis pourraient entrer en vigueur, le plan du président Trump est très clair à mes yeux, il essaie d’avoir, pour des raisons électorales domestiques, il veut que ces mesures sur les automobiles et les pièces automobiles soient en vigueur avant les élections de mi-mandat, il fera de son mieux pour y arriver. Ce que j’ai dit est crucial, il faut présenter le cas, nous n’avons pas le temps de discuter du problème des voitures et des pièces automobiles, et je suis sûr que nous aurons d’autres opportunités de le faire, mais la complexité de la situation, par exemple quelque chose qui n’est pas connu, c’est que les entreprises de production automobile européennes aux Etats-Unis exportent autant de voitures au reste du monde, en particulier en Chine, qu’ils n’en exportent aux USA, donc tout cela montre une complexité. Ce qui est important maintenant, c’est de présenter les bons arguments sur ce cas, de les présenter dans le système politique aux Etats-Unis, et même au sein des entreprises, des syndicats, pour montrer combien cette voie est dangereuse et comment elle peut mener à de très mauvais résultats et ne pas aller au cœur des principales causes, et cela affaiblit notre pouvoir collectif de négociation avec la Chine et il va certainement falloir négocier avec la Chine mais avec la situation actuelle je ne vois pas comment cela pourrait être facile. Je pense que j’ai répondu à toutes les questions, mais il est clair que nous devons être très vigilants, très actifs, déterminés et unis.
Le pire scénario serait celui de la désunion entre Etats Membres et entre les différentes institutions européennes dans ces moments très difficiles qui nous attendent. Merci beaucoup de votre attention.