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Depuis 2014, l’agriculture européenne a connu une série de crises de marchés qui a mis en évidence les limites de la dérégulation des outils d’intervention de la PAC. Développer des outils contracycliques dans la PAC semble ainsi constituer un des objectifs centraux des prochaines négociations afin d’améliorer l’efficacité et l’efficience de la PAC et redonner au budget de la PAC une réelle plus-value communautaire.
Dans ses propositions de réformes parues en mai dernier, la Commission reste toutefois peu encline à cette évolution, mis à part le sujet de la réserve de crise. Elle ne propose aucun développement règlementaire s’agissant de l’utilisation des mesures de crise définies aux articles 219 à 222 du règlement OCM introduits par le Commissaire précédent. Cette situation semble pour le moins étonnante tant l’activation de l’aide à la réduction volontaire de la production laitière mise en place fin 2016 reste l’un des principaux succès du mandat du Commissaire Hogan.
Dans cette étude, nous évaluons les mesures prises par la Commission lors de la crise du lait de 2015/16. En premier lieu, nous rappelons que la crise du lait est la résultante directe de la suppression des quotas laitiers. La stratégie de « l’atterrissage en douceur » qui visait à accroître progressivement les quotas avant de les supprimer pour retrouver une situation d’équilibre restera dans les annales des erreurs de politique économique en matière agricole.
Face à la chute des prix, la Commission a déclenché l’article 222 qui autorise temporairement les ententes dans le secteur afin de remédier à la surproduction. Cette mesure, très contestable sur son principe, n’a eu aucun effet. En revanche, activée quelques mois plus tard, l’aide à la réduction volontaire de la production laitière a été efficace puisqu’elle a permis une remontée des prix dès son annonce. La mesure a reçu un accueil favorable : elle a été adoptée par 27 des 28 pays de l’UE et la quasi-totalité de l’enveloppe proposée a été demandée par les éleveurs dès la première des 4 offres prévues. L’Irlande et la Belgique sont les pays qui ont relativement le plus bénéficié de l’aide. Bien qu’efficace, la mesure aurait toutefois pu être mise en œuvre plus tôt, ce qui aurait évité d’accumuler des stocks de poudre dans les réserves communautaires. Comme le montre le graphique-ci-dessous, les stocks publics de poudre ont rapidement dépassé les 350 000 tonnes. Ce volume est à relativiser puisqu’il ne représente que 2% de la production annuelle européenne de produits laitiers.
En comparant avec les précédents de 2002/05 et 2009/2012, il apparait que la stratégie d’écoulement des stocks de poudre a été uniquement basée sur des appels d’offre – appelés également adjudications – alors que l’aide alimentaire et l’alimentation animale ont constitué d’autres leviers par le passé. Surtout, dès septembre 2017, les appels d’offre ont donné lieu à des ventes à des prix inférieurs au seuil d’intervention de 1698€/tonne qui est censé être le plancher européen.
En acceptant des offres à prix cassé jusqu’à 1050€ début 2018, la Commission a imaginé liquider au plus vite ces stocks. Il n’en a rien été et les opérateurs ont mis en échec la stratégie de la Commission en n’achetant pas à ce niveau pour préférer profiter de l’effet de dumping des adjudications à prix cassés. Les choix de la Commission en matière d’écoulement des stocks ont donc conduit à faire perdurer les effets de la crise pour les producteurs. Au final, c’est la sécheresse de l’été 2018 qui aura sorti la Commission de l’enlisement. Le préjudice pour les éleveurs laitiers de cette stratégie reste à établir précisément, mais l’effet sur les prix de la poudre et donc du lait est indéniable. Il aura fallu 2 ans à la Commission pour se défaire de l’équivalent d’une semaine de production.
Sur la base de cette évaluation, différentes recommandations sont émises. Avec les articles 219 et 221, la Commission dispose d’une base suffisante pour gérer les crises. Le règlement OCM devrait intégrer des articles précisant les modes d’action des différentes mesures envisageables afin de tenir compte de la spécificité des différents produits. Pour être plus réactive et améliorer sa pratique, la Commission doit, comme toute autorité de gestion de fonds communautaire, inscrire son action dans un cadre de performance pour engager une démarche de progrès. Le règlement OCM doit évoluer en ce sens et également accroître les prérogatives de la Commission en matière de transparence des marchés. Avec la révision des directives de régulation financière (directives Barnier), les matières premières agricoles sont entrées dans le champ de la supervision financière et la Commission doit assumer sa fonction de régulateur sectoriel.