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La politique agricole américaine vient d’être réformée et les éleveurs laitiers n’ont pas été oubliés en cette période de crise. Le dispositif d’aides contracycliques sur marge introduit en 2014 a été considérablement renforcé : le Dairy Margin Program (DMP) offrira la possibilité aux éleveurs de bénéficier d’aides publiques dès que le prix du lait passera en dessous d’environ 350 € par tonne de lait. Cette mesure est particulièrement avantageuse pour les élevages de moins de 200 vaches qui représentent 82% des fermes mais moins du quart de la production américaine. Contrairement à une idée très répandue, le DMP ne relève pas de la catégorie des assurances mais des aides contracycliques : le financement est assuré par le budget fédéral et la prime d’engagement versée par l’éleveur est faible voire symbolique.
Les États-Unis sont connus pour leur pragmatisme et leur interventionnisme en matière agricole. Dans le secteur laitier, les offices fédéraux de commercialisation du lait (Federal Milk Marketing Orders) qui organisent la commercialisation collective du lait par grand bassin de production constituent l’un des piliers historiques de la politique agricole américaine. Mais, à l’instar des producteurs de grains qui bénéficient de longue date d’aides contracycliques – c’est-à-dire, dont le niveau varie avec le prix de manière à garantir un prix de référence -, les éleveurs laitiers ne disposaient pas encore d’une protection aussi forte. C’est chose faite avec le nouveau Farm Bill 2018 qui a été voté en décembre dernier. Rebaptisé Dairy Margin Coverage (DMC) Program, ce nouveau dispositif de soutien renforce le précédent programme (le DP-MPP pour Dairy Producers – Margin Protection Program) qui n’avait pas donné satisfaction, essentiellement faute d’attractivité : seuls 60% des éleveurs laitiers américains se l’étaient appropriés et ils avaient opté pour des niveaux de protection trop bas1.
Le nouveau programme introduit deux modifications majeures qui devraient concourir à son succès en particulier pour les élevages produisant moins de 5 millions de pounds par an – soit 2,26 millions de litres – c’est-à-dire la production moyenne de 215 vaches laitières2. La première tient à la baisse des primes d’engagement que doivent verser les éleveurs pour y participer : déjà faibles, elles sont devenues symboliques (moins de 1% de la valeur garantie). La seconde tient à la possibilité d’augmenter la couverture. Précédemment les éleveurs pouvaient choisir un niveau de marge brute minimal compris entre 4 et 8 $ par cwt (soit entre 77 et 154€/t), avec le programme DMC ils pourront porter le niveau de marge brute garantie jusqu’à 9,5 $ par cwt soit environ 182 €/t3. Ainsi, en additionnant ce niveau de marge brute garanti au coût alimentaire actuel d’environ 168€/t4, les éleveurs laitiers recevront des aides qui compenseront totalement les baisses de prix à partir de 350€/t. De quoi couvrir l’essentiel des coûts de production pour une cotisation annuelle symbolique de 2,9€/t !
Le graphique ci-dessous représente les différents paramètres du nouveau programme avec une marge brute minimale à 9,5 $/cwt, soit 182 €/t. Quand le prix du lait (en vert) est inférieur à la somme (en jaune) de la marge brute minimale et des coûts alimentaires (en orange), alors les paiements se déclenchent (les surfaces en bleu – ici représentées y compris sur la période avant la réforme).
Graphique 1 : Exemple de couverture de la marge brute à 9,5$/cwt
Un avantage aux fermes de moins de 215 vaches
Pour les plus grands élevages, le programme DMC sera moins intéressant. S’ils bénéficiaient des mêmes niveaux de couverture pour la production de leur 215 premières vaches, le reste de leur production ne pourrait bénéficier que d’un niveau de prix garanti maximum d’environ 320€/t en contrepartie d’une prime d’engagement cette fois-ci non négligeable de 34,9€/t. Alors que les 1953 exploitations de plus de 1000 vaches ne représentent que 4,9% des fermes laitières mais détiennent plus de 55% des vaches laitières américaines, le nouveau dispositif va se traduire par des transferts financiers des grands vers les petits élevages, même si les producteurs peuvent choisir de ne pas engager toute leur production.
On voit là la traduction du soutien politique important dont bénéficient aux Etats-Unis les fermes de type familial : leur contribution à la vitalité des communautés rurales est notamment mise en avant, particulièrement dans le nord-est du pays où elles sont très présentes. Cela semble également poursuivre l’objectif de conserver des savoir-faire indispensables pour maintenir et développer le potentiel de production américain : la motivation d’éleveurs prêts à s’engager dans une production exigeante – en compétence, en travail et en capital – constituant l’un des principaux facteurs limitants du développement laitier.
Un programme d’aides contracycliques et non des assurances privées
Avec le renforcement du programme DMC, on s’attend à ce que les éleveurs participent largement et pour des niveaux de couverture élevés. La période d’engagement commence le 17 juin 2019, mais le programme sera rétroactif à compter du 1er janvier 2019 : on sait déjà que sur les premiers mois les souscripteurs recevront plus que la cotisation demandée. De plus, les éleveurs qui avaient participé à la précédente version pourront demander un remboursement s’ils avaient davantage cotisé que perçu. Enfin, une ristourne de 25% sera offerte aux éleveurs qui s’engageront dès maintenant pour les 5 prochaines années.
Il s’agit donc bien d’un programme d’aides contracycliques géré et financé par l’Etat fédéral et non d’un programme d’assurance comme certains propagateurs de fake news le prétendent. Certes, les éleveurs ont le choix entre différents niveaux de couverture, mais les primes d’engagement restent d’un montant faible voire symbolique pour les détenteurs de moins de 215 vaches.
Une réforme de nature à mettre un terme au débat sur la maitrise de l’offre ?
Si elle s’est manifestée avec un décalage de deux ans par rapport à l’Union européenne, la crise de surproduction actuelle touche maintenant de plain-pied les éleveurs américains. Ce retournement de marché n’a pas été étranger au retour du débat sur le besoin d’une meilleure gestion de l’offre de lait aux Etats-Unis6. En effet, le constat de l’absence de réponse de l’offre laitière à la baisse des prix n’y est plus à faire. De plus, les Etats-Unis ont un important historique depuis le début des années 1980 s’agissant de mesures émanant du niveau fédéral ou des coopératives – par exemple le programme Cooperatives Working Together – pour accompagner des réductions temporaires de production comme l’a rappelé dans un article récent John Newton, l’économiste en chef du syndicat agricole Farm Bureau. Et, cette même logique prévaut dans les 28 productions organisées en office de commercialisation comme la canneberge où il a été décidé de supprimer un quart de la dernière récolte pour sortir le marché de déprime.
En définitive, le renforcement du programme DMC doit sans doute être vu comme le moyen de répondre aux revendications des syndicats agricoles du nord-est des Etats-Unis où les fermes sont encore majoritairement familiales, tout en évitant de brider le potentiel de production américain et ses exportations croissantes.
Frédéric Courleux, Directeur des études d’Agriculture Stratégies
Willy Olsommer, Etudiant à AgroSup Dijon
1 Voir le rapport du service de recherche du Congrès américain : https://crsreports.congress.gov/product/pdf/IF/IF11188
2 Voir la synthèse réalisée par A. Novakovic et de M. Stephenson : https://dairymarkets.org/PubPod/Pubs/BP18-02.pdf
3 Cwt = hundredweight. La parité $/€ est la moyenne annuelle de 2018, soit 1,18 $ pour 1 €.
4 Le coût alimentaire n’est pas calculé à partir des données de chaque exploitation mais d’une formule générique prenant en compte les prix du maïs, du soja et de la luzerne.
6 Voir notamment la campagne https://www.dairytogether.com/