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Nous reproduisons ci-dessous les deux dernières parties du rapport «le rôle croissant du secteur privé dans les politique agricoles et alimentaires en Afrique » coordonné par Inter-réseaux, le bureau d’études Issala et l’association SOS Faim.
Très analytique, ce rapport présente différentes formes d’institutionnalisation de l’influence de firmes multinationales notamment du secteur des semences et des engrais mais aussi de fondations comme la Fondation Gates. Les liens entre ces acteurs économiques et différentes structures comme l’Alliance pour une révolution verte en Afrique (Agra) sont établis. Ils permettent de comprendre l’émergence d’initiatives politiques internationales comme la NASAN (nouvelle alliance pour la sécurité alimentaire et nutritionnelle) lancée par le G8 en 2012 pour « améliorer la sécurité alimentaire et la nutrition en Afrique subsaharienne en misant sur l’accélération de l’apport de capitaux privés pour développer le secteur agricole africain » comme l’indique le rapport1.
La place croissante du privé dans le développement agricole africain
Pour les auteurs du rapport, la montée en puissance des acteurs privés dans ce type d’initiatives remonte au début des années 2000 et a été largement accélérée suite à la crise alimentaire de 2007/08. L’augmentation de la productivité du secteur agricole a alors été érigée en priorité par de nombreux pays y compris africains et « les firmes internationales [sont apparues comme étant] en mesure de mobiliser les connaissances, les technologies et les facteurs de production à même de combler le fossé de productivité des agricultures africaines ».
Cette évolution aurait conduit à donner une place prégnante à ces acteurs privés dans la définition des politiques des pays concernés qui se sont livrés à une compétition pour accueillir les projets de financement en contre-partie de réductions fiscales et d’arrangements sur les standards d’importation. Cette baisse des ressources fiscales expliquerait en partie pourquoi une part importante des pays africains n’a pas été en mesure de respecter l’engagement pris en 2003 à Maputo de consacrer plus de 10% des ressources budgétaires de l’Etat à l’agriculture.
Plus largement, le rapport dénonce la promotion d’un modèle unique de développement basé sur un recours massif aux intrants et la mobilisation de capitaux étrangers pour des projets de grandes ampleurs. Aussi, il liste cinq risques importants liés à cette logique de développement :
- La réduction du nombre d’emplois dans l’agriculture
- L’accentuation des disparités entre les ménages agricoles
- Une vision réductrice de la malnutrition (promotion d’aliments enrichis)
- La domination économique des producteurs par des contrats léonins
- L’éviction des populations locales dans le contrôle du foncier
Le secteur privé ne peut se substituer à l’action publique
Fort de ce constat, les auteurs en appellent à un besoin de régulation publique car les acteurs privés « sont dotés d’une rationalité qui reste pourtant, a priori, différente de celle d’une collectivité ou d’un Etat, dont l’objectif premier devrait être le bien-être social et économique des populations ». L’élaboration des politiques publiques devrait davantage impliquer la société civile et les organisations paysannes dont il s’agit de reconnaitre, pour y remédier, les déséquilibres dans les rapports de force avec les autres acteurs.
En définitive, ce rapport, prudent et bien documenté, pose un constat factuel d’un déséquilibre entre acteurs privés et acteurs publics dans la définition et l’exercice des politiques agricoles. Toutefois, la promotion des assurances comme substitut des politiques de régulation n’apparait pas alors qu’elle fait clairement parti des solutions promues par les acteurs étudiés. De plus, la responsabilité des institutions internationales (Banque Mondiale, FMI, OMC) est à peine mentionnée avec les plans d’ajustement structurels des années 1980 (p.50). Et, au final, on en arrive à se demander si la vraie question qui mérite d’être investiguée ne serait pas plutôt celle des raisons de l’affaiblissement des institutions publiques de ces pays. Le développement agricole de l’Afrique, comme partout ailleurs au demeurant, ne pourra faire l’économie d’un investissement conséquent dans les institutions (y compris coopératives) de ces pays. Sans institutions propres, pas de développement.
1 La France n’est plus membre de cette initiative depuis février 2018