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En bref : Réussir le Green Deal nécessite redonner toute leur valeur aux ressources naturelles et aux produits agricoles qui en sont issus. Il convient de rappeler une réalité : on ne pourra pas accompagner l’agriculture européenne vers la durabilité tout en continuant à réduire le budget de la PAC et à déréguler les marchés agricoles. Le Green Deal doit permettre de reconstruire un contrat politique entre la société et ses agriculteurs sur la base d’une réhabilitation de l’intervention publique en agriculture, seule à même d’accompagner efficacement le changement et d’en assurer l’acceptabilité. C’est ce que propose Agriculture Stratégies avec un projet de réforme de la PAC privilégiant des instruments qui continuent de faire la preuve de leur efficacité comme des aides contracycliques qui varient en fonction des prix, des contrats de transition agroécologique ou encore des quotas de production pour cibler la surproduction là où elle est la plus nocive pour l’environnement. |
Sortir d’une logique d’enveloppes budgétaires et de dumping
Engager l’agriculture européenne dans les transitions nécessaires à l’atteinte des objectifs du Green Deal représente un défi important pour la PAC et une chance pour l’agriculture européenne. En effet, la PAC a été réduite à la distribution d’enveloppes budgétaires, sans capacité d’orientation des modes de production. L’agriculture européenne se trouve ainsi piégée par une trajectoire de réformes de la PAC qui, à vouloir suivre trop à la lettre les règles agricoles de l’OMC, a surestimé les capacités autorégulatrices de marchés laissés à eux-mêmes. A l’inverse des grands pays producteurs qui renforcent leurs politiques agricoles depuis la crise alimentaire de 2007/08, l’agriculture européenne se retrouve entre le marteau de standards de production les plus élevés au monde et l’enclume de la course à la compétitivité sur des marchés internationaux.
Pour l’UE, il est temps de tourner la page du découplage des soutiens à l’agriculture qui représente la principale raison de l’inefficacité de la PAC face aux crises de marché, mais aussi dans l’accompagnement vers la transition environnementale.
Sans capacité à maintenir suffisamment de valeur ajoutée dans les fermes et sans soutiens spécifiques conséquents, les agriculteurs sont dans l’incapacité de prendre les risques du changement de pratiques plus vertueuses pour l’environnement. Intégrer pleinement la logique du Green Deal dans la PAC amène à considérer que l’on ne peut pas poursuivre à la fois les trois objectifs politiques actuels, à savoir assurer la durabilité environnementale, déréguler les marchés et baisser les ressources budgétaires.
La capacité du Green Deal à transformer la PAC et l’agriculture européenne dépendra des moyens donnés aux agriculteurs pour transformer leurs systèmes de production. Il s’agit non seulement de moyens budgétaires provenant du budget de la PAC mais aussi de la valeur qui sera recréée dans le prix des produits par une meilleure régulation des marchés et davantage d’adéquation de l’offre à la demande des consommateurs. Sortir du dumping est la condition sine qua non de la transition environnementale.
Réhabiliter l’intervention publique en agriculture
Ainsi, la proposition d’Agricultures Stratégie consiste à établir un nouveau contrat politique entre la société et ses agriculteurs sur la base d’une réhabilitation de l’intervention publique en agriculture. Celle-ci devra prendre plusieurs formes :
- Réhabilitation de la régulation par les volumes à travers les stocks, les quotas de production et les débouchés non alimentaires
A l’heure où le changement climatique fait craindre la multiplication d’évènements extrêmes, il serait opportun de réhabiliter les coopérations internationales autour des stocks publics, et de définir une politique de stockage européenne propre à assurer la sécurité alimentaire. La récente période de déstabilisation des échanges, qu’il s’agisse de troubles liés à la Covid 19 ou de tensions internationales montre bien la nécessité d’une autonomie stratégique alimentaire.
Il serait opportun de réhabiliter une logique de régulation de la production, notamment pour des productions animales, pour gérer le nécessaire équilibre des marchés. Face aux tendances à la baisse de consommation de produits animaux, et à l’augmentation plus rapide de la production laitière face à celle de la consommation, il devient urgent d’accompagner au mieux les organisations de producteurs.
En ce qui concerne les productions végétales, l’amorce d’un dialogue entre grands pays producteurs de biocarburants pour flexibiliser et coordonner les politiques de développement de cette énergie renouvelable constituerait une voie complémentaire. On utiliserait ce débouché pour stabiliser les marchés internationaux tout en sécurisant la nouvelle stratégie en matière d’économie circulaire et de bioéconomie annoncée dans le Green Deal européen.
- Réhabilitation de la régulation par les prix à travers les aides contra-cycliques et les mécanismes d’ajustement aux frontières
L’acceptabilité du Green Deal dans les campagnes suppose une meilleure régulation des revenus. A court/moyen terme, nous conseillons une approche contracyclique dans le versement des aides de la PAC en prévoyant le non-versement d’une part des aides en cas de nouvelles flambées des prix agricoles, afin de les réserver pour les années où les prix auront rechuté. Des aides couplées à la production et/ou variant en fonction des prix, c’est-à-dire des aides contracycliques, seront toujours plus efficaces que des aides découplées, versées sans lien avec la production dans une logique de consommation budgétaire.
L’une des propositions phare du Green Deal européen est la mise en place d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières. Si l’Union européenne utilise massivement l’accès à son marché intérieur comme contrepartie afin de tirer vers le haut les standards de production chez nos partenaires commerciaux, cela constituera un tournant majeur pour le commerce international.
4 piliers pour réussir le pari du Green deal
Il s’agira donc pour l’UE de montrer qu’elle est prête à se donner les moyens d’œuvrer à la transition environnementale de l’agriculture. La réduction des émissions de méthane et de protoxyde d’azote devra s’opérer dans le souci d’arbitrages complexes avec d’autres objectifs environnementaux mais aussi en tenant compte de la sécurité alimentaire et de l’économie des filières.
Le Green Deal est indéniablement l’occasion de lancer une nouvelle trajectoire de réformes de la PAC pour redonner à l’UE sa souveraineté en matière alimentaire, agricole et environnementale. Après la PAC des origines et celle issue de la réforme de 1992, cette troisième PAC pourrait s’organiser autour de 4 piliers.
- Le premier serait dévolu à l’organisation économique des producteurs et devrait notamment permettre aux organisations de producteurs et associations d’organisations de producteurs d’être en capacité d’ajuster leur offre pour ne pas déstabiliser leurs marchés. Cette responsabilisation des producteurs peut pour autant ne pas s’avérer suffisante et nécessite un pilotage des marchés par le niveau communautaire, seul garant de l’intégrité du marché unique.
- Dans le deuxième pilier se situeraient les mesures de gestion de crise à l’instar de l’aide à la réduction volontaire de la production laitière expérimentée avec succès en 2016 mais aussi la possibilité d’utiliser les biocarburants comme un stabilisateur des marchés grâce à une priorisation des usages alimentaires sur les usages non alimentaires. Pour les produits soumis aux aléas des prix internationaux, des aides contracycliques pourront permettre une stabilisation des revenus dans une optique d’efficience dans l’emploi des fonds publics et de plus-value communautaire en association avec les mesures de pilotage de marché.
- Le troisième pilier serait celui de la transition environnementale et énergétique en recourant à des approches contractuelles qui sont bien plus efficaces que les démarches fondées sur le verdissement d’aides découplées. Pour les agricultures des zones à handicaps naturels notamment, disposer d’aides couplées à la production nous semble nécessaire car les services rendus dans ces territoires dépendent directement de la production. De plus, il est important que le niveau communautaire reste le garant de la politique environnementale car, à défaut, renvoyer cette responsabilité aux Etats membres se traduira par un nivellement par le bas.
- Le quatrième nouveau pilier doit permettre d’assurer le renouvellement des générations et de soutenir l’investissement. La pyramide des âges des agriculteurs est plus que préoccupante et la décennie à venir sera décisive car sans assez d’hommes et de femmes dans l’agriculture, la valeur ajoutée et les capacités de transition des systèmes s’étioleront. Outre l’aide à l’installation, une meilleure articulation entre la PAC et les politiques foncières des Etats membres est indispensable car l’accès au foncier est le passage obligé pour assurer le renouvellement des générations et c’est lors de l’installation que les investissements offrent le plus grand levier possible pour orienter les exploitations vers la durabilité qu’elle soit environnementale, économique ou sociale.
Cette nouvelle PAC s’inscrirait dans les limites des perspectives financières pluriannuelles, maintenues à un niveau équivalent à celles dévolues à la période 2014-2020, ce qui semble aller dans le sens des négociations 2021-2027 ouvertes au sein des Institutions européennes et respecterait pleinement les traités et le règlement financier en vigueur.
La Note de Référence Stratégique « Le Green Deal, une opportunité pour réorienter la Politique Agricole Commune » est disponible dans sa version intégrale à l’adresse suivante : https://www.agriculture-strategies.eu/wp-content/uploads/2020/03/NRS-PAC-Green-Deal.pdf |