Télécharger le PDF
Cet article de Eric Andrieu et de Frederic Courleux fait un point détaillé et précis du projet de PAC en cours de discussion au sein de l’Union européenne, en mettant en évidence le rôle important joué par le Parlement européen.
Leur analyse et les enseignements qu’ils en tirent démontrent que si la proposition initiale de la Commission européenne était trop marquée par le greenwashing et la poursuite d’une renationalisation de la PAC, le Parlement s’est efforcé d’être force de proposition et instance de vigilance. Mais malgré des votes courageux, notamment sur la dimension sociale de la PAC et les plans stratégiques, qui ont pu mobiliser différentes tendances, la PAC reste trop marquée par la logique du découplage des aides. Nous avons à plusieurs reprises dénoncé cette idéologie héritée d’une approche compatible avec les règles de l’OMC que l’Europe est désormais la seule à conserver et qui stérilise l’impact stratégique et l’utilité économique du budget de la PAC. Sans pour autant démontrer une quelconque vertu en matière de non distorsion, comme l’a révélé l’affaire des olives de table espagnoles.
Mais faute d’une cohésion suffisante entre les Etats membres cette pratique qui concerne les trois quarts du budget européen de l’agriculture perdure faute d’une volonté commune. Nous espérons que la crise actuelle et les réflexions qui commencent à poindre sur des thèmes tels la sécurité et la souveraineté alimentaires finiront par être considérés à leur juste place par les Etats européens.
Mais pour l’heure, les débats qui s’engagent dans le cadre des trilogues permettront de voir dans quelle mesure l’action du Parlement aura permis d’améliorer, même à la marge, une réforme de la PAC bien mal engagée au regard des enjeux et des objectifs mis en avant par le Green Deal européen.
Jacques Carles, Président d’Agriculture Stratégies
Fin octobre, le Parlement européen a voté les trois rapports (plans stratégiques, règles horizontales et organisation commune de marché) qui composeront la prochaine PAC une fois les négociations en trilogue achevées avec le Conseil et la Commission européenne. Certes, le travail du Parlement n’a pas pu renverser la logique de la proposition initiale de la Commission européenne. Parue à la mi 2018, cette proposition ne porte aucune véritable ambition nouvelle, elle chemine encore un peu plus sur la voie dangereuse d’une renationalisation fatale pour la principale politique européenne intégrée et, surtout, elle aurait dû être remise en cause pour mieux correspondre aux ambitions affichées de la nouvelle Commission via le Green Deal et la stratégie de la ferme à la fourchette.
Pour autant, l’analyse du contenu des rapports votés montre que le Parlement a pleinement joué son rôle de co-législateur en défendant le caractère commun de la PAC, en montrant qu’il n’était pas particulièrement emballé par les « éco-régimes » et le « nouveau modèle de mise en oeuvre » et, enfin, en faisant émerger des préoccupations nouvelles notamment en lien avec le phénomène inquiétant d’accaparements fonciers dans l’est de l’Europe.
Dans cette note, nous revenons sur les résultats des votes du Parlement pour le rapport « plans stratégiques », c’est à dire le cadre commun à partir duquel les Etats membres établiront leurs choix en matière de distribution des aides de la PAC afin de répondre aux objectifs environnementaux et sociaux.
Comment éviter une seconde couche de greenwashing ?
Les mots-valises et les concepts flous sont toujours très pratiques pour faire avancer une négociation : chacun peut y voir ce qu’il veut y voir, mais, à la fin, les désillusions sont souvent grandes. Lors de la précédente réforme, le Paiement Vert devait permettre de verdir le premier pilier de la PAC, et l’on sait que de dérogations en tolérances, sa portée fut très faible. En sera-t-il différemment avec les éco-dispositifs (eco-schemes en anglais) dont on ne connait toujours pas grand-chose alors même la Commission les a mis sur la table des négociations il y a plus de deux ans ? A ce stade, on sait seulement qu’ils prendront la forme d’aides annuelles, découplées de la production, versées à l’hectare, c’est à dire les critères nécessaires pour continuer à être classés dans la boite verte de l’OMC. Aussi, il sera intéressant de voir si la possibilité d’avoir des aides par ferme, nouveauté introduite par le Parlement, résiste à l’issue du Trilogue, tant être le bon élève des règles agricoles de l’OMC surdétermine toujours les débats sur la PAC.
Preuve que le Parlement est sur ses gardes et cherche à éviter une seconde couche de greenwashing, on retiendra que les amendements votés fixent à 30% minimum le montant du premier pilier qui devront être consacrés aux éco-dispositifs (le Paiement Vert à l’œuvre depuis 2015 mobilise déjà 30% de ce pilier), que la Commission devra présenter une liste de mesures éligibles dans les 2 mois après la parution du règlement et qu’une évaluation indépendante sera lancée dès que la Commission aura validé les choix des Etats membres. Le Parlement a également introduit le principe d’une révision à mi-parcours, dès 2026.
Il est en effet à craindre que l’on assiste au « concours Lépine de la mesurette pseudo-agro-environnementale », où des trésors d’imagination seront déployés pour proposer des dispositifs peu contraignants ouvrant la voie à un jeu d’optimisation pour les Etats membres : il s’agira d’avoir les objectifs les moins élevés et les mesures les moins ambitieuses pour limiter les risques de ne pas consommer son enveloppe. Et surtout le nivellement par le bas des ambitions environnementales sera d’autant plus la règle que l’argument de ne pas établir des règles plus coercitives que ses voisins primera. C’est sans doute la raison pour laquelle le Parlement a choisi de maintenir la pression sur la Commission européenne qui aura in fine à valider les choix des Etats-membres.
Outre les garde-fous indiqués ci-dessus, on relèvera également que le Parlement – via l’action de sa Commission de l’Environnement pour l’essentiel – a œuvré à l’ajout d’amendements, où il s’agit de rappeler les engagements de l’Union européenne en matière de développement durable, du respect des accords de Paris ou de la « dimension mondiale de la PAC » (où toutefois la notion de primauté de la lutte contre le changement climatique sur le commerce n’a pas été entérinée). Moins déclaratifs, des amendements visant à obliger les Etats membres à préciser leurs intentions s’agissant du développement de l’agriculture biologique[1], ou encore une règle de non recul du montant des paiements à ce mode de production ont également été avalisés. Toutefois, on relèvera que les amendements visant à intégrer explicitement dans la PAC les objectifs du Green Deal et de la stratégie de la Ferme à la Fourchette n’ont pas été approuvés. Tout comme d’ailleurs, les amendements visant à reconnaitre les systèmes de certification privés, mais également ceux insistant sur la « compétitivité » qui n’ont pas non plus obtenu la majorité requise.
Un manque d’ambition du côté des Bonnes Conditions Agronomiques et Environnementales (BCAE)
La dimension environnementale de la PAC ne se limite cependant pas à ces « éco-dispositifs » qui restent à définir. Elle est complétée par 1) les Bonnes Conditions Agronomiques et Environnementales (BCAE) qui établissent les normes de base à respecter pour obtenir la plupart des aides européennes, par 2) les Mesures Agro-environnementales et Climatiques (MAEC) que les agriculteurs peuvent contractualiser sur plusieurs années et, last but not least, par 3) les mesures pour les zones à handicaps, handicaps consécutifs de raisons naturelles et topographiques ou causés par une réglementation environnementale spécifique.
S’agissant des BCAE, on ne peut pas dire que la position du Parlement traduise une forte ambition en matière environnementale. Bien au contraire, fruit d’un amendement de compromis voté en bloc, on assiste à une régression de ces normes de base au regard de la situation actuelle comme de la proposition initiale de la Commission. A titre d’exemple, la réactualisation de l’année de référence – 2019 serait retenue – pour l’encadrement de la baisse des prairies permanentes va se traduire par un nouveau droit à retourner 5% de pâtures supplémentaires. L’obligation du suivi des nutriments à l’échelle de la ferme a été supprimée, et même le principe de non-retournement des pâtures dans les zones Natura 2000 a été sapé. Seule éclaircie, le principe de diversité des rotations figure bien, avec l’ajout de la présence de légumineuses dans l’enchainement des cultures, mais aucune durée minimale de la rotation n’est précisée ce qui vide quelque peu la portée de la proposition. De plus, aucune des propositions visant à intégrer des critères encadrant la densité d’animaux n’a été retenue : limiter la concentration géographique de l’élevage et optimiser la complémentarité entre élevage et culture constituent pourtant un passage obligé de la transition agro-environnementale.
S’agissant des MAEC, outil central de la transition environnementale depuis deux décennies, peu de changements sont observés. La principale nouveauté tient au fait que le Parlement souhaite intégrer une logique incitative en boostant ces paiements au-delà de la sacro-sainte règle des surcoûts et manques à gagner complétée par une latitude permettant la prise en compte des coûts de transaction. L’attitude du Conseil et surtout de la Commission vis-à-vis de cette liberté prise avec la règle permettant de classer ces aides dans la boite verte de l’OMC sera également intéressante à observer. De plus, le Parlement a porté de 30 à 35% la part du second pilier qui devra être dédiée à des mesures relatives à la protection de l’environnement et à la lutte contre le changement climatique. Cette disposition intéresse en premier lieu les MAEC, mais également les aides aux zones à contraintes naturelles qui finalement pourront compter parmi ce pourcentage dans la version votée par le Parlement (voir infra). Enfin, les latitudes permettant le transfert de fonds entre le premier (FEAGA) et le second pilier (FEADER) ont été réduites à des transferts vers les parties ‘environnement’ de chacun des deux piliers. Alors que la proposition initiale prévoyait des transferts jusqu’à 15% dans un sens ou dans l’autre, la position du Parlement prévoit finalement plus de ciblage vers la protection de l’environnement : jusqu’à 12% du premier pilier pourront abonder le budget des MAEC et, inversement, jusqu’à 5% du second pilier auront la possibilité d’être transférés aux éco-dispositifs du premier pilier.
Des ouvertures importantes pour les aides aux zones à contraintes
Enfin, s’agissant des mesures aux zones à contraintes naturelles (article 66), comme l’ICHN (indemnité compensatoire d’handicap naturel) en France, on retiendra ainsi que le Parlement s’est opposé à la proposition initiale de la Commission : ce type d’aides pourra être comptabilisé dans les mesures en faveur de l’environnement, mais seulement à hauteur de 40% des sommes engagées. On relèvera également que le Parlement a validé la nouvelle catégorie d’aides proposées par la Commission (article 67) : il s’agit des aides pour des zones subissant une contrainte relative à une réglementation, comme la directive cadre sur l’eau. Cette nouvelle catégorie va entrainer une modification sensible des approches environnementales de la PAC : jusqu’alors seules les améliorations apportées à l’environnement allant au-delà du seul respect de la réglementation pouvaient donner lieu à des soutiens de la PAC.
Cet élargissement des capacités d’action de la PAC s’est logiquement traduit par des amendements visant à ouvrir également le champ d’action des mesures relevant de l’article 66 : la position du Parlement acte le fait que des « facteurs socio-économiques » mais également la nécessité d’inciter des agriculteurs à poursuivre leurs activités dans ces territoires, peuvent constituer une justification complémentaire des aides aux zones à contraintes naturelles. Cette position tend à conforter l’ICHN française qui a fait l’objet, dans un passé récent, de bras de fer importants avec une ligne qui consiste à en rester exclusivement à des paramètres géomorphologiques d’altitude et de pente. Par ailleurs, on retiendra aussi qu’en réponse aux problématiques rencontrées dans les zones pastorales, des latitudes importantes seraient données aux Etats-membres pour définir les prairies permanentes : ils pourraient intégrer à ce type de surface, des « terres adaptées au pâturage où l’herbe et les autres plantes fourragères herbacées ne prédominent pas, ou ne sont pas présentes, dans des zones de pâturage qui peuvent inclure des arbustes et/ou des arbres et d’autres ressources consommées par des animaux (feuilles, fleurs, tiges, fruits) »[2].
Aides à l’investissement : des articles propres pour l’irrigation et pour le numérique
Du côté des aides à l’investissement, les nouveautés apportées par le Parlement concernent l’irrigation et l’installation de technologies numériques en zone rurale. En effet, deux nouveaux articles sont proposés ce qui tend à souligner l’importance de ces sujets pour les parlementaires. Pour l’irrigation, les aides à l’investissement seront subordonnées à leur intérêt quant à l’amélioration de l’état de la ressource hydrique et en particulier quant aux économies d’eau qu’ils permettront. L’article va néanmoins plus loin que la proposition initiale de la Commission en évoquant le financement de nouvelles réserves d’eau. Pour ce qui est des aides à l’installation de technologique numérique, sujet phare des promoteurs du concept de « smart village », elles concernent en particulier le développement de réseaux qui pourront profiter à l’ensemble des acteurs du monde rural. Ces aides auront néanmoins une portée limitée : seuls 30% des dépenses pourront être couvertes.
Un premier pilier désespérément centré sur des aides découplées à l’hectare
Après avoir traité de la dimension environnementale de la PAC et, donc pour l’essentiel de son second pilier, intéressons-nous maintenant au premier pilier pour appréhender plus directement la dimension sociale de la PAC, c’est-à-dire la prise en compte des femmes et des hommes qui travaillent dans l’agriculture, leur niveau de revenu et les conditions de leur reproduction sociale.
En premier lieu, il convient de rappeler que le premier pilier englobe plus des trois-quarts des financements européens dévolus à l’agriculture dans chaque Etat membre. Et si le Parlement a arrêté un minimum de 30% du premier pilier à consacrer aux « éco-dispositifs » (cf. supra), il a également établi un plancher de 60% pour les principales autres mesures, à savoir l’aide de base, le paiement redistributif, les aides couplées et les aides aux Organisations de Producteurs (OP) des nouveaux secteurs concernés. Or, ces deux derniers types d’aides sont plafonnés, respectivement, à 12% (10+2% pour les protéagineux (cf. encadré) et à 3%. De plus, le paiement redistributif, forfait égalitaire pour les premiers hectares de chaque ferme introduit lors de la réforme de 2013, disposerait d’un plancher de l’équivalent de 6% du premier pilier, et d’une incitation à aller jusqu’à 12%, niveau à partir duquel le plafonnement des aides deviendrait facultatif (cf. infra).
Ainsi, il apparait qu’une majorité du budget européen de la PAC continuera d’être versée sous la forme d’aides appelées dorénavant « aides de base au revenu pour un développement durable » (BISS en anglais, Basic Income Support for Sustainability). Ces aides sont versées annuellement, sur chaque hectare et elles sont découplées, c’est à dire qu’elles sont versées peu importe le mode de production ou le niveau des prix et des revenus des bénéficiaires. De surcroit, le montant de ces aides va finir de converger d’ici à 2026 de manière à être égale au sein de chaque Etat membre (les EM disposent malgré tout de la possibilité d’effectuer la convergence sur des divisions infranationales). Au final, près de 20 ans après l’introduction d’aides découplées – qui étaient censés être transitoires-, plus de la moitié du budget de la PAC va continuer à être distribuer via des « aides de base au revenu pour un développement durable », c’est à dire des subventions versées indépendamment des revenus réels des agriculteurs, versées indépendamment de la durabilité des modes de production (seules les BCAE sont à respectées et leur niveau d’exigence est en régression) mais versées quasiment proportionnellement au nombre d’hectares détenus par chaque ferme.
Comme pour le reste, les négociations en trilogue pourront peut-être amener à une issue plus heureuse. Mais, la responsabilité de la proposition initiale de la Commission reste entière, alors même que le dépassement des aides découplées semble inéluctable tant pour des raisons internes propres à leur inefficacité que pour des raisons relevant de la remise en cause quasi-généralisée des règles agricoles de l’OMC (pour aller plus loin). C’est d’ailleurs ce que traduit sans doute le vote de l’amendement 1220 déposé par le groupe des Verts et qui visait à introduire une aide à l’actif agricole : il lui aura manqué 13 voix pour être validé ! Faut-il y voir une piste d’évolution pour les prochaines réformes ? On ne peut que le souhaiter !
Les principales nouveautés pour les aides couplées : les protéagineux et les légumineuses bénéficieront d’une dérogation leur permettant d’être aidées même si elles n’étaient plus considérées comme en difficulté. De plus, les légumineuses disposent maintenant d’articles spécifiques pour définir les programmes opérationnels que les organisations de producteurs pourront faire financer par la PAC. Enfin, les Etats membres pourront cibler ou majorer les aides couplées en fonction d’engagement de la part des agriculteurs portant notamment sur l’amélioration de la structuration des filières : pour inciter les agriculteurs à s’engager dans des Organisations de Producteurs, un bonus sur le montant de l’aide couplée pourra être mis en place. |
Plafonnement des aides : la proposition initiale de la Commission reste de mise
Sujet récurrent des négociations de la PAC depuis l’introduction des aides directes en 1992, l’introduction d’un plafonnement des aides et d’une dégressivité renforcée en fonction des montants reçus a, à nouveau, été débattue. La proposition initiale de la Commission consistait à une dégressivité à partir de 60 k€ et d’un plafonnement à 100 k€. Elle prévoyait néanmoins que le montant du coût de la main d’œuvre, qu’elle soit salariée ou non, puisse être déduit du calcul de la dégressivité et du plafonnement de manière à prendre en compte l’intensité en travail des différents types de fermes. Face à elle, deux amendements ont été présentés. Le premier visait à un plafonnement plus strict dès 60 k€, alors que le second prévoyait une dégressivité à partir de 100 k€ mais sans plafonnement. Aucun de ces deux amendements n’a obtenu de majorité, ce qui laisse le champ à la proposition de la Commission, même si cette dernière ne s’en trouve pas vraiment renforcée à l’approche des trilogues.
On retiendra toutefois que les dispositions visant à tenir compte du travail ont été sensiblement écornées puisque, parmi les amendements votés par le Parlement, l’un prévoit de ne pouvoir prendre en compte que la moitié des salaires et un second supprime la possibilité de prendre en compte le travail non salarié, c’est à dire le travail des membres de la famille de l’agriculteur. Ces limitations ont-elles été préjudiciables à l’amendement visant un plafonnement plus restrictif ? La question restera ouverte.
Deux amendements « anti-oligarques »
Parmi les amendements de « dernières minutes » en sont apparus deux qui visent à contrôler spécifiquement les plus larges bénéficiaires de la PAC. Impulsés par Monika Hohlmeier, député PPE bavaroise, ils visent à répondre au phénomène préoccupant « d’oligarques » concentrant des milliers d’hectares de terre dans certains pays de l’est de l’Europe.
Le premier oblige la Commission a une supervision « en temps réel » de l’ensemble des fonds de la PAC lui permettant de suspendre les paiements dès lors qu’ils dépassent 500 k€ par bénéficiaire pour le premier pilier et 1 millions d’€ pour le second. Surtout, il vise à intégrer les fonds de la PAC dans le système anti-fraude européen ARACHNE développé pour d’autres fonds comme le FSE et le FEDER. Cette évolution se traduirait par une plus grande interconnexion des systèmes de paiement gérés actuellement au niveau national mais également par davantage de transparence sur les personnes physiques comme morales. Il sera intéressant d’observer le devenir de cet amendement tant il constitue un argument supplémentaire contre la logique promue par la Commission qui vise à transférer aux Etats membres le contrôle de la conformité des fonds de la PAC. Cette évolution est pourtant largement combattue y compris au sein du Parlement et par la Cour des comptes européenne tant il parait incongru à l’heure où l’on discute, pour les autres fonds européens, d’en conditionner l’accès au respect de l’état de droit. De surcroit, cet article porte en lui l’occasion de trouver de véritables réponses au développement de formes juridiques sociétaires qui réduisent la transparence et offrent les moyens de contourner certaines mesures de ciblages des aides. On observe d’ailleurs que les dispositions initialement prévues pour tenir compte des GAEC français (Groupement Agricole d’Exploitation en Commun) et de leur principe de transparence ont donné lieu à de nombreux amendements qui en en généralisant le principe – et donc en le dénaturant puisqu’il s’agissait de tenir compte du travail familial – offre la possibilité d’appliquer la plupart des règles de la PAC au niveau des filiales et non plus de la société holding.
Venons-en au second amendement « anti-oligarque » proposé par Monika Hohlmeier et ayant obtenu, lui aussi, une confortable majorité. Intitulé « Mécanisme de dépôt de plainte par les agriculteurs et les PME », il impose à la Commission de recevoir les plaintes consécutives d’accaparement de terres, de faute grave des autorités nationales, d’irrégularité ou traitement de faveur dans l’attribution des marchés publics ou de subventions, de pressions ou intimidations ou encore d’atteintes graves aux droits fondamentaux. Le cas échéant, la Commission sera en droit de transmettre les plaintes au procureur européen ou à l’OLAF (Office européen de lutte anti-fraude). On peut donc voir dans ces deux amendements la volonté d’intégrer les fonds de la PAC dans les systèmes anti-fraude européens. Si ces évolutions ont trait à des phénomènes largement médiatisés depuis l’assassinat du journaliste slovaque Jan Kuciak et de sa compagne, elles ne seraient pas sans portée dans l’ouest européen, y compris en France, où l’opacité sur certains types de personnes morales cache, plus ou moins bien, des atteintes à une agriculture de type familial qui continue d’être le modèle promu en Europe[3].
Vers une conditionnalité sociale dans la PAC
Si le Parlement a adopté une position très peu ambitieuse sur les BCAE et la conditionnalité environnementale, il a toutefois fait œuvre de davantage de responsabilité en votant l’amendement proposé par le groupe S&D visant à introduire une conditionnalité sociale dans la PAC. Ainsi, les Etats membres devront prévoir dans leur plan stratégique des sanctions administratives pour les bénéficiaires de la plupart des aides « s’ils ne satisfont pas aux conditions de travail et d’emploi applicables et/ou aux obligations de l’employeur découlant de toutes les conventions collectives pertinentes et de toutes les législations sociales et relatives au travail au niveau national, international et de l’Union ». Des amendements similaires ont également été intégrés dans le règlement « Horizontal », celui où sont justement définies les règles de gestion relatives aux fonds européens agricoles. L’introduction d’une conditionnalité sociale dans la PAC marque une évolution importante : elle s’oppose à une vision cloisonnée où il s’agissait de dissocier absolument les politiques relevant du niveau communautaire – comme la PAC -, de celles relevant du niveau national – comme les politiques relatives aux questions sociales. Cette évolution permet d’avoir des dispositifs publics plus intégrés où l’on cherche à exploiter les synergies entre des réglementations différentes pour une plus grande efficacité de la gestion de la chose publique. On peut d’ailleurs envisager que sur le même principe, les Etats membres puissent conditionner l’accès aux aides de la PAC au respect des mesures relatives à l’accès au foncier. Et ce d’autant plus que la politique foncière agricole, établie au niveau national, concourt au même objectif que la PAC, celui du renouvellement des générations d’agriculteurs.
Justement, l’inquiétante pyramide des âges des agriculteurs est également à la base d’un des amendements votés par le Parlement qui consiste à porter à 4% la part du premier pilier qu’un Etat membre doit spécifiquement consacrer aux jeunes agriculteurs. Plus exactement, les nouveaux agriculteurs – qu’ils soient jeunes ou non – pourront bénéficier de soutien sous deux formes : les aides à l’installation, montant forfaire versé sur une ou plusieurs années dans la limite de 100k€ (art.69), et/ou sous la forme d’un supplément d’aides découplées, à l’hectare, et annuelles mais dans la limite de 7 ans (art.27). Cette mesure va évidemment dans le bon sens, pour autant, sera-t-elle à même de contrer une course à l’agrandissement encouragée par une PAC dont la majorité du soutien passe toujours par des aides à l’hectare ? De surcroit, l’importance du renouvellement des générations nécessiterait également de renforcer les politiques foncières agricoles nationales, car c’est à ce niveau que se joue véritablement l’accès au foncier.
« Mesures en faveur des femmes rurales »
Toujours au chapitre des propositions du Parlement visant à développer une dimension sociale à la PAC, il convient de mentionner le nouvel article « mesures en faveur des femmes rurales » qui prie les Etats membres d’intégrer dans leur plan stratégique des « mesures spécifiques destinées à favoriser une intégration plus poussée des femmes dans l’économie rurale ». Il ne s’agit pas de mesures spécifiques aux femmes, mais les Etats membres devront encourager la participation des femmes dans la plupart des dispositifs volontaires comme le transfert de connaissances et les actions d’information, les services de conseil, les investissements dans les actifs physiques, le lancement et le développement d’exploitations agricoles et d’entreprises rurales, l’installation de technologies numériques et la coopération. Cette première étape dans la reconnaissance des femmes dans la PAC ouvrira sûrement à d’autres évolutions plus ciblées, notamment dans les activités de transformation à la ferme et de vente directe en circuit court ou d’agri-tourisme, activités qui relèvent bien souvent d’agricultrices.
Enfin, pour être complet sur la dimension sociale de la PAC, il convient d’ajouter que le Parlement a reconduit, pour un montant identique, l’aide forfaitaire aux petites exploitations introduite lors de la précédente réforme : les Etats-membres ont la possibilité d’octroyer une aide jusqu’à 1250€ par an aux petites fermes. De surcroit, on relèvera que le Parlement a introduit dans la définition d’agriculteurs actifs un seuil pouvant aller jusqu’à 5000 € en deçà duquel les Etats membres ne peuvent exclure les agriculteurs du bénéficie des aides de la PAC sous motif qu’ils ne répondraient pas à la définition « d’agriculteurs actifs ».
Promouvoir les coopérations entre agriculteurs
La PAC s’applique pour l’essentiel à l’échelle des fermes et ceux qui les exploitent sont les bénéficiaires-cibles de la plupart des dispositifs de la PAC. Néanmoins, la coopération entre agriculteurs, et plus largement avec d’autres acteurs de la ruralité, est également promue. On pense évidemment aux Groupes d’Action Locale (GAL) de l’approche LEADER qui continue d’être un axe important du second pilier : au moins 5% du budget du second pilier doivent être mobilisés pour ces stratégies de développement local. Il en est de même de l’ensemble des mesures de coopération comme les Partenariats Européens à l’Innovation ou celles qui incitent les producteurs à s’engager dans une démarche de qualité ou à s’organiser en Organisation de Producteurs. On relèvera également que le Parlement a conforté la proposition de la Commission qui vise à encourager les approches collectives pour améliorer l’efficacité des MAEC.
En définitive, le vote du Parlement sur le volet ‘plans stratégiques’ est riche d’enseignements. S’il n’a pas pu renverser la logique d’une proposition initiale de la Commission européenne, trop inscrite dans la continuité d’un premier greenwashing et dans la poursuite d’une renationalisation la PAC, le Parlement a montré toute la vigilance qui était la sienne vis-à-vis des éco-dispositifs et toute sa volonté de conserver son caractère commun à la PAC. On soulignera néanmoins le peu d’ambition donné aux BCAE qui ont fait l’objet d’un vote en bloc sur la base d’un amendement de compromis. Sur la dimension sociale de la PAC, des progrès manifestent sont à noter : les amendements anti-oligarques et la conditionnalité sociale constituent des avancées importantes. Le résultat des trilogues sera donc à analyser de près pour voir dans quelle mesure l’action du Parlement aura permis d’améliorer, même à la marge, une réforme de la PAC bien mal engagée au regard des enjeux et des objectifs mis en avant par le Green Deal européen.
Eric Andrieu, Député européen et membre du Comité d’Orientation d’Agriculture Stratégies
Frederic Courleux, Assistant parlementaire et membre du Comité d’Orientation d’Agriculture Stratégies
Le 22 décembre 2020
[1] L’amendement initial portait sur les MAEC et sur les éco-dispositifs, mais la portée de ce nouvel article sur l’agriculture biologique a finalement été réduite aux seuls MAEC.
[2] Cette latitude avait été introduite lors de la négociation du règlement Omnibus en 2017.
[3] On relèvera d’ailleurs qu’un amendement visant à maintenir le système simplifié d’aide à l’hectare dans les pays de l’est de l’UE en lieu et place du système de droit à paiement a été adopté par le Parlement. On peut pourtant avancer que le système de droit à paiement est de nature à davantage sécuriser les agriculteurs contre les phénomènes d’accaparement.