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La Nouvelle-Zélande, régulièrement citée comme un exemple à suivre par la Banque Mondiale et l’OCDE pour sa quasi-absence de soutiens à l’agriculture, voit l’état de son environnement se dégrader depuis plusieurs années. La qualité de l’eau en particulier se détériore en raison de l’urbanisation mais surtout de la pratique intensive de l’agriculture, les rivières et les lacs étant particulièrement impactés par l’eutrophisation. Dépendant de ses exportations agricoles, ce pays voit avec inquiétude se profiler une montée en gamme des standards internationaux accompagnée de l’émergence de nouvelles barrières non-tarifaires, mettant en danger la pérennité de ses débouchés actuels. Cette prise de conscience se traduit par l’annonce d’un grand plan environnemental, « Fit for a better world », visant à transformer l’agriculture néozélandaise, alors que les négociations sont en cours avec l’Union Européenne pour la conclusion d’un nouvel accord de libre-échange. La Nouvelle-Zélande pourra-t-elle réaliser cette transition sans modifier ses habitudes libérales et son absence de soutien aux producteurs ?
La Nouvelle-Zélande, complètement dépendante de ses exportations agricoles
Partenaires économiques historiques, l’Union Européenne et la Nouvelle Zélande travaillent depuis l’été 2018 à la préparation d’un nouvel accord commercial, qui comporte un volet d’exigences environnementales. L’UE est la 4ème destination d’export de la Nouvelle-Zélande, tous secteurs confondus. Il est donc impératif pour ce pays d’assurer la pérennité de ce débouché.
L’agriculture néo-zélandaise est basée sur l’export ; le lait, la viande, le bois, les fruits et les produits à base de céréales forment le top 5 des biens exportés. L’Union Européenne représente un enjeu majeur pour les débouchés néozélandais en matière de viande et de fruits.
Tableau 1 : Principales exportations de produits agricoles et part de l’UE 27 dans les débouchés.
Source : https://statisticsnz.shinyapps.io/trade_dashboard/ traitement Agriculture Stratégies
Exportations en millions de $ néozélandais | 2015 | 2016 | 2017 | 2018 | 2019 | 2020 |
Lait | 11 825 | 11 503 | 14 367 | 14 625 | 16 124 | 16 367 |
Dont importé par l’UE 27 | 221 | 157 | 164 | 234 | 132 | 153 |
Part de l’UE 27 | 2% | 1% | 1% | 2% | 1% | 1% |
Viande et abats | 6 825 | 5 913 | 6 616 | 7 425 | 8 043 | 8 113 |
Dont importé par l’UE 27 | 1 065 | 997 | 1 064 | 1 176 | 997 | 853 |
Part de l’UE 27 | 16% | 17% | 16% | 16% | 12% | 11% |
Fruits et noix | 2 306 | 2 733 | 2 664 | 3 233 | 3 412 | 3 936 |
Dont importé par l’UE 27 | 509 | 570 | 555 | 768 | 689 | 830 |
Part de l’UE 27 | 22% | 21% | 21% | 24% | 20% | 21% |
La Nouvelle-Zélande est donc particulièrement consciente des enjeux liés à sa dépendance au commerce international, notamment agricole puisque 77% de ses exports en valeurs sont constitués de produits issus du secteur primaire, et qu’elle ne dispose que d’un marché intérieur réduit. La montée des standards internationaux en matière de normes de production, d’une forme de protectionnisme liée à davantage d’exigences en matière de mesures sanitaires et phytosanitaires est une réelle menace pour ce pays, particulièrement sensible en cas de mise en place de barrières non tarifaires (« Among the nations that rely on food and fibres for a significant proportion of their income, New Zealand has the smallest domestic market. This makes us more reliant than most on successfully exporting produce and more vulnerable to problems with trade. In particular, we are more exposed to imposition of non-tariff barriers like sanitary and phytosanitary standards »[1]).
Suite à cette prise de conscience, la Nouvelle-Zélande a formulé une stratégie pour verdir son agriculture dans le but avoué de pouvoir continuer à avoir accès aux débouchés de ses partenaires commerciaux, et espérer capter davantage de valeur liée à des produits plus vertueux.
« Fit for a better world »
Par conséquent, depuis juillet 2020, le gouvernement Néo-Zélandais a développé une stratégie, « Fit for a better world », pour le secteur de l’alimentation et des fibres (the food and fibre sector), visant à réduire les impacts de l’agriculture sur l’environnement.
La feuille de route a ainsi défini trois objectifs pour atteindre une économie plus « productive, durable et inclusive » au cours des 30 prochaines années :
- Productivité : capter 44 milliards de dollars supplémentaires issus de l’export au cours de la prochaine décennie, en mettant l’accent sur la création de valeur et en misant sur l’abaissement des barrières douanières[2].
- Durabilité : réduire les émissions de méthane de 10 % inférieurs d’ici 2030, et de 24 à 47 % d’ici à 2050 par rapport aux niveaux de 2017 et restaurer la qualité de l’eau douce à un état sain en une génération.
- Inclusivité : employer 10 % de Néo-Zélandais de plus d’ici 2030, et 10 000 Néo-Zélandais de plus dans le secteur de l’alimentation et des fibres au cours des quatre prochaines années.
Forte réaction du monde agricole néo-zélandais
Le projet « Fit for a better world » s’accompagne d’une liste croissante de réglementations et de politiques, qui pèsent sur les agriculteurs. En réaction, de grandes manifestations ont été organisées par des milliers de résidents ruraux qui refusent ces contraintes au mois de juillet 2020. Les agriculteurs souhaitent que certaines réglementations soient supprimées ou réécrites. Elles concernent de la politique de l’eau douce, des taxes sur les véhicules polluants (« Ute Tax »), le plan lié au commerce des émissions de GES (« Emissions Trading Scheme »), la politique sur les zones naturelles et de la protection de la biodiversité, et celle sur le droit d’entrée des travailleurs saisonniers étrangers.
La politique de l’eau douce et la « Ute Tax » sont au cœur du conflit.
La politique de l’eau douce, les règlements pour protéger et restaurer l’eau douce de la Nouvelle-Zélande – « National Policy Statement on Freshwater Management » ont apporté une série de changements spécifiques tels qu’une obligation de clôturer les pâtures à proximité des cours d’eau en appliquant une bande tampon, de déclarer l’utilisation d’azote et des changements concernant le pâturage intensif d’hiver, caractérisé par un chargement important. Le groupe de défense des agriculteurs Groundswell NZ souhaite que la politique sur l’eau douce soit abandonnée. Il estime que l’établissement et l’atteinte de directives sur l’eau douce devraient relever des groupes de captage (catchment groups), en association avec les conseils régionaux.
Alors que les manifestations ont commencé lors de la mise en œuvre de la politique de l’eau douce en septembre 2020, la « Ute Tax » a rajouté de l’huile sur le feu. Le “Governments Clean Car Parckage”, d’un côté, subventionne l’achat des véhicules électriques, les hybrides rechargeables et même les véhicules ordinaires à combustion interne peu polluants. De l’autre côté, il pénalise les véhicules à essence ou diesel, tels que les deux voitures les plus populaires parmi les agriculteurs – Toyota Hilux et Ford Ranger. Les propriétaires de tels véhicules doivent payer des taxes supplémentaires “petrol excise duty” ou “road user charges”. Les agriculteurs manifestent contre ces taxes et déclarent qu’il n’y a actuellement aucune alternative électrique disponible à ces véhicules particulièrement utiles aux éleveurs.
Le groupe de défense indique également qu’il est essentiel de protéger le droit de propriété privée des agriculteurs, mis à mal par la nouvelle réglementation sur la biodiversité. Ces nouvelles règles imposent de protéger les zones naturelles qui hébergent des espèces protégées, de la végétation indigène, des tourbières, que celles-ci soient sur des terres privées ou non. Les propriétaires se sentent alors dépossédés de leurs terres et souhaiteraient que celles-ci puissent être placée sous protection uniquement de façon volontaire.
Autre source d’inquiétudes, la politique « Emissions Trading Scheme », qui consiste à attribuer un prix aux émissions de GES selon les secteurs, l’agriculture représentant 50% des émissions de la Nouvelle-Zélande. Les agriculteurs néo-zélandais sont pour le moment exemptés des cette politique de vente et d’achat d’émissions, mais devraient y être inclus à horizon 2025, ce qui engendrera des coûts supplémentaires pour les éleveurs, qui se considèrent eux-mêmes comme les agriculteurs « les plus efficients en émissions du monde » (the world’s most emissions-efficient farmers).
Par ailleurs, les agriculteurs souhaitent que, pendant la durée de la pandémie, les travailleurs saisonniers étrangers soient admis en tant que « travailleurs manuels qualifiés » et priorisés via le MIQ (Managed isolation and quarantine) pour aider à alléger la pression sur le monde agricole néozélandais qui manque de travailleurs et de saisonniers.
Des subventions à l’investissement, mais pas d’aides directes
Malgré les fonds dédiés à cette transition d’ampleur (110 millions dédiés au secteur de l’alimentation et des fibres, via le programme Sustainable Food and Fibre Futures[3] pour un total de 250 millions après cofinancement) les agriculteurs néo-zélandais ne bénéficieront pas d’aides directes. Les fonds seront dépensés en appels à projets d’investissement cofinancés par des entreprises. Le secteur laitier et de l’horticulture, qui englobe les fruits et légumes, sont les principaux bénéficiaires de ces projets, qui visent à faciliter la transition via la création d’outils d’aide à la décision, de diagnostics, d’aide à l’adaptation à la demande[4].
Face à une règlementation nouvelle qui viendra nécessairement impacter les coûts de production des agriculteurs, le gouvernement néozélandais semble miser sur les marchés pour récompenser l’effort fourni. Un pays libéral dont l’agriculture dépend des marchés d’export parviendra-t-il a assumer une transition agroécologique d’ampleur sans soutenir ses producteurs ? La situation méritera d’être suivie, mais elle permet d’ores et déjà de considérer un point important. Les barrières sanitaires et phytosanitaire ont des effets majeurs, qui peuvent inciter nos concurrents à relever leurs propres standards dans l’espoir de conserver des marchés.
Alessandra Kirsch, Directrice des études d’Agriculture Stratégies
Linda Jiao, Chargée d’études économiques d’Agriculture Stratégies
Le 22 septembre 2021
[1] https://fitforabetterworld.org.nz/assets/Uploads/PSC-Report_11June2020-WEB.pdf
[2] https://www.mpi.govt.nz/dmsdocument/41319/direct
[3] Pour le détail des fonds, voir https://www.beehive.govt.nz/release/food-and-fibres-sector-making-significant-strides-towards-new-zealand%E2%80%99s-economic-recovery
[4] Exemples de projets disponibles sur https://www.mpi.govt.nz/dmsdocument/45442-Sustainable-Food-and-Fibre-Futures-Snapshot-June-2020-to-May-2021