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Les clauses miroirs à l’épreuve des réalités du commerce international

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Le 20 octobre dernier, l’APCA a organisé une conférence intitulée « La politique commerciale européenne : entre défis environnementaux et préservation de la compétitivité de l’agriculture ». La conférence a notamment porté sur les enjeux liés à la mise en œuvre des clauses miroirs, promue par Julien Denormandie, dont la France compte faire une priorité lors de sa présidence de l’Union Européenne l’année prochaine. Les débats ont permis de mettre en lumière les différents obstacles auxquels cette idée va devoir se confronter.


Avant les clauses miroirs avec les pays tiers, la nécessité d’harmoniser les conditions de production entre Etats-Membres, pourtant loin d’être remplie

Le ministre de l’Agriculture a rappelé l’enjeu primordial des débats lors de son intervention en ouverture : la création de valeur environnementale doit aller de pair avec la création de valeur économique. Il s’agit de valoriser notre modèle, bâti sur la compétitivité hors coût, qui repose sur la qualité de nos produits. Celle-ci implique des coûts de production plus importants, qui rendent nos produits non-compétitifs lors qu’ils sont mis en concurrence avec des produits qui ne sont pas soumis aux mêmes exigences.

Il a alors rappelé un impératif : harmoniser en premier lieu les conditions de production au sein du marché commun. Mais si le ministre semble se satisfaire de l’obligation des écorégimes et de la conditionnalité sociale au sein de chaque Etat-Membre, il parait oublier qu’au-delà des règles générales, les conditions d’application sont propres à chaque pays. Les obligations relatives aux écorégimes seront définies au sein des PSN, et la conditionnalité sociale relève de la législation nationale. De même que la conditionnalité environnementale qui repose en réalité sur les décisions arbitrées par des directives nationales, comme nous l’avons détaillé dans un précédent article. Ainsi, ce sont ces conditions qui vont en réalité définir le niveau d’exigence, et restant régies par des règles nationales, elles continueront d’engendrer des distorsions de concurrence entre pays européens.

Il faudrait donc traiter en priorité ce handicap, mais la renationalisation partielle de la PAC avec des PSN disparates va créer un niveau supplémentaire de divergence, voire d’éclatement de la volonté d’avoir une politique commune.

 

Les LMR (limites maximales de résidus), des barrières non tarifaires adaptables selon les intérêts en jeu : une base fragile pour les clauses miroirs

Cette remarque liminaire mais fondamentale étant faite, les barrières non tarifaires ne sont-elles pas déjà des formes dispersées des clauses miroirs ? Ces barrières, régies via l’OMC par l’accord SPS (Sanitary and Phytosanitary Agreement) permettent de refuser l’entrée de produits qui présentent des résidus de produits dans des quantités supérieures à la norme acceptée dans le pays importateur.

L’étude de l’APCA[1] présentée par Thierry Pouch ayant rappelé qu’en l’absence d’évolution du côté de l’OMC, bloquée depuis le cycle de Marrakech, les traités bilatéraux se sont multipliés, les enjeux lors des négociations portent désormais sur les barrières non tarifaires. Autrement dit, les normes imposées vis-à-vis des produits entrants dans l’UE sont désormais plus contraignantes que les quotas et les droits de douane, même si ceux-ci restent plus élevés dans le domaine agricole que dans l’ensemble du secteur de l’industrie manufacturière. L’enjeu est donc de taille.

La première table ronde a alors été l’occasion de rappeler les principes qui guident actuellement les normes sanitaires en matière de résidus de pesticides acceptables dans l’alimentation. Pour être imposée, la limite en matière de résidus doit faire l’objet d’un consensus scientifique validé à l’échelle internationale, répertoriée au sein du Codex Alimentarius pour ce qui concerne les produits végétaux. Dans les faits, il existe ainsi des limites maximales de résidus (LMR), qui permettent d’importer des produits dont la production a utilisé des pesticides non autorisés dans l’UE, tant que les résidus que l’on peut retrouver dans ces produits ne dépassent pas cette LMR, qui doit, en théorie, être conforme au Codex Alimentarius… En théorie.

Comme l’a expliqué Sophie Devienne, Professeure d’Agriculture comparée et développement agricole à AgroParis Tech lors d’un vif échange avec Nathalie Chaze, Directrice Alimentation durable et Relations internationales de la DG Santé à la Commission européenne, il arrive que les lobbys parviennent à négocier des limites allant pourtant au-delà des normes du Codex, comme dans le cas de la lentille. Pour cette production, le glyphosate est utilisé comme dessiccateur jusqu’à 4 jours avant la récolte au Canada (pratique non autorisé en UE), et la LMR admise pour les lentilles importées en UE a été multipliée par 100 entre 2008 et 2012 pour atteindre 10 mg/kg, alors que la LMR proposée par le Codex est de 5 mg/kg[2]…et que la LMR acceptée au Canada est de 4 mg/kg[3].

Sur ce sujet, l’explication du gouvernement français est édifiante : « des tolérances à l’importation peuvent être établies au cas par cas afin de répondre aux besoins du commerce international. Il s’agit de fixer la LMR à un niveau supérieur à celui correspondant au régime d’autorisation ou d’utilisation de la substance dans l’UE, après une évaluation des risques concluant à l’absence d’effet inacceptable pour l’exposition alimentaire. Lorsqu’une substance phytopharmaceutique n’est plus approuvée au niveau européen, la LMR est abaissée à la limite de quantification, qui correspond généralement à l’absence de résidu détectable par les méthodes d’analyse courantes (valeur par défaut de 0,01 mg/kg). Toutefois, la Commission européenne peut ensuite relever cette LMR au titre d’une tolérance à l’importation. » [4] Mais, si l’évaluation des risques conclue à « l’absence d’effet inacceptable pour l’exposition alimentaire », pourquoi alors imposer des règles plus strictes à nos producteurs ? In fine, le glyphosate, qui risque de se voir supprimé en France et en Europe dans un avenir plus ou moins proche, pourrait encore bénéficier de larges tolérances si le commerce international l’exige.

 

Les clauses miroirs, juridiquement possibles mais qui impliquent de nombreux risques

Dans ces conditions de divergence entre les Etats européens et de souplesses opportunistes pour les LMR, comment vont agir les clauses miroirs ?

L’étude juridique menée par la FNB et l’institut Nicolas Hulot a d’ores et déjà mis en avant la compatibilité des clauses miroir avec les règles de l’OMC[5], et la Commission doit produire une étude institutionnelle sur le sujet en 2022. Mais, si les clauses miroirs ont déjà été mises en œuvre avec succès pour les domaines relatifs à la protection de la santé humaine (exemple des antibiotiques ou des hormones de croissance), en ce qui concerne les pratiques relatives aux conditions de production qui n’impliquent pas de résidus identifiables dans le produit fini, leur application aux produits agricoles va poser plusieurs problèmes majeurs.

 1) Une ingérence en matière de souveraineté alimentaire

La mise en œuvre de clauses miroirs portant sur les normes de production implique une forme d’ingérence de l’UE dans la règlementation des autres pays, puisqu’il s’agit d’imposer des normes qui correspondent à des choix sociétaux. En l’absence de résidus, il n’est en effet pas possible d’argumenter sur les risques en matière de santé. Cette ingérence en matière de souveraineté alimentaire (chaque pays étant libre de décider de sa façon de produire) risquerait alors de créer d’importantes tensions géopolitiques. Ainsi, même si la volonté d’appliquer des clauses miroirs est partagée par le Parlement Européen, elle n’aura pas forcément d’application concrète ni immédiate ; la bataille sera longue et comme l’a admis Clément Beaune, elle ne pourra pas aboutir sous présidence française.

 2) Un contrôle impossible

Ces normes de production ne se traduiront pas nécessairement par des résidus dans les produits finis :  on ne retrouve pas nécessairement de résidus de pesticides selon le moment où ils ont été utilisés dans la culture, et les conditions de production liées au bien-être animal (utilisation de cages, densité de chargement par exemple) n’amènent pas de propriétés différentes aux produits animaux. Vérifier l’application de ses normes impliquerait des contrôles au sein des exploitations ou des abattoirs des autres pays, qui ne disposent pas des mêmes outils de traçabilité. Un travail titanesque, alors que l’UE ne parvient déjà même pas à contrôler toutes les LMR en vigueur, ni à faire appliquer correctement les LMR qui font l’objet de contrôles, comme le démontre le récent rapport du sénateur Laurent Duplomb dans l’affaire des résidus d’oxyde d’éthylène[6] : « au regard des 1 498 substances à contrôler, cela signifie tout de même que plus de 900 substances actives ne sont presque jamais contrôlées par les autorités sanitaires aujourd’hui ».

 3) Le risque de perte de confiance des partenaires commerciaux

Et si de nouvelles clauses venaient à s’appliquer, comment définir le périmètre des produits concernés ? La renégociation des traités déjà actés serait-elle alors envisagée, voire remis en cause complètement de façon unilatérale par l’UE ? Une telle option impliquerait une perte de confiance de nos partenaires vis-à-vis de la capacité de l’UE à tenir ses engagements. On peut toutefois rester sceptiques sur cette possibilité, puisque même la sortie du Royaume-Uni n’a pas entraîné une renégociation des contingents déjà acquis, alors que les pays bénéficiaires de ces contingents ont pu négocier depuis des débouchés supplémentaires avec le Royaume-Uni.

 4) Risque de mesures de rétorsion

Si en matière de libre échange l’UE veut montrer l’exemple, s’estimant capable d’imposer de nouvelles normes du fait de sa capacité d’influence, dans les faits elle se heurte à une résistance farouche des pays producteurs concurrents. En effet, elle applique déjà des méthodes de production qui entraineraient un coût supplémentaire pour ses partenaires commerciaux s’ils venaient à être obligés de s’aligner sur ces exigences. Les pays tiers étant bien conscients de ces enjeux, la stratégie de l’UE est régulièrement qualifiée de protectionnisme déguisé et fait d’ores et déjà l’objet de plaintes régulières au sein du Comité OTC (obstacles techniques au commerce) de l’OMC. En cas d’application étendue des clauses miroirs, l’UE s’exposerait alors à des mesures de rétorsion qui peuvent s’appliquer à la fois sur le secteur agricole, et limiter ainsi notre capacité à exporter sur les marchés qui nous sont favorables, mais également sur d’autres secteurs, à l’image du conflit Airbus/Boeing qui a entrainé l’application de taxes additionnelles sur les produits agricoles. Quelle solution pour éviter ces mesures de rétorsion ? La conférence n’a pas permis d’y répondre. Puisqu’il s’agit de mesures liées à des choix de société, différentes du cas de la protection de l’environnement ou du consommateur qui peuvent être argumenté sur des bases scientifiques solides, c’est la capacité de convaincre de l’UE qui fera la différence.

 

Les clauses miroirs, qui paraissent pourtant représenter une solution indispensable à la reconquête de la souveraineté alimentaire, semblent donc difficilement accessibles. Faut-il désespérer ?

L’UE et la France s’estiment capables de parvenir à imposer leurs vues en matière de protection de l’environnement, mais qu’en sera-t-il vraiment ? On voit déjà que le succès remporté par la signature de l’Accord de Paris a été beaucoup moins déterminant que certains le croyaient. Les pays tiers ont en effet accepté une coopération renforcée impliquant une adhésion à des efforts en matière de lutte contre le réchauffement climatique, mais elle reste nettement moins satisfaisante que les objectifs assignés l’ambitionnaient. Si certaines lueurs d’espoir persistent à l’horizon, comme la lutte contre la déforestation importée qui se réfère bien à des pratiques qui ne sont pas détectables dans les propriétés des aliments, ou encore l’adoption d’un plan environnemental par la Nouvelle Zélande pour s’adapter à la hausse des standards internationaux, la route sera longue vers une mise en œuvre effective des clauses miroirs.

Les obstacles à surmonter restent nombreux, et démontrent que la législation européenne doit encore évoluer, notamment sur un dernier point, qui n’a quasiment pas été évoqué lors de cette conférence : l’étiquetage. Tant qu’un produit prendra pour origine le pays de sa dernière transformation substantielle, tant que le pays d’origine des ingrédients qui composent le produit transformé ne sera pas clairement annoncé, les failles resteront béantes et les importations croissantes. Espérons que la révision du règlement INCO, annoncée par le ministre de l’Agriculture, fera également partie des priorités de la présidence française.

 

Jacques Carles, Président d’Agriculture Stratégies

Alessandra Kirsch, Directrice des études d’Agriculture Stratégies

Le 27 octobre 2021

 

[1] Etude réalisée par Clémence Dehut disponible sur https://chambres-agriculture.fr/publications/toutes-les-publications/la-publication-en-detail/actualites/accords-de-libre-echange-politique-commerciale-agricole-et-strategie-environnementale-de-lue-enj/

[2] https://www.fao.org/fao-who-codexalimentarius/codex-texts/dbs/pestres/commodities-detail/fr/?lang=fr&c_id=290

[3] https://pr-rp.hc-sc.gc.ca/mrl-lrm/results-fra.php

[4] https://www.senat.fr/questions/base/2019/qSEQ190510323.html

[5] https://www.fondation-nicolas-hulot.org/mondialisation-comment-proteger-lenvironnement-et-les-agriculteurs/

[6] https://www.senat.fr/rap/r20-368/r20-368-syn.pdf

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