Télécharger l’article en PDF
Gauthier est éleveur dans l’Aveyron, actif sur Twitter, il fait régulièrement part de son point de vue plein de bon sens paysan sur différents sujets agricoles[1]. Au-delà d’une analyse rigoureuse des chiffres, il nous livre aujourd’hui son sentiment sur les 10 dernières années d’évolution de l’agriculture française.
Premier constat : les fermes de production végétales sont devenues majoritaires, conséquence logique de l’évolution du tissu social agricole.
La tendance actuelle, où les fermes en polyculture élevage disparaissent plus vite que celles qui sont spécialisées en cultures, l’illustre bien. Lorsque les agriculteurs arrivent à rassembler une SAU qui leur permet de ne vivre que de cultures, beaucoup font le pas et suppriment l’atelier d’élevage.
C’est bien souvent lié à l’évolution de la main d’œuvre sur les fermes avec des parents qui deviennent trop âgés pour aider, qui souhaitent prendre une vraie retraite, des couples dont un des membres travaille à l’extérieur et donc au final un isolement de l’agriculteur face à une activité d’élevage beaucoup plus astreignante que les cultures.
Cet isolement social de l’éleveur s’accentue avec la disparition des élevages voisins, qui entraine une disparition des services associés. Dans les zones de polyculture élevage, le fait de garder un environnement « actif » est en effet déterminant dans les reprises. Lorsque vous n’avez plus de voisin pour un vêlage, un chantier d’ensilage ou qu’il n’y a plus de véto pour rentrer une matrice, c’est plié.
L’élevage spécialisé à la peine
Dans un contexte où les exploitations d’élevage subissent les plus lourdes pertes, tout n’est pas perdu pour autant. L’élevage se maintient, tout d’abord en l’absence d’alternatives, tout simplement car les régions actuelles d’élevage correspondent à des zones où le parcellaire, le relief ou la qualité des sols n’est tout simplement pas adapté aux grandes cultures.
Il se maintient aussi dans des zones dynamiques où l’écosystème autour de la ferme donne accès à tout ce qui rend vivable le métier (voisins éleveurs, véto, sociabilité autour de l’élevage, service remplacement ou groupement économique, cuma …) et aussi accessoirement dans des territoires qui ont su valoriser leurs produits via des IGP, AOC ou label rouge avec une meilleure rémunération.
A noter aussi que la baisse du nombre de fermes d’élevage correspond complètement au gimmick sur la viande ou le lait climaticide. Manger moins de viande, c’est moins de prairies, plus de cultures, et moins de paysans. En effet, quand il y a arrêt de l’élevage, les prairies sont retournées et deviennent des cultures, ou des taillis, pour celles trop pentues pour y faire passer une charrue.
La montée du salariat et ses conséquences sociales
L’autre tendance qui se dégage est la montée du salariat au détriment des actifs non-salariés. On peut s’en réjouir mais ça reste, de mon point de vue, plus subi que choisi. Notamment en élevage, le fonctionnement d’un chef d’exploitation avec un salarié est difficilement comparable de celui qu’on peut avoir avec un associé.
Déjà sur le volume horaire qu’il faut gérer en période de pointe ET en période creuse, l’astreinte qui n’est généralement pas aussi bien partagée. En effet, si un chef d’exploitation est toujours disponible, les heures du salarié doivent respecter la législation en vigueur. Et même en CDI annualisé, le plafond de 48h/semaine est parfois limitant en période de pointe.
Le chef d’exploitation doit aussi gérer la charge mentale inhérente à l’organisation des semaines de travail, alors qu’il y a toujours des imprévus liés au troupeau, à la météo, à des urgences, des contraintes extérieures et également des périodes où il y a peu à faire.
Départs en retraite et installations, le défi de la prochaine décennie
Enfin, pour ce qui concerne les départs à la retraite pour la prochaine décennie, je serai moins optimiste que Jean-Marie Séronie[2] sur la faculté à reprendre ces fermes, en particulier d’élevage, car il n’y a tout simplement pas de candidats Nima (non issus du milieu agricole) et peu d’enfants d’agris.
« Oui ça m’a fait envie de m’installer car j’ai pas entendu mon père se plaindre pendant toute mon enfance »
Cette phrase entendue dans la bouche d’un jeune lors d’une journée technique m’a beaucoup questionné sur le regard que portent les agris sur leur propre métier et leur activité.
Un regard de passionnés un peu déçus, un regard aussi parfois acide sur ce décalage entre ce qu’ils ont vécu et les standards qu’on nous vend.
Pourtant, il y a pour ceux qui aiment les défis, plein de fermes parfaitement profitables à reprendre, avec des cédants qui généralement souhaitent que leur ferme reste une entité à part entière.
Mais encore faut-il, pour oser se lancer, sentir une dynamique, une communauté de pensée, un réseau sur lequel s’appuyer et aussi un peu avoir des exemples d’agris épanouis.
Une révolution culturelle en somme ???
Gauthier, éleveur bovins viande
Le 21 décembre 2021
[1] Retrouvez le twitter de @gauthier12240 ici : https://twitter.com/gauthier12240/status/1430256024011919360
[2] Voir l’interview de Jean-Marie Séronie par Jean-Paul Hébrard sur https://www.youtube.com/watch?v=Ih3BQhE2ViY&ab_channel=PowerBoost
La fiscalité française a dégouté les Francais de laisser leur épargne dans la terre. Le statut du fermage a bloqué toute mobilité du capital, favorisant l’endettement et l’encouragement des preneurs a s’endetter pour payer le sol. Le montant du fermage leur coute moins cher qu’un crédit bancaire…Mais cette endettement des preneurs les étrangle quand il s’agit d’investir dans du matériel ou de l’investissement productif…De surcroit, lors d’une transmission de génération, l’exploitation explose s’il y a plusieurs ayant droits , dont un seul veut rester dans le métier…La démagogie de la FNSEA « la terre a celui qui la travaille » serait équivalent a refuser le principe de l’actionnariat dans l’industrie, obligeant l’entrepreneur a payer de sa poche les investissements. …
Par ailleurs, les taxes foncières sont de plus en plus a la charge des agriculteurs, les bailleurs demandent aux preneurs une participation grandissante aux taxes foncières. Le revenu des bailleurs, après taxe foncière, oscille entre 0 et 2%. S’il l’on rajoute IRPP et IFI (ce dernier stupide, car pourquoi les actions d’entreprises sont -elles exempt d’IFI, et pas l’épargne quasi forcée pour les bailleurs!), il tend vers ZERO…
Un moyen simple, appliqué ailleurs en Europe, est la suppression des taxes foncières sur les terres agricoles louées..les bailleurs réinvestiraient dans la terre (travaux…) , redonnant de la marge aux exploitants. On ne compte plus les agriculteurs qui bouclent leur budget comme membres salariés d’organismes para-agricole. A quoi cela rime-t-il s’il n’y a plus d’agriculteurs?