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Méthanisation, beaucoup d’argent public pour des effets contestables ? le point de vue d’Olivier Allain

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Le sujet de la méthanisation divise. De la petite méthanisation en cogénération (qui dégage de la chaleur valorisée sur l’exploitation et produit de l’électricité) à la grosse unité en injection (qui produit du biométhane et l’injecte dans la canalisation du gaz de ville), les projets sont multiples, et leurs impacts diversifiés. Olivier Allain, agriculteur, membre du Comité d’Orientation Stratégique d’Agriculture Stratégies, conseiller de la région Bretagne, nous livre son point de vue sur les différents enjeux qui s’y rapportent.

 

1) Vous reprochez aux pouvoirs publics de trop subventionner la méthanisation. Ces subventions sont-elles si disproportionnées au regard des objectifs poursuivis ?

La méthanisation est doublement subventionnée. Elle bénéficie d’un tarif de rachat établi selon un arrêté national, qui reste fixe tout au long de la durée du contrat (de 15 à 20 ans), et de subventions à la construction. Alors que les subventions publiques à l’agriculture dépassent rarement 50 000 euros, même pour une installation d’un jeune agriculteur, en méthanisation on voit passer des projets qui bénéficient d’un soutien de plusieurs centaines de milliers d’euros !

Le coût public est colossal : le rapport du Sénat sorti en septembre 2021 sur le sujet indique que la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) prévoit d’ici à 2028 un effort de 9,7 Mds€ pour les « tarifs d’achat » sur l’injection et de 6,5 Mds€ pour ceux sur la production d’électricité à partir du biogaz, auquel s’ajoutent le taux de réfaction tarifaire (13 M€ en 2020), les prêts sans garantie de Bpifrance (175 M€ au total), les aides de l’Ademe (425 M€ en 10 ans) et de l’ANR (22 M€ en 10 ans), et les subventions des Régions (non chiffrées)[1]. Soit un total de plus de 16,8 milliards d’euros, qui bénéficient à un petit nombre : en 2020, il y avait 1075 installations de production de biogaz en fonction et 1328 en projet. A titre de comparaison, le budget de la PAC pour la France pour la période 2021-2027 est d’environ 62 milliards d’euros, soit 3,5 fois plus important, alors qu’il concerne plus de 300 000 agriculteurs.

L’objectif pour les pouvoirs publics est double, réduire les émissions de gaz à effet de serre, et assurer un revenu complémentaire aux agriculteurs. Dans les deux cas, la dépense est disproportionnée par rapport à l’objectif recherché :

  • il existe des énergies renouvelables moins coûteuses (le coût de production est estimé à 135 €/MWh pour la petite méthanisation agricole, contre 50 € à 71 € le MWh pour des éoliennes de nouvelles générations)
  • investir 3 fois la valeur capitalistique de son exploitation pour obtenir un « complément de revenu » parait ubuesque. Il n’y a qu’en agriculture qu’on peut concevoir de financer des projets qui tournent autour du million d’euros pour espérer gagner un peu, en risquant beaucoup.

 

 2) Malgré tout, la méthanisation présente pour les agriculteurs qui la pratiquent une forme de diversification et un revenu additionnel stabilisateur. Donc, quelque part, les aides à la méthanisation pourraient être considérées comme contribuant de façon indirecte au maintien d’exploitations agricoles. Quelle réponse alternative les politiques publiques pourraient-elles proposer pour répondre à ce besoin ?

Le problème de la méthanisation, c’est qu’elle n’est qu’un pansement sur deux problèmes de base :

  • Le manque de rentabilité de l’activité agricole : pourquoi est-il devenu plus rentable de brûler des matières premières agricoles que de les consommer ?
  • L’hyper spécialisation des systèmes qui entraine une déconnexion entre l’élevage et le sol, que la méthanisation accentue.

La méthanisation a notamment été vendue dans l’idée de transformer un effluent gênant, le lisier, en énergie. Or, le lisier est très peu méthanogène, et pour que la méthanisation fonctionne de façon optimale, il ne peut pas y avoir de période de creux où le méthaniseur est moins alimenté. Donc, c’est un modèle compliqué avec des vaches qui pâturent, mais qui permet par contre de poursuivre la fuite en avant pour les modèles qui disposent de peu de surfaces, qui doivent acheter une grande part de leur alimentation, et qui sont soumis de façon encore plus importante que les autres à la volatilité des prix.

Figure 1 : le potentiel méthanogène des différents substrats, source Tech & bio

En Bretagne, nous promouvons une vision différente de l’élevage, nous proposons des aides adossées à une approche systémique, qui repose sur des principes de l’agroécologie. L’objectif est d’inciter les exploitations à devenir plus autonomes, à limiter la dépendance aux intrants, avec des systèmes basés sur l’herbe. Ces exploitations sont plus rentables, moins endettées, et plus résilientes aux variations des prix. Pour aider les fermes à réaliser cette transition, nous proposons des MAEC systèmes, des contrats sur 5 ans qui engagent la totalité de l’exploitation. 6000 exploitations, soit 21% des agriculteurs bretons (40% des éleveurs laitiers) se sont engagés, pour un budget de 260 millions d’euros.

 

3) L’argent public ainsi dépensé permet néanmoins d’améliorer la souveraineté énergétique de la France. Nous sommes particulièrement déficitaires en gaz : en 2020 nous avons dû importer 534 TWh PCS de gaz naturel (notamment depuis la Norvège ou la Russie), car nous n’en avons produit que 2,4 TWh PCS. En fin d’année 2020, 214 installations d’une capacité d’injection de 3,9 TWh/an sont raccordées aux réseaux de gaz naturel, tandis que 1 164 projets supplémentaires, représentant une capacité de 26,5 TWh/an, sont en cours de développement[2]. Notre consommation de gaz restant stable depuis le début des années 2000, la méthanisation représente un réel potentiel pour devenir moins dépendants de la volatilité des prix de l’énergie. Devrions-nous y renoncer ?

Posons plutôt la question à l’envers : combien de méthaniseurs faudrait-il pour atteindre une autonomie en gaz satisfaisante ? En 2020, le gaz renouvelable ne représente que 0,5 % de la consommation de gaz naturel en France et les méthaniseurs permettent de produire 0,6 % de notre consommation d’électricité. Les projets en cours devraient permettre d’atteindre près de 33 TWh/an, soit environ 6,5% de notre consommation, et nous coutera donc près de 17 milliards.

Jusqu’où aller sur ce chemin ?  En supposant (et c’est une grosse supposition !) que la limite de 15% de cultures dédiées soit respectée pour alimenter le méthaniseur, une partie de l’alimentation servira tout de même à fournir de l’énergie. Il nous faudra ainsi prochainement nous interroger sur ce qui est le plus important : l’alimentation ou le gaz ? Autrement dit, pour atteindre x% d’autonomie énergétique, on sacrifie combien d’autonomie alimentaire ?

 

4) En effet, une autre critique faite aux méthaniseurs est que leur ration entre en concurrence avec l’alimentation animale ou humaine. Les cultures, dédiées ou non, qui sont utilisées pour alimenter le méthaniseur, viennent en remplacement d’autres cultures ou viennent bouleverser une rotation habituellement dédiée aux cultures de vente. De plus, les années sèches, les éleveurs voient d’un mauvais œil la paille qui peut également être ainsi utilisée, qui contribue à tendre le marché et à faire grimper les prix. Plafonner les volumes ou les surfaces de cultures dérobées, ainsi que les volumes de paille selon la capacité du digesteur ou les surfaces de l’exploitation pourrait-il être une solution ?

Non, pour deux raisons. D’une part, tout comme la limite actuelle de 15% de cultures dédiées dans la ration du méthaniseur, ce n’est absolument pas contrôlable. Cela relève du régime déclaratif, personne ne peut vérifier tous les jours si la composition de la ration du méthaniseur est conforme aux déclarations de l’agriculteur.

La deuxième raison, c’est que l’investissement consenti par l’agriculteur est tel que celui qui en est le propriétaire ne peut pas se permettre un aléa lié à son fonctionnement. Il y a là une logique économique implacable, il va falloir assurer le fonctionnement du méthaniseur coûte que coûte. Il est en effet indispensable d’optimiser les apports pour assurer la rentabilité car si la ration n’est pas adaptée, le méthaniseur ne fournira pas les Kwh prévus dans le business plan, et l’agriculteur ne pourra pas se permettre de ne pas réaliser le chiffre d’affaires prévu.

Interview réalisée par Alessandra Kirsch, Directrice des études d’Agriculture Stratégies

Le 3 février 2022

[1] http://www.senat.fr/rap/r20-872/r20-872-syn.pdf

[2] https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/edition-numerique/chiffres-cles-energie-2021/14-gaz-naturel#:~:text=En%20fin%20d’ann%C3%A9e%202020,sont%20en%20cours%20de%20d%C3%A9veloppement.

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Un commentaire

  1. Bonjour,
    – Subventions
    L’ADEME dépensé bien plus que les 425 M€ indiqués, nous comptons au CSNM plus de 570 M€, et sommes loins du compte.
    Les Régions ont aussi investis énormément, plus de 120 M€, et via les FEADER, 40 M€. Chiffres là aussi a minima tellement il est illusoire de pouvoir imaginer avoir des chiffres clairs (que les régions ne donnent pas, même si une obligation d’ouvrir les données est en principe requise dés lors qu’un financement européen est en jeu).
    Nous l’avons signalé au Ministère des finances, cette filière sera un gouffre irrécupérable, quand cette bulle spéculative crèvera. Aucun démantèlement pris en compte (durée de vie des méthaniseurs en cessation d’activité: 10 ans), et des dizaines de millards à insuffler chaque année pour une énergie récupérée ridicule.
    Ces subventions vont-elles aux agriculteurs les plus nécessiteux ? A ceux qui opèrent les meilleures pratiques ? Certainement pas, ce système n’est ni juste, ni allant dans le bon sens.
    – Energie
    Les consommations en gaz naturel ne cessent d’augmenter maigres le développement de la méthanisation. Cette dernière ne fait absolument rien dans l’économie de gaz à effets de serre de ce côté. Il ne s’agit pas de remplacer ou éviter des énergies plus émettrices, mais de développer une autre filière émettrice sur les anciennes.
    – GES
    La méthanisation est vue comme faiblement émettrice, mais cela repose sur des artifices de calculs que les données du GIEC réfutent. Ne vaudrait-il pas mieux orienter toutes ces subventions vers des pratiques durables ? Vers l’isolation des passoires et d’autres énergies ? Une bonne isolation dure 100 ans, typiquement 5 fois plus qu’un méthaniseur !
    – Résorption des déchets
    Il est évident qu’avec 90% des intrants ressortants comme digestats, cet aspect est illusoire lui aussi. La biomasse ne doit pas être envisagée comme source d’énergie ni comme une voie pour réduire les GES (Académie des Sciences Allemande dés 2012)
    – Concurrence à la surface
    Cela fait 3 ans que nous prédisons cela, et les faits le montrent de plus en plus. Concurrence entre agriculteurs, et bientôt entre méthaniseurs. Qui tirera son épingle du jeu ? Les grosses multinationales, qui laisseront tomber les énergiculteurs dés le manque de rentabilité venu. C’est d’ailleurs déjà notoire.
    – Accidents
    Si en dépit de tous ces désavantages cette filière était propre ce serait toujours ça. Hélas, ce n’est pas le cas, plus de 305 accidents répertoriés (combien de non signalés ?), plus de 330 000 riverains signant des pétitions dans plus de 275 collectifs. Excusez du peu, les pollutions aquatiques ne cessent d’augmenter, le nombre d’incendies, le …
    – Complément de salaire
    Une étude récente montre clairement que les plus grosses structures sont celles redistribuant le moins en proportion aux agriculteurs. Et il en ira ainsi de façon croissante au fur et à mesure du vieillissement du parc (les business plan s’étalent sur 20 ans, mais pas plus …)
    – Est-il besoin d’aller plus loin alors que l’Allemagne, précurseur s’il en est, recule et abandonnera cette filière désastreuse ?
    Sincèrement
    CSNM

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