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La fin prématurée du dispositif français en matière d’étiquetage et la succession de crises vont-elles durablement impacter le niveau d’information fourni au consommateur ? Avec le non-renouvellement du décret sur l’origine des ingrédients (viande et lait) composant les plats préparés, l’expérience française en matière d’étiquetage semble pour l’heure enterrée. Malgré certaines initiatives bienvenues pour garantir l’origine des viandes ou du lait utilisé en tant qu’ingrédient, ce recul de la transparence vis-à-vis du consommateur se cumule avec les autres menaces qui pèsent actuellement sur nos étiquettes. Dans un contexte de succession de crises (Covid, Ukraine, influenza aviaire) et de perturbations des approvisionnements, de nombreuses dérogations sont demandées par les industriels, contraints d’adapter leurs recettes au pied levé. Si dans leur grande majorité elles paraissent justifiées et théoriquement limitées dans le temps, il est à craindre que ces dérogations fragilisent durablement le niveau d’information disponible et rendent l’étiquetage de plus en plus illisible pour le consommateur. Alors que la France s’en remet désormais à la révision du règlement européen INCO fin 2022 pour avancer sur le sujet de l’origine des ingrédients primaires, rien ne garantit que sa nouvelle mouture sera aussi poussée que la règlementation spécifique qui s’appliquait jusqu’alors en France. Alors que les débats s’enlisent autour du Nutriscore, du Rémunérascore ou encore de la prise en compte du bien-être animal dans l’étiquetage, assurer une information de base, claire et simple, sur l’origine devrait être la préoccupation première de tous.
Rappel : l’expérimentation française pour compenser une règlementation européenne trop évasive
Suite au scandale sanitaire de la viande de cheval dans les lasagnes, le gouvernement français a souhaité améliorer la traçabilité et la transparence pour le consommateur des ingrédients qui composent les plats préparés, en particulier en ce qui concerne la viande et le lait. De ce fait depuis 2016, tout produit transformé dont la composition requiert plus de 8% de viande ou plus de 50% de lait se voyait soumis (via un décret[1]) à une réglementation mentionnant pour chacun de ces deux ingrédients, l’origine géographique des différentes étapes du processus de transformation. Concrètement : pour la viande, il était obligatoire de préciser le pays de naissance, d’élevage, et d’abattage et pour le lait, le pays de collecte, de conditionnement et de transformation.
Des dispositions bien plus contraignantes que la réglementation européenne, basée sur le règlement INCO [2](2011) où la mention de l’origine et la précision géographique des informations étaient toutes relatives. Seuls les ingrédients habituellement associés à la dénomination du produit fini ou décrits comme « primaires », c’est-à-dire, entrant pour 50 % au moins dans la composition d’une denrée sont concernés par des questions d’étiquetage. De plus, mentionner l’origine géographique d’un ingrédient primaire ne devient réellement obligatoire que lorsque cette dernière diffère de celle revendiquée par le produit fini. Autrement dit, si l’industriel ne souhaite pas mettre en avant l’origine du produit fini, rien ne l’oblige à étiqueter l’origine des ingrédients primaires qui le compose. Enfin, pour les ingrédients primaires potentiellement concernés par des obligations d’étiquetage, aucune précision géographique n’est demandée : la simple mention origine UE/non UE peut suffire. En somme, il revient à l’industriel, en fonction des éléments qu’il souhaite mettre en avant (ou pas), de décider du niveau d’information et de précision qu’il donne à voir au consommateur.
Depuis 2022 et malgré certaines initiatives bienvenues, retour au flou réglementaire pour le consommateur
L’expérience française en matière d’étiquetage, pourtant validée par la commission européenne et plébiscitée par les associations de consommateurs, a dû cesser, victime de l’action en justice de Lactalis. En effet, un Etat Membre qui souhaite aller plus loin en matière d’obligation d’étiquetage doit disposer de solides arguments, notamment pour prouver le lien entre certaines propriétés de la denrée et sa provenance. Des preuves jugées insuffisantes par la CJUE et le Conseil d’Etat en ce qui concerne le lait. Face à ce revers, la France a été contrainte de restreindre la portée de son décret expérimental sur la viande en mars 2021, et de se contenter d’une application minimaliste de la réglementation européenne en matière d’étiquetage des ingrédients contenus dans les produits transformés (rappelée dans la loi EGALIM). En effet, face à la fragilité juridique du décret de 2016 et au risque d’être également attaqué sur la partie viande, le gouvernement ne l’a pas renouvelé cette année, mettant ainsi fin définitivement à l’expérience française.
Sans le renouvellement du décret qui s’appliquait jusqu’en décembre 2021, plus aucun filet de sécurité ne garantit au consommateur que la mention « origine France » ou « transformé en France » se rapporte également à l’origine des ingrédients qui composent les produits transformés. Ces appellations, qui dépendent uniquement de la dernière étape de transformation substantielle du produit, peuvent induire le consommateur en erreur comme l’a déjà relevé foodwatch en 2019 [3]. Certains industriels pourraient même être tentés de diversifier leurs approvisionnements géographiques en matières premières (comme la viande) sans conséquence sur l’étiquetage du produit fini. Aujourd’hui, seule la charte signée en 2021 entre plusieurs grands distributeurs qui vise à ne pas utiliser la mention « transformé en France » si la matière première n’est pas d’origine française (une charte valable uniquement pour les produits sous MDD) constitue une légère protection du consommateur sur l’origine.
Ave EGALIM 2, les députés ont dû là aussi se contenter d’une simple transcription de la législation européenne dans le droit français en ce qui concerne l’origine des ingrédients. Si on note quelques avancées comme l’interdiction de l’utilisation de symboles français sur les emballages quand les ingrédients primaires ne sont pas d’origine France, les industriels peuvent toujours utiliser les mentions « transformé en France » dans leur argumentaire marketing. Une mention qui, on le rappelle, ne garantit pas l’origine France des ingrédients. Ce recul français en matière d’étiquetage de l’origine des ingrédients vient à contre-courant des demandes sociétales françaises. En effet, le gouvernement vient tout juste de parvenir à finaliser un décret permettant de rendre obligatoire l’étiquetage de l’origine de la viande (porc, volaille, agneau, mouton) servie en restauration hors domicile, démontrant que ce débat est toujours bien présent.
Face aux crises qui s’additionnent, des dérogations à l’origine de confusions
Si l’ensemble des industriels ne va pas renoncer à la transparence concernant la provenance de leurs ingrédients (notamment car l’origine constitue un argument de vente important en tant que deuxième critère d’achat du consommateur), les crises que subissent certains secteurs les obligent à revoir d’urgence l’origine de leurs approvisionnements voire même la formulation de leurs produits. La crise sanitaire et désormais la guerre russo-ukrainienne bouleversent les échanges et certaines denrées, comme l’huile de tournesol, viennent à manquer. Face à cette situation, des dérogations sont accordées par la DGCCRF pour permettre aux industriels de continuer à produire avec des recettes modifiées et sans avoir besoin d’imprimer de nouveaux emballages. Une situation justifiée par l’urgence des événements et valable pendant 6 mois, délai normalement nécessaire à l’impression des nouveaux emballages. Seuls les changements correspondants à l’ajout d’un ingrédient allergène ou issus d’OGM doivent être explicitement notifiés sur l’emballage notifiés, de même que si certaines allégations environnementales qui ne seraient plus respectées (ex : produit issu de l’AB). Pour le reste, la simple mention « dérog » et/ou un affichage en magasin peut suffire[4]. Au 31 mai 2022, ce sont 2752 produits qui sont concernés par des dérogations, en grande partie liées au remplacement de l’huile de tournesol ou ses dérivés[5].
D’autres acteurs, comme les représentants des industriels de la charcuterie, s’inspirent des dérogations accordées en ce qui concerne l’huile de tournesol pour demander eux aussi des « souplesses » quant à l’étiquetage de leurs produits. Avec l’épizootie d’influenza aviaire qui a touché plus de 15 millions de volailles depuis l’automne 2021, une baisse de 30% du volume de production est à craindre sur le marché français[6]. La FICT (fédération des industriels charcutiers traiteurs) demande ainsi des modifications temporaires de recettes ou concernant l’origine des viandes et susceptibles d’impacter certaines mentions valorisantes (sans OGM, sans antibiotique). Pour le président de la FICT, qui justifie en partie cette demande au vu « de la grande souplesse acceptée sur l’Ukraine », l’information au consommateur pourrait être assurée par des stickers ou « un affichage digital en tête de gondole »[7]. Sans nier la gravité de la crise de l’influenza aviaire, ni les risques de pénurie pesant sur la commercialisation de certains produits, cette demande de souplesse pose question quant aux motifs et aux conséquences de ces dérogations (notamment sur la question des OGM, très sensible pour le consommateur). Elles pourraient constituer un précédent et inciter d’autres filières, impactées par des problématiques plus ou moins graves, à demander elles aussi certains arrangements. Or la situation que nous connaissons actuellement, certes inédite, ne peut constituer ni un prétexte ni l’opportunité d’une brèche durable dans la transparence ou la lisibilité des étiquettes. Si elles se prolongent, les dérogations et potentielles souplesses accordées pourraient impacter la confiance des consommateurs envers les produits et au final, desservir l’ensemble des parties prenantes (industriels, distributeurs et agriculteurs). Il convient à l’Etat de s’assurer que la lisibilité des étiquettes reste une priorité de tous les acteurs, même en temps de crise.
Les souplesses accordées par la DGCCRF ne sont pas systématiques chez nos voisins européens
En plus des problématiques de pénurie de matières premières, les industriels font face à des surcoûts importants et des difficultés d’approvisionnement concernant les emballages. D’ici six mois et l’expiration des dérogations, qu’en sera-t-il des nouveaux étiquetages ? La reconduction des dérogations (avec un affichage minimaliste des changements) pourrait constituer la solution de facilité pour les industriels, susceptibles de faire pression en ce sens. Certains exemples récents montrent déjà que la France, contrairement à d’autres pays européens, se montre plus permissive en ce qui concerne le niveau d’information délivré au consommateur. Avec l’influenza aviaire par exemple, les éleveurs ont été contraints de confiner les volailles pour raisons sanitaires. Si cette situation est prévue par les règlements européens, elle fait néanmoins l’objet d’une durée exceptionnelle (au-delà des 16 semaines prévues par l’UE). Les souplesses françaises accordées pour le maintien de la mention « élevée en plein air » et du code 1 sur les œufs ne sont pas systématiques chez nos voisins européens. En Belgique par exemple, « les mentions « élevées en plein air » doivent dorénavant être barrées ou couvertes, et le code 1 sur les œufs doit être remplacé par le code 2 – correspondant à des poules élevées au sol »[8].
Les crises actuelles, conjuguées au recul français en matière d’étiquetage pourrait ouvrir la voie à certains industriels opportunistes et désireux de réaliser des économies tout en entretenant le flou pour le consommateur. Dans un contexte où les fraudes à l’origine française se multiplient[9], ces arrangements supplémentaires risques d’entacher un peu plus la confiance des consommateurs et de ternir les démarches sincères et vertueuses de certains acteurs sur la question de l’origine. Quant au gouvernement, qui mise désormais sur la révision du règlement INCO d’ici la fin de l’année (pour une application concrète en 2024 !) pour renforcer la réglementation européenne sur l’origine, la bataille n’est pas encore terminée. En attendant, c’est au consommateur de faire pression sur les industriels pour prouver son attachement à la transparence des étiquettes en choisissant des produits dont la provenance des ingrédients est certifiée. Enfin, nombreuses sont les voix qui s’élèvent pour que le chèque alimentaire, dont les dispositions vont prochainement être dévoilées, cible spécifiquement des produits français de qualité. Il est donc impératif que l’origine des produits et les mentions valorisantes indiquées sur l’étiquetage ne puissent faire l’objet de doutes.
Willy Olsommer, Chargé d’études à Agriculture Stratégies
Le 7 juin 2022
[1] Décret n° 2016-1137 du 19 août 2016 : https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000033053008/
[2] Réglement (UE) No 1169/2011 concernant l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:32011R1169&from=FR
[3] https://www.foodwatch.org/fr/actualites/2019/reperer-les-aliments-made-in-france-pas-si-francais-que-ca/
[4] https://presse.ania.net/actualites/cp-ania-lca-guerre-en-ukraine-et-derogations-detiquetage-eviter-les-ruptures-tout-en-garantissant-la-securite-sanitaire-et-la-transparence-de-linformation-aux-consommateurs-9824-53c7f.html
[5] https://www.economie.gouv.fr/dgccrf/rechercher-produit-recette-temporairement-modifiee?q=*
[6] https://www.lsa-conso.fr/la-volaille-plongee-dans-la-crise,409496
[7] Influenza : l’industrie de la charcuterie veut des « souplesses » sur l’étiquetage | Agra Presse
[8] https://www.60millions-mag.com/2021/04/14/les-poules-sont-confinees-les-oeufs-restent-de-plein-air-18547
[9] https://www.lafranceagricole.fr/actualites/gestion-et-droit/etiquette-la-fraude-sur-lorigine-france-a-le-vent-en-poupe-1,2,203578723.html