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PSN : La France oppose une fin de non-recevoir aux observations de Bruxelles

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En matière de PAC, les deux derniers mois ont été marqués par les échanges entre la Commission et la France, sur la déclinaison nationale de la PAC présentée au sein du plan stratégique national (PSN), élaboré par le ministère de l’Agriculture et soumis à validation de Bruxelles. De manière générale, les remarques portent sur l’architecture environnementale du plan français. La Commission reproche à la France de manquer d’ambition, tout comme aux autres Etats-Membres. Elle demande un rehaussement ou une clarification de certains indicateurs de résultat, des précisions sur les moyens financiers engagés pour atteindre les objectifs, et la conception de l’écorégime focalise un certain nombre de craintes. Les réponses apportées par la France aux observations de la Commission européenne confirment la trajectoire engagée par le PSN. Peu de modifications sont attendues et Paris ne révise sa copie (de mauvaise grâce) que lorsque la Commission use des règlements pour l’y contraindre. Au-delà, la France estime, comme d’autres Etats-Membres, qu’il est de son ressort d’apprécier l’impact des mesures imposées dans le PSN et que la Commission, ne disposant du pouvoir législatif, n’a pas à s’en mêler.  A travers le jeu de questions-réponses entre la Commission et la France, il reste néanmoins intéressant d’analyser les éléments qui ont fait l’objet d’une attention particulière de la part de Bruxelles de même que ceux avancés par le MAAF pour se justifier.

 

 Les écorégimes focalisent les critiques

Les écorégimes sont devenus un marqueur politique de la réforme, 25% des aides du premier pilier y sont conditionnées. Certains y voient d’ailleurs une régression, puisque dans la précédente réforme, 30% des aides du premier pilier étaient conditionnées aux exigences du paiement vert. Mais il faut prendre en compte que les exigences du paiement vert (diversification, maintien des prairies permanentes et des éléments favorables à la biodiversité) sont désormais incluses dans les BCAE qui doivent être respectées pour prétendre à n’importe quelle aide de la PAC. Les exigences du paiement vert s’appliquent donc désormais à 100% des aides du 1er pilier, mais aussi à l’ICHN ou aux MAEC, à l’aide à la conversion à l’agriculture biologique… Sans rémunération supplémentaire.

Mais revenons à l’écorégime. Dans sa conception théorique, l’écorégime est supposé être un paiement pour services environnementaux rendus par l’exploitant, alors que les aides du second pilier comme les MAEC visent à compenser des surcoûts/manques à gagner liés à l’adoption de pratiques plus vertueuses, et que la conditionnalité impose un minimum réglementaire à tous sans compensation économique. Pourtant, l’écorégime ne permettra pas de rémunérer davantage les exploitations agricoles en contrepartie d’efforts supplémentaires, puisque l’atteinte de l’écorégime à son niveau supérieur leur permettra simplement de conserver leur niveau antérieur d’aides découplées.

Poids dans les aides du 1er pilier PAC 2015-2022 PAC 2023-2027
DPB 44 % 48 %
Paiement redistributif 10% 10%
Paiement vert / écorégime 30 % 25 %
Total 84 % 83 %

En conséquence, la France a dès le départ annoncé sa volonté « d’accompagner le plus grand nombre dans la transition » et de rendre l’écorégime accessible au maximum d’exploitations. Elle a fait le choix de proposer un écorégime avec trois voies d’accès (pratiques agricoles vertueuses, certification ou infrastructures agroécologiques) et qui permettent toutes trois d’accéder à deux niveaux de paiement, selon de le degré d’effort consentis. Mais pour la Commission, les différentes voies d’accès à niveau de rémunération équivalent (1 ou 2) ne permettent pourtant pas d’aboutir au même résultat (« des niveaux de durabilité et d’engagement qui diffèrent entre les voies d’accès »).

Mais dans ses questions sur le sujet, Bruxelles ne se focalise que sur le fait que la certification HVE donne accès au même niveau d’écorégime que la certification bio, en écho marqué aux revendications des acteurs de la bio. Ce choix est largement remis en question tout au long de ses observations : cahier des charges plus clément pour la HVE, complexités de gestion ou impossibilité de chiffrer -à ce jour – les bénéfices environnementaux amenés par la HVE. La demande de la Commission est claire : il faut différencier le niveau d’écorégime accessible grâce à la certification HVE de celui accessible grâce à la certification bio (qui doit porter sur l’ensemble de l’exploitation et non pas sur un atelier). En revanche, l’équivalence entre la certification bio et la voie des pratiques (5 points de diversité des cultures, cf infra, 90% de prairies permanentes non labourées, et 95% de couverture d’inter-rang pour les surfaces en cultures permanentes) n’a soulevé aucune remise en cause, alors que cette dernière apparait bien moins complète et exigeante que le référentiel HVE actuel.

Face aux critiques, Paris met en avant la refonte en cours du référentiel HVE[1] (items en rouge dans le tableau ci-dessous) qui permettra d’atteindre « un niveau ambitieux en termes d’impact environnemental ». Problème, la nouvelle version se fait toujours attendre, et la quantification des effets bénéfiques pour l’environnement restera extrêmement compliquée, comme dans le cas de toute certification. La France finit donc par ouvrir la porte à une éventuelle différenciation et annonce que la version définitive du PSN contiendra « une modification de l’écorégime qui permettra de mieux tenir compte de cette remarque sur les services environnementaux différents rendus par l’agriculture biologique et la certification HVE ». Les dernières informations à ce jour évoquent au final un bonus pour la bio, tandis que la HVE conserverait tout de même le niveau d’écorégime supérieur.

Distinguer les objectifs de l’intervention publique, un exercice délicat pour un PSN multi-tâches

Dans son argumentaire, le ministère insiste néanmoins sur le fait que le secteur de la bio reste privilégié par rapport aux productions HVE sur d’autres aspects : il revient sur les aides spécifiques à cette filière (aide à la conversion, relèvement du crédit d’impôt) et rappelle à plusieurs reprises que les productions BIO bénéficient d’un prix de marché supérieur en retour des efforts engagés (à l’inverse des produits certifiés HVE, qui peinent à trouver leur positionnement).

En déplaçant le débat sur la valorisation économique des productions, le Ministère sort du cadre initialement défini pour l’attribution des aides de l’écorégime, à savoir un paiement pour services environnementaux, indépendant de la valorisation économique de la production. Dans le document de réponse gouvernemental, on peut lire ailleurs que les écorégimes contribuent à une accélération de la convergence, donc un rééquilibrage économique de l’aide au revenu, mais aussi à « la diversification des cultures et au maintien des prairies afin de renforcer l’autonomie et la résilience des élevages ».

De même, des aides comme l’ICHN, avant tout à visée économique pour compenser des conditions de production plus difficiles, sont intégrées dans le panier des aides à vocation environnementales (mais on ne prend en compte de 50% de leur budget). Le caractère multifonctionnel de l’agriculture rend délicat voire impossible le ciblage des aides sur un seul objectif ; la demande européenne de lier les aides de la PAC à des indicateurs de résultat abouti à des schémas difficilement lisibles où les effets des aides s’entrecroisent, et où les politiques nationales viennent interférer.

On retrouve cette difficulté à justifier les aides dans le cas de la bio. Alors que la France est questionnée sur la suppression des aides au maintien, la meilleure valorisation économique des produits bio est de nouveau utilisée pour justifier une suspension de l’aide. Un argument que le MAAF s’applique aussi tôt à… déconstruire ! En effet, il rappelle que l’aide à la conversion est distribuée pendant 5 ans alors même que la conversion à proprement parler (c’est à dire, la durée pendant laquelle le producteur adopte les pratiques de la bio sans pouvoir prétendre à bénéficier du label et de ses avantages) est évaluée à 2 à 3 ans selon les filières[2]. Les aides à la conversion prennent donc une forme d’aide au maintien dès lors que l’agriculteur peut écouler sa production sous sigle AB. Une situation pourtant pleinement assumée par le MAA et jugée « d’autant plus nécessaire compte-tenu du contexte actuel d’incertitude sur certains marchés bio ». L’aide au maintien, tantôt jugée nécessaire dans le cadre de la conversion, tantôt jugée peu conséquente et superflue sous sa forme actuelle, n’est pas la seule incohérence dans l’argumentaire du MAAF.

Ainsi, le ministère érige la structuration des filières et la consolidation des marchés bios comme de véritables solutions à long terme pour soutenir le secteur. Une logique à laquelle nous souscrivons pleinement, mais qui ne se traduit pas par des actions concrètes au sein du PSN : la France maintient son objectif de 18% de la SAU en bio à horizon 2027 alors que le bio subit sa première crise en raison d’une production supérieure à la demande (le prix du lait conventionnel est actuellement supérieur au prix du lait bio), et les marges de manœuvre mobilisées en termes d’organisation des filières sont peu exploitées dans le PSN, comme en témoigne l’enveloppe destinée aux programmes opérationnels.

Le programme opérationnel des protéines végétales sur la sellette

Si les lois Egalim font du renforcement des organisations de producteurs une nécessité pour améliorer la position des agriculteurs au sein de la chaîne de valeur, leur développement devra s’appuyer sur d’autres outils que ceux disponibles au sein des programmes opérationnels. C’est en substance ce que répond le gouvernement aux inquiétudes bruxelloises, qui regrettent que le PSN français ne mobilise que 0,5% du budget du premier pilier alors que la commission autorise jusqu’à 3%. Mais cette enveloppe déjà faible pourrait pourtant se réduire encore davantage.

Cette enveloppe de 0,5% dédiée aux nouveaux programmes opérationnels était supposée concourir au développement de la filière des protéines végétales (et d’autres filières sans précision supplémentaire), dont le gouvernement a fait une priorité. Mais dans ses observations, Bruxelles rappelle une donnée importante : financer des programmes opérationnels pour de nouvelles filières implique de réduire en parallèle les aides couplées. Autrement dit, si les éleveurs avaient voulu bénéficier d’un programme opérationnel, ils auraient du renoncer à des aides couplées individuelles pour financer un programme de filière collectif, qui comporte obligatoirement un volet de nouvelles exigences environnementales, une organisation administrative importante, et co-financer ce programme de leur propre poche. Malgré tout l’intérêt des programmes opérationnels, on peut concevoir que cette forme de soutien n’ait pas remporté une adhésion massive des représentants de producteurs. En ce qui concerne les protéines végétales, le gouvernement ne pourra donc à la fois renforcer l’aide couplée aux protéines et financer un programme opérationnel, et devra donc arbitrer entre le soutien direct à la production ou à l’organisation de filière.

Face aux remarques de la Commission, le ministère met en avant, comme dans tout le texte, des initiatives nationales qui visent à inciter à la formation et au développement des organisations producteurs, notamment issues du plan de relance et hors PSN donc, et les effets de la loi Egalim et de la mise en œuvre de la contractualisation obligatoire. Une justification un brin prophétique et auto-rélisatrice qui fait fi des réalités d’EGALIM 2. En effet, seuls 30 à 40% des flux agroalimentaires sont concernés par cette loi, qui comporte de nombreuses exceptions. De plus, la logique de marche en avant voulue par le gouvernement dans la construction des prix reste soumise au rapport de force entre l’amont et l’aval. Les difficultés éprouvées lors des dernières négociations commerciales (les premières sous EGALIM 2) viennent confirmer que le diable se cache dans les détails[3] (choix des indicateurs, de la formule de prix, du seuil de déclenchement des clauses de révision…). Les dispositifs prévus ne prennent sens que si les producteurs sont en capacité de négocier, Et si les hausses de charges demandées par l’amont de la filière peut être répercutée vers l’aval, jusqu’au consommateur, dans un contexte inflationniste et de guerre des prix entre distributeurs.

Rotation des cultures : une conditionnalité « renforcée »… déjà en sursis ?

Comme évoqué plus haut, les critères du verdissement ont été intégré dans les BACE, qui doivent être respectées pour toucher l’ensemble des aides PAC. Le critère de diversification a été à l’origine d’âpres discussions : dans la PAC précédente, toute exploitation de plus de 30ha devait détenir un minimum de 3 cultures différentes, la plus importante ne pouvant représenter plus de 75% des terres arables et la plus minoritaire devait représenter au moins 5%. La BCAE 7, supposée remplacer ce critère du paiement vert, n’exige que d’obtenir 2 points sur le barème des écorégimes (voir ci-dessous), qui peuvent être gagnés en n’implantant que deux cultures (au lieu de trois antérieurement, donc).

Figure 1 : le barème des points attribués pour la diversification, applicable pour la BCAE 7 et les écorégimes (Source : Chambres d’Agriculture de Normandie)[4]

Mais à la différence du verdissement qui ne tenait pas compte des familles agronomiques (un assolement colza/blé/orge permettait de valider le critère), la nouvelle BCAE 7 attribue des points en regroupant les cultures par blocs. Ainsi, blé d’hiver et orge d’hiver seront comptabilisés comme une seule et même culture, et il faudra donc tout de même ajouter une culture d’une autre famille pour parvenir à valider le critère.

En revanche, on peut constater que cette rotation emblématique « colza/blé/orge » ne suffit pas pour toucher un écorégime qui nécessite 4 points pour le niveau 1 et 5 pour le niveau 2. Si beaucoup d’exploitations essayent d’atteindre l’écorégime par la voie des pratiques, la quantité de céréales récoltées en France pourrait bien être amenée à diminuer.

Néanmoins, cette exigence de diversification, appliquée à l’échelle nationale, n’est pas du goût de la Commission qui demande à la France de mettre en place des prescriptions de rotation des cultures, initialement prévue par la BCAE n°7 (la diversification n’étant prévue dans le texte règlementaire que comme une mesure alternative). Paris reste droit dans ses bottes et justifie son système de « blocs », plus à même « de faire évoluer certains systèmes spécialisés pour lesquels la mise en place du principe de rotation est sans effet sur la nature des cultures produites » et ne « partage donc pas l’interprétation de l’acte de base par la Commission quant à l’impossibilité de mettre en œuvre ce principe sur l’ensemble du territoire national ».  En ce qui concerne la monoculture de maïs, qui bénéficie une fois de plus d’un régime dérogatoire sur l’exigence de diversification des cultures, le ministère n’argumente que sur la logique économique de ces exploitations et sur le fait que les exploitations qui pratiquent la maïsiculture seraient situées sur des zones inondables à faible potentiel sur lesquelles on ne peut pas implanter de cultures d’hiver (ni, apparemment, d’autres cultures de printemps comme le soja…).

Comme on pouvait s’y attendre, le PSN permet à la France comme à chaque Etat Membre une interprétation assez personnelle des règlements et des marges de manœuvre importantes, où le principe de subsidiarité fait désormais place à des choix nationaux assumés en fonction d’intérêts propres. A travers ce jeu de questions réponses, on constate que la Commission qui, rappelons-le, n’est pas co-législatrice, tente d’user de l’influence qu’elle s’est auto-attribuée en s’accordant le pouvoir de valider les PSN pour tenter de faire fléchir les Etats-Membres sur des points qui n’ont pu faire l’objet d’accords entre les 27, au lieu de remplir son objectif d’harmonisation des PSN. Peine perdue en ce qui concerne la France, qui refuse d’aller plus loin que les règlements ; dans les réponses françaises on peut lire de façon très directe : « Les autorités françaises tiennent à rappeler que la quantification dans le PSN des cibles nationales en regard des objectifs du Pacte vert et de la stratégie « de la ferme à la table » n’est pas requise par le règlement ». D’autres pays semblent encore moins diplomates, comme la Suède : « As stated on several occasions, Sweden considers that the discussion on the Green Deal has not yet reached any conclusion on the setting of national target values for the Green Deal targets. Further analysis on principles and consequences is needed. Therefore, Sweden will not include national target values for the Green Deal targets in the SP. »

 

Alessandra Kirsch, Directrice des études d’Agriculture Stratégies
Willy Olsommer, Chargé d’étude à Agriculture Stratégies

Le 21 juin 2022

 

[1] d’après AgraPresse, les producteurs récemment certifiés disposeront d’un délai de 3 ans pour se conformer aux exigences renforcées sans perte de la certification et de ses bénéfices

[2] la durée de conversion varie de 2 ans (cultures annuelles et prairies) à 3 ans (cultures pérennes : vignes et vergers)

[3] https://www.reussir.fr/lait/malgre-la-loi-egalim-2-les-negociations-entre-les-organisations-de-producteurs-et-les-industriels

[4] La diversité des cultures est vérifiée dès que l’exploitation déclare des terres arables pour la conditionnalité. Les cultures sont regroupées en blocs, par grandes familles. Ainsi les céréales forment un même bloc, où l’on ne distingue que céréales de printemps et d’hiver : semer plusieurs céréales d’hiver ne rapporte qu’un point, semer des céréales printemps et d’hiver en apporte deux (de même pour les oléagineux). Pour atteindre le niveau supérieur d’écorégime, semer des grandes cultures, même de façon diversifiée ne peut suffire, il faudre impérativement intégrer d’autres cultures (bas intrants, légumineuses) ou des prairies ou des jachères. Pour en savoir plus : https://normandie.chambres-agriculture.fr/fileadmin/user_upload/Normandie/506_Fichiers-communs/PDF/Rencontres_Eco_Marches/A7-Les_ecoregimes.pdf

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