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L’AGRESSION RUSSE OBLIGE A UNE REORGANISATION TRES RAPIDE DES RESEAUX DE COLLECTE ET DE DISTRIBUTION DE LA RECOLTE UKRAINIENNE – C’EST AUSSI UNE OPPORTUNITE :
Quiconque connait la mentalité ukrainienne et son attachement à sa terre sait néanmoins que quoi qu’il arrive, chaque mètre-carré de terre arable sera utilisé, quelles que soient les conditions. Avec ou sans engrais ou produits phytosanitaires, avec ou sans mécanisation. Mais dans ces conditions, l’année 2023 sera pour les Ukrainiens extrêmement difficile dans tous les domaines, et en particulier dans le domaine agricole. Pour ceux qui croient en la capacité agricole de l’Ukraine et en son aptitude à rebondir, c’est donc une année d’opportunités pour y investir. D’autant que le marché de la terre agricole est désormais ouvert, jusque 2024 seulement pour les personnes physiques ukrainiennes dans la limite de 100 ha chacune, mais ensuite il est clair que les acheteurs étrangers et les personnes morales seront les bienvenus. Il s’ouvrira donc une fenêtre d’opportunités pour les investisseurs désireux d’acquérir des hectares de la très fertile terre ukrainienne, pour tous les acteurs de la production agricole ou de la transformation agro-alimentaire ou agro-industrielle qui posséderaient la technologie et des capacités de financement, et n’auraient pas peur d’investir en Ukraine … même « au son du canon » ?
De plus toutes les institutions internationales vont aider pour que l’agriculture ukrainienne continue d’être le grenier à blé de l’Europe et du monde. Certes pendant 2 ou 3 ans les ports vont continuer à être l’enjeu de terribles combats, mais jamais les Ukrainiens ne les lâcheront. Cependant en parallèle tout un réseau de débouchés nouveaux et de connections alternatives va s’ouvrir. De nombreuses barges de 1 500 tonnes sont en construction pour développer le trafic sur le Danube, qui n’était que de 400 000 tonnes par mois jusque mars 2022, mais déjà de 1 500 000 tonnes pour le seul mois de juillet 2022. A la frontière de l’Ukraine avec la Pologne et la Hongrie, aux endroits accessibles pour les rails à moindre écartement permettant de circuler dans toute l’Europe, d’énormes silo-élévateurs sont en construction, financés principalement par les Américains. Entre la Roumanie et l’Ukraine, de nouvelles voies ferrées sont installées rapidement, en partie d’ailleurs financées par la France, pour permettre aux trains d’apporter la récolte ukrainienne jusqu’au port roumain de Konstanta. Entre la Pologne et l’Ukraine de nouveaux trains relient chaque jour la frontière ukrainienne aux ports polonais ou des pays baltes. Et de très nombreux wagons de transport de céréales sont en construction pour satisfaire cette nouvelle demande qui sera très importante dans les années qui viennent. Pour remplacer un bateau de type « Panamax » qui peut tout seul transporter 60 000 tonnes, il faut selon les normes européennes 34 trains de 32 wagons, soit 1 088 wagons pouvant transporter 55 tonnes chacun. En un mot, l’Union Européenne a besoin de deux fois plus de wagons et de locomotives qu’elle ne possède actuellement juste pour pouvoir accueillir dans l’avenir la majorité de la récolte ukrainienne si les ports de la mer Noire se trouvaient à nouveau bloqués ou leurs infrastructures détruites.
PLUS DE DEBOUCHES VERS L’EUROPE :
Donc quoi que devienne l’issue des combats sur les rives de la mer Noire, la distribution de la récolte annuelle ukrainienne se redéployera, et passera à l’avenir de plus en plus par l’Europe continentale. L’Ukraine ne deviendra pas un deuxième Kazakhstan, mais au contraire s’intègrera de plus en plus au marché ouest-européen pour y écouler la plus forte proportion de sa récolte. La porte du marché russe étant désormais fermée pour de nombreuses années, elle sera de plus en plus le « grenier à blé » de l’Europe.
Il est donc clair que les décisions ont déjà été prises de tout faire pour aider à trouver les financements nécessaires pour sauver la capacité export de l’agriculture ukrainienne dans les années à venir. Ceci est d’autant plus vital pour le monde entier que les stocks mondiaux de blé et de maïs vont se retrouver cet hiver à leur plus bas à cause des événements climatiques de cet été en Europe de l’Ouest, en Amérique et en Chine. Les besoins vont donc rester très importants, et les prix resteront donc tendus. Tout sera donc fait pour rétablir au plus vite la capacité exportatrice de l’Ukraine en matières premières agricoles.
Les effets combinés de la guerre en Ukraine et de la sécheresse mondiale de cet été impliquent que les réserves mondiales de graines vont se retrouver au plus bas depuis plus de 10 ans. Selon le « International Grain Council » les stocks mondiaux de maïs à la fin de la saison 2022/2023 seront juste suffisants pour 80 jours, soit 28% de moins qu’il y a cinq ans. De plus, la production céréalière de l’Union Européenne risque cette année d’être la plus faible depuis quinze ans. Il faudrait donc que l’Union Européenne augmente ses importations d’Ukraine d’environ 30%, alors que nous venons de voir toutes les difficultés et toutes les menaces qui planent sur la production agricole ukrainienne en 2022 mais aussi en 2023.
La diminution de la capacité d’export de l’Ukraine et le risque de voir le « grain corridor » bien fragile cesser de fonctionner à tout moment représentent donc un énorme risque pour la sécurité alimentaire mondiale, et non seulement pour quelques pays pauvres d’Afrique. Il est donc essentiel et urgent pour l’Union Européenne de voir son « grenier à blé » qu’a toujours été l’Ukraine fonctionner et se remplir à nouveau normalement. Tous les investissements permettant le retour de l’Ukraine sur la scène internationale des échanges agricoles dans le délai le plus bref sont donc devenus absolument prioritaires.
PLUS DE TRANSFORMATION LOCALE DES MATIERES PREMIERES AGRICOLES :
Par ailleurs, en Ukraine même, et principalement motivés par le faible prix des céréales et oléoprotéagineux à l’heure actuelle sur le marché intérieur ukrainien, de très nombreux investissements dans la transformation sur place des matières premières agricoles produites par l’Ukraine voient le jour : usines de bioéthanol, biogaz et de biométhane – car c’est plus intéressant que de vendre les matières premières et avoir ensuite à acheter du gaz à des prix élevés -, fabriques de chips et de pop-corn, fermes avicoles, élevage pour la viande et aussi pour le lait, conservation de légumes et autres. Le vice-ministre de l’agriculture ukrainien, Taras Vysotsky, a récemment déclaré : « The war has accelerated Ukraine’s transition from a commodity-based to a food-based economy. »
Je terminerais sur mon projet personnel qui rentre dans cette dernière catégorie. Ayant longtemps cultivé du lin et du chanvre dans ma zone d’activité dans le coin Nord-Est de l’Ukraine à proximité du turbulent voisin russe, je suis en train de monter un projet de multiplication et de culture du chanvre industriel (non-narcotique) sur la base d’un ancien teillage de lin, mais cette fois dans la région de Jitomir à l’Ouest de Kyiv. Il s’agit d’un investissement de l’ordre de 5 millions $ visant à produire 500 tonnes de matériel de semences de chanvre par an, et de cultiver ensuite 5 000 hectares de culture commerciale du chanvre en coopération avec les fermiers locaux, puis de les teiller (défibrer). Alors que ce projet ne déclenchait pas l’enthousiasme des institutions internationales présentes en Ukraine jusqu’alors, les conditions de guerre ont entraîné le feu vert d’EBRD et même un fort intérêt de USAID pour tenter de construire pour le chanvre textile une alternative ukrainienne à la filière chinoise. Je vais donc lancer ce nouveau projet dès cet automne avec le soutien de partenaires techniques français et belges que je viens de rencontrer. Si vous souhaitiez vous associer à une telle entreprise, n’hésitez pas à me contacter directement (mobile ukrainien : +380509759980 ou e-mail : terestchenko.michel@gmail.com) ou à travers ESSEC ALUMNI.
CONCLUSION : INVESTIR « AU SON DU CANON »
De tels projets sont actuellement nombreux en Ukraine. En effet, il ne suffit pas de gagner la guerre, il faut aussi gagner la paix qui suivra, reconstruire l’Ukraine, et lui donner les moyens de rejoindre les fortes institutions occidentales que sont l’UE et l’OTAN. La guerre dans le Sud va durer jusqu’à la capitulation ou l’effondrement de l’agresseur russe qui ne pourra jamais être vainqueur. Et qui sera amené à payer d’énormes réparations. Une période d’investissement s’ouvre pour tous ceux qui veulent se positionner dans la reconstruction de l’Ukraine et principalement de son secteur agricole et agro-alimentaire. La plupart des risques de guerre ou de force majeure peuvent être couverts par des assurances appropriées pour tous les bons projets d’ampleur soutenus par les institutions internationales occidentales.
La guerre actuelle, même si entièrement provoquée par les ambitions russes de conquête territoriale, est en fait une guerre de libération nationale de l’Ukraine après 350 années de très dure colonisation qui a été jusqu’au vol de son histoire et de son identité, et jusqu’au génocide contre son peuple. L’Ukraine ne peut perdre cette guerre, qui lui aura au contraire permis de démontrer qu’elle défend les valeurs européennes et démocratiques, et qu’elle est en fait une chance plutôt qu’une charge pour l’Europe à laquelle son histoire est liée depuis plus de mille ans, et à laquelle elle appartient. Au lieu de devenir un deuxième Kazakhstan, elle deviendra au contraire un grand pays européen et apportera à l’Union Européenne ses 40 millions d’ha de terres arables, ses conditions climatiques favorable, sa façade maritime stratégique, ses conditions de travail très concurrentielles, son énergie et toute son expertise particulièrement dans la sphère agricole. Cette mutation est en cours, à marche forcée. Les Américains sont bien sur déjà activement présents. Mais les Européens, et particulièrement les Français, sont les bienvenus et je serais heureux d’aider ceux qui le souhaitent à y trouver la place ou le créneau qui leur conviendrait le mieux.
Le 19 octobre 2022,
Michel Terestchenko (ESSEC 79)
terestchenko.michel@gmail.com
mobile Ukraine +380 50 975 99 80
mobile France 07 83 78 78 52