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Un projet de réforme PAC alors même que cette nouvelle PAC entre en application ? En effet : cette PAC élaborée en 2018 n’a pas évolué avec le contexte mondial, et n’est en rien adaptée ni suffisante pour protéger l’agriculture européenne des crises que nous traversons. Nous venons de connaître une crise sanitaire, nous luttons actuellement contre les effets d’une crise énergétique, mais si demain nous devions faire face à une crise alimentaire d’ampleur, nous ne serions pas capables d’y faire face ni prêts à en subir les conséquences, qui s’appréhenderaient sur une durée bien plus longues et avec des répercussions bien plus importantes. Les faits récents nous l’ont rappelé : l’alimentation est une arme géopolitique.
Alors que la volatilité des cours est sans précédent, alors que l’UE multiplie les accords de libre-échange sans être capable d’imposer des clauses miroir à la hauteur des exigences européennes en matière d’environnement ou de bien-être animal, alors que les autres puissances agro-exportatrices comme les Etats-Unis, déploient un soutien sans limite à leurs agriculteurs, l’Europe s’entête à financer des aides inefficaces dans un contexte de baisse budgétaire. Elle exige en parallèle des efforts supplémentaires en termes d’environnement et de bien-être animal, non rémunérés, sans protéger ses agriculteurs du défaut de compétitivité qu’elle leur impose ni donner à ses consommateurs les moyens de s’offrir cette alimentation plus vertueuse, mais plus chère que celle issue d’importations moins-disantes sur le plan environnemental.
La difficulté des Européens à soutenir de façon appropriée leur secteur agricole peut en partie s’expliquer par le fait que la société n’estime plus nécessaire de dépenser autant d’argent pour une catégorie si faible de la population et qui vise à un maintien artificiel de la compétitivité pour pouvoir continuer à exporter. Le consommateur n’a plus conscience des coûts de production et du vrai prix de son alimentation. La période inflationniste actuelle tend à rendre inabordables les produits de qualité et contraint les consommateurs à réorienter leurs choix en matière d’alimentation, vers des produits plus bas de gamme, importés, issus de modèles agricoles qu’ils refusent sur le sol européen.
Cette montée en gamme, accentuée par les objectifs des différentes feuilles de routes liées à la stratégie Farm to Fork (réduction des produits phytosanitaires, des engrais, augmentation des surfaces en bio, en éléments non productifs) ne peut avoir lieu sans une réduction de la production et une augmentation du prix des denrées alimentaires liée à l’augmentation induite du coût de production. Mais on commence à observer que le consommateur n’a pas la capacité de payer le prix de l’alimentation réclamée par le citoyen, puisqu’aucune politique d’accompagnement de la consommation n’est mise en œuvre pour financer la transition agroécologique.
La situation actuelle exige un revirement important du soutien accordé au titre de l’aide alimentaire, pour venir à une population victime des effets de la crise Covid et de l’inflation galopante, et faire face à l’aggravation de la pauvreté et de l’insécurité alimentaire en Europe. L’Union Européenne doit retrouver ses racines, et réintégrer l’aide alimentaire au sein de la PAC, en y affectant le budget nécessaire.
Il s’agit de donner l’occasion à l’Union Européenne de se ressouder en adoptant à nouveau un projet politique commun, apte à réconcilier société civile et agriculteurs, à permettre une stabilisation des revenus et des prix, de la ferme à la table. Cette nouvelle convergence en matière de stratégie agricole doit intégrer les politiques alimentaires et perpétuer l’objectif d’une transition agroécologique soutenable et durable.
Pour cela trois éléments doivent être réunis :
- Changer les principes d’allocations des soutiens communautaires en réduisant la part des aides découplées et en introduisant des outils de régulation comme les aides contracycliques et le stockage stratégique
- Assurer un cadre et des revenus stabilisés aux agriculteurs afin de consolider le niveau de souveraineté alimentaire et leur permettre de prendre le risque du changement de pratiques
- Réorienter la consommation vers les produits issus de cette transition et ouvrir largement, dans cette logique, le champ de l’aide alimentaire comme facteur de transfert social et instrument de soutien à la production agricole et alimentaire.
Pour être relégitimée, la PAC doit devenir une PAAC, une politique agricole et alimentaire commune, et intégrer une approche par filières pour sécuriser le potentiel industriel tout en favorisant une aide alimentaire aux plus démunis. Elle doit être réorientée vers les besoins intra-européens, centrée sur la gestion de l’offre et de la demande et mobiliser des outils d’intervention puissants et efficaces : aides contracycliques, stocks stratégiques, quotas et sécuriser les débouchés vers le marché intérieur, dans ce contexte international chamboulé où les autres puissances s’adaptent.
L’ensemble des mécanismes de régulation que nous proposons de mobiliser visent à limiter la variabilité des prix de vente des agriculteurs et les effets de la volatilité des prix pour l’ensemble de la filière. Ils permettent ainsi de :
- Lisser dans la durée les revenus des agriculteurs
- Maintenir l’offre européenne compétitive face aux importations en période de prix bas grâce au ciblage de l’aide alimentaire sur des produits issus du sol européen
- Contribuer à la régulation des prix mondiaux en proposant des alternatives aux collecteurs (stockage stratégique, biocarburants) aux seuls débouchés du marché extérieur
- Lisser l’offre par rapport aux besoins européens grâce au stockage, à la planification et à la contractualisation au sein des filières
- Pouvoir offrir une alimentation de qualité aux consommateurs européens à prix maîtrisés lors des crises
Et de la sorte de consolider la souveraineté et la sécurité alimentaires de l’Europe.
Cette PAAC sera articulée en trois piliers hérités de la PAC et une nouvelle politique : l’aide alimentaire
- Un pilier de gestion de l’offre et de la demande, qui regroupe l’ensemble des dispositifs de régulation, de soutien des prix, l’assurance récolte et les aides couplées ciblées
- Un pilier dédié à la transition environnementale et énergétique, qui regroupe l’aide Qualité Europe qui rémunère les contraintes communes à tous, les aides visant à rémunérer des efforts environnementaux supplémentaires, et les aides couplées pour les zones à handicap naturel
- Un pilier qui vise à financer les investissements pour le futur : dépenses liées à la transmission et l’installation, investissements pour améliorer l’utilisation de la ressource et la compétitivité des entreprises, aide à la recherche variétale.
S’y adjoindra une politique d’aide alimentaire qui sera en soi une nouvelle attribution de la PAAC avec des crédits nouveaux et des dispositifs de cofinancement nationaux et régionaux à définir.
La PAAC aura également à charge de définir une politique de stockage stratégique d’Etat, gérée en concertation sous l’égide européenne, où chaque Etat-Membre aura l’obligation de détenir un niveau de stock minimal en regard à sa consommation, à l’image de ce qui existe déjà pour l’énergie (pétrole et gaz). C’est l’UE qui doit donner le signal en matière de stockage ou de libération des stocks. Les stocks seront propriété de l’Etat-Membre qui en assumera les coûts de constitution et d’entretien. Ceux-ci seront constitués lorsque les prix descendront sous le seuil de régulation publique défini par production, et libérés lorsque les prix dépasseront le seuil de solidarité financière. Ils seront plafonnés à 4% de la production annuelle afin de ne pas générer une explosion de la dépense publique. Toutefois, en cas de surproduction le Conseil des ministres de l’Union européenne pourra décider d’augmenter la part du stockage de crises selon des niveaux et des modalités de financement appropriées.
Le total du budget affecté aux aides découplées était en 2020 de 31,5 milliards (hors paiements jeune agriculteur et régime « petites exploitations »). Notre proposition amène à redistribuer ces fonds de la façon suivante :
Notre projet présente ainsi un surcoût de 5 milliards par rapport à l’enveloppe de la PAC actuelle, réparti entre 1er et 2ème pilier, puisque l’Aide Qualité Europe et l’aide au maintien des cultures en zone intermédiaires relèveront du 2ème pilier. L’enveloppe des crédits destinés aux nouveaux 2ème et 3ème piliers proviendra d’un redéploiement des crédits du second pilier actuel, éventuellement complétés en fonction des efforts d’investissements du pilier trois.
Mais la PAC a d’ores et déjà perdu 12 milliards sur son budget annuel par rapport à 2007, et désormais davantage en raison de l’inflation. Face à une PAC qui n’est plus à la hauteur, les initiatives nationales se multiplient pour venir au secours des agriculteurs, générant des flots d’aides de crise, et de l’argent en partie gaspillé faute de vision stratégique.
Réajuster une trajectoire budgétaire qui pour l’ensemble de l’Europe serait de l’ordre de 5 milliards d’euros ne serait qu’un bien faible rééquilibrage face aux défis que nous avons rappelés et aux impératifs de souveraineté alimentaire qui s’imposent désormais. Faute d’outils adéquats, la Commission n’a pu que dégainer son unique arme, la réserve de crise, mobilisée en 2022 pour la première fois : 500 millions, complétés par des crédits nationaux allant jusqu’à 200% du montant accordé. En 2022, c’est ainsi plus de 4,6 milliards qui ont été fléchés vers le secteur agricole sous forme d’aides d’Etat dans l’UE pour faire face à l’urgence, de façon très disparate et non concertée, en plus des centaines de milliards dépensés pour l’ensemble de l’économie qui concernent partiellement le secteur.
Il apparait donc urgent de donner à la PAC les moyens de ses ambitions, afin de permettre à l’Europe de faire face avec stratégie, anticipation et réactivité aux événements issus des désordres sanitaires, climatiques et géopolitiques mondiaux.
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« L‘impératif de mettre en œuvre une Politique Agricole et Alimentaire Commune (PAAC) »