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Quelles politiques environnementales pour une agriculture à la fois verte et compétitive ?

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Comment les politiques publiques peuvent-elles accompagner le secteur agricole dans sa transition écologique dans le cadre du maintien des échanges internationaux ? Un rapport de l’OCDE[1] récemment publié s’intéresse à la question en passant en revue les instruments utilisés dans les politiques environnementales à travers le monde. Leur efficacité est analysée au regard des objectifs environnementaux poursuivis, mais aussi de leurs « effets secondaires » au niveau international, entre déplacement des sources de pollutions vers les pays moins stricts et perte de compétitivité au profit de ces mêmes pays. Un travail multidimensionnel qui interroge : le verdissement de l’agriculture est-il compatible avec le degré actuel de libéralisation des échanges ?

 

Pas de politique environnementale miracle pour le secteur agricole

Le rapport s’intéresse à l’efficacité des politiques environnementales pour le secteur agricole en se concentrant sur deux thématiques : la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES), qui est l’indicateur le plus souvent utilisé pour identifier les impacts sur l’environnement, et l’impact environnemental des pesticides. Ce choix permet de ne pas se limiter à la problématique du changement climatique à travers les émissions de GES : la question des pesticides permet d’aborder, bien qu’indirectement, les effets des politiques sur d’autres problématiques environnementales comme le maintien de la biodiversité, de la qualité des sols ou encore de la santé. De plus, la combinaison de ces deux thématiques permet de couvrir l’ensemble des productions agricoles, végétales et animales : les pesticides sont principalement utilisés pour les cultures, tandis que les émissions de GES proviennent de l’élevage, mais aussi de la production et de l’utilisation des fertilisants des cultures.

Deux grands types d’instruments politiques sont utilisés pour atteindre les objectifs environnementaux :

Figure 1 : Les différents types d’instruments employés pour faire face aux enjeux environnementaux, source OCDE

  • Les premiers sont ceux qui agissent directement sur leur cible, en cherchant à réduire les émissions de GES ou l’usage et/ou le niveau de toxicité des pesticides. Il s’agit par exemple de la création d’un marché du carbone pour les émissions de GES ou l’interdiction de molécules pour les pesticides.
  • Les seconds sont des instruments indirects. Ils peuvent cibler l’amont de la filière agricole, comme les paiements pour services environnementaux qui rémunèrent les agriculteurs pour leurs efforts, ou les politiques réglementant l’usage des sols. Il existe également des instruments jouant sur l’aval, qui cherchent notamment à encourager une consommation d’aliments plus « vertueux » avec la mise en place d’un étiquetage environnemental, ou le fléchage de la commande publique vers des produits labellisés. Tous ces instruments, en visant un changement de pratiques des acteurs, du producteur au consommateur, peuvent participer à réduire les émissions de GES ou l’impact environnemental lié à l’utilisation des pesticides.

Les auteurs considèrent que l’effet des instruments indirects sur les objectifs environnementaux ciblés est plus incertain, et/ou observable à plus long terme que les instruments directs. Cependant, ces derniers sont plus susceptibles d’avoir des effets secondaires négatifs sur le plan économique mais aussi environnemental, du fait du déplacement des pollutions.

Des risques de fuites de pollution et de perte de compétitivité pour les producteurs

L’efficacité des politiques environnementales peut ainsi être diminuée par les fuites de pollution, autrement dit le déplacement d’une pollution donnée vers des pays appliquant des réglementations moins strictes. Pour les GES, il s’agit du phénomène de « leakage », où la diminution des émissions obtenue par des règlementations spécifiques aboutit à une augmentation des émissions importées et compromet in fine la réduction des émissions au niveau mondial. Par exemple, la Commission Européenne, qui a construit plusieurs scénarios de diminution du cheptel européen dans un objectif de réduction des émissions de GES[2], estime qu’environ 80% des émissions évitées grâce aux différentes stratégies envisagées seraient annulées par l’augmentation d’importations qui génèrent des émissions dans d’autres régions du monde. Un problème dont les décideurs semblent donc informés, en tout cas au niveau européen, sans pour autant remettre en question les stratégies décidées.

Outre les fuites de pollution, qui limitent l’efficacité des instruments par rapport à leurs objectifs environnementaux globaux, des effets secondaires peuvent aussi émerger sur le plan économique : la compétitivité des producteurs du pays peut diminuer, en raison d’une augmentation de leurs charges ou d’une diminution de leur production. Cela peut être le cas si l’utilisation d’un pesticide est interdite pour une culture donnée, mais qu’il n’existe aucune alternative pour remplacer ce produit à coût économique et rendement équivalent.

Pour réduire le risque de fuite, différentes mesures peuvent être employées pour compenser les différences de réglementation entre les pays :

  • Elles peuvent être issue d’une négociation, comme l’adoption d’un cadre commun comme l’accord de Paris ratifié suite à la COP21 en 2015, ou l’introduction de clauses spécifiques dans les accords de libre-échange.
  • Ou imposées de façon unilatérale, comme l’a récemment fait l’Union Européenne avec ses réglementations sur la mise en place d’une taxe carbone aux frontières, ou le règlement en cours de ratification sur la déforestation importée. Mais sans adhésion volontaire à ces mesures, celles-ci sont jugées moins efficaces pour empêcher les risques de fuites (les contrôles sont limités), et plus susceptibles d’entrainer des conflits avec les partenaires commerciaux, à l’image des clauses miroirs, comme nous l’avions développé dans cet article repris dans le rapport de l’OCDE.

Si l’UE est plutôt orientée vers les approches unilatérales, elle multiplie également les accords de libre-échange, sans pour autant y inclure de clauses environnementales contraignantes, ce qui interroge sur sa capacité à limiter les fuites. Alors qu’il a été démontré que la dernière PAC n’a pas eu d’effet sur la réduction des émissions de GES, atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050 en Europe semble d’autant plus improbable.

Les instruments indirects, plus efficaces sur le long terme

Les instruments indirects, considérés comme moins efficaces par les auteurs pour atteindre les objectifs environnementaux, ont cependant l’avantage d’être moins sujets aux fuites de pollution et de compétitivité, voire avoir un effet positif sur cette dernière. C’est le cas des investissements dans la R&D, qui peuvent atténuer les effets négatifs des pesticides via l’agriculture de précision ou l’innovation agronomique tout en réduisant les charges des agriculteurs. Mais on ne peut pas compter que sur le progrès technique : il faut aussi accompagner les agriculteurs dans le changement de pratiques pour améliorer leur performance environnementale. Des paiements type PSE (paiements pour services environnementaux) peuvent les y aider en compensant les pertes de revenu ou de rendement induites par l’adoption de nouvelles pratiques, ce qui présente l’avantage de limiter la perte de compétitivité, donc les fuites.  Par ailleurs, ce sont des programmes dans lesquels les agriculteurs s’engagent volontairement. Ils sont donc susceptibles de rencontrer davantage d’adhésion que des mesures contraignantes comme la taxation des GES ou l’interdiction d’un produit, mais leur efficacité dépend de l’engagement des agriculteurs.

Il est donc indispensable de les associer à d’autres instruments pour un impact significatif et à grande échelle : par exemple, des instruments ciblant la demande, qui nous paraissent particulièrement pertinents dans le sens où ils permettent d’impliquer les consommateurs dans la réduction de l’impact environnemental de leur alimentation, ou ceux mis en place par le secteur privé, comme les systèmes de classification des activités de la finance « verte », qui peuvent encourager les industries agroalimentaires à réorienter leurs approvisionnements vers des produits plus respectueux de l’environnement. C’est d’ailleurs la stratégie retenue par les Etats-Unis : l’Inflation Reduction Act, une loi adoptée par le Congrès américain le 16 août 2022, vise à lutter contre le changement climatique tout en réindustrialisant le pays. Une stratégie qui va coûter au pays près de 40 milliards par an pendant 10 ans, qui conditionne le soutien à la consommation (sous forme de crédits d’impôts) à des clauses de contenu local, attirant les décisions d’investissement sur le sol américain[3].

Un effet ambigu des aides à l’agriculture

La majeure partie des instruments indirects présentés dans le rapport nous parait pertinente, mais l’inclusion du retrait des aides à l’agriculture potentiellement néfastes pour l’environnement, (qui comprennent le soutien des prix, les aides couplées à la production et aux intrants) nous pose question. En effet, l’impact négatif de ces aides provient du fait qu’en soutenant la production, elles entrainent mécaniquement une augmentation de la consommation d’intrants – pesticides et intrants azotés notamment – donc une augmentation des GES et des impacts des pesticides, tout en n’encourageant pas les agriculteurs à améliorer leur compétitivité. Nous avions déjà souligné les failles d’un tel raisonnement à travers l’exemple de la Nouvelle-Zélande, qui, après avoir supprimé ses soutiens aux producteurs, a fortement amélioré sa productivité pour rester compétitif… au détriment de l’environnement. Les auteurs du rapport finissent d’ailleurs eux-mêmes par nuancer leurs observations, en concluant que le retrait des aides peut aboutir à déplacer uniquement le problème en entrainant des fuites de pollution qui compensent la baisse des émissions nationales.

Conclusion

Pour espérer un vrai changement de trajectoire à l’échelle mondiale, la coopération entre Etats sera indispensable. Si le partage des ambitions semble acquis, la répartition des efforts à mettre en œuvre et le niveau d’effort requis continue à générer des crispations. Or, considérant d’une part la difficulté de l’UE à se mettre d’accord en interne sur un même niveau d’exigences environnementales au travers des écorégimes ou des BCAE, et d’autre part l’enlisement des négociations au sein de l’OMC depuis 2001, la création d’un cadre multilatéral des échanges rénovés, intégrant des mesures environnementales contraignantes communes, relève de l’utopie. Restent donc les mesures imposées unilatéralement et les clauses négociées dans les accords de libre-échange. Sur les premières, l’accueil et l’application du règlement sur la déforestation importée sera pour l’UE un crash test sur sa capacité à imposer des règles de large portée de façon unilatérale, et sur les secondes, on ne peut pour l’heure que constater avec regret que les premiers accords de « nouvelle génération » n’ont pas su imposer d’engagement contraignant. Les perspectives directement liées au commerce semblent donc restreintes.

Le rapport de l’OCDE apporte néanmoins des pistes de réflexion, qui pourraient amener vers la conception de « politiques combinées » à objectifs environnementaux. Celles-ci doivent considérer l’impact global de la mise en œuvre des différentes mesures, et associer les instruments directs, pour plus d’efficacité à court terme, et indirects, pour limiter les « dommages collatéraux » en termes de compétitivité et impliquer l’ensemble des acteurs, du monde agricole au citoyen, dans la réalisation de ces objectifs. Les études d’impacts ont donc toute leur place dans la réflexion et doivent permettre de donner un aperçu des mesures compensatoires nécessaires à mettre en œuvre pour ne pas compromettre l’efficacité des instruments directs. Considérant la difficulté de l’UE à fournir des études d’impact pour le Green Deal ou la révision de l’utilisation des pesticides, un changement profond sera donc nécessaire dans la conception des politiques européennes.

Alessandra Kirsch, Directrice des études d’Agriculture Stratégies 

Lore-Elène Jan, consultante Agriculture Stratégies

Le 23 mai 2023

 

[1] https://www.oecd-ilibrary.org/docserver/99d917ab-en.pdf?expires=1681741831&id=id&accname=guest&checksum=898B66FFF75605480AFA2856796A93F1

[2] https://agriculture.ec.europa.eu/system/files/2023-04/agricultural-outlook-2022-report_en_0.pdf

[3] Voir l’excellent article d’Alexandre Mirlicourtois, directeur de la conjoncture et de la prévision chez Xerfi sur le sujet : https://www.xerficanal.com/economie/emission/Alexandre-Mirlicourtois-L-offensive-industrielle-americaine-destabilise-la-competitivite-europeenne_3751611.html

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