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Les aides contracycliques américaines, plus efficaces que les prix planchers ?

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Alors que le débat sur les prix planchers patine, l’exemple américain mérite d’être étudié. Les Etats-Unis ont abandonné depuis 2014 les aides découplées au profit d’un système qui combine des assurances récolte et des aides contracycliques, qui visent à garantir le chiffre d’affaires et agriculteurs et même la marge des éleveurs laitiers, dans une logique de recherche d’efficacité des soutiens publics.

A l’heure où les réflexions s’ouvrent sur la PAC post 2027, ces mécanismes qui permettent de protéger les agriculteurs des effets de la volatilité des marchés pourraient être une source d’inspiration utile à l’Union Européenne.

Les aides découplées, créées pour faciliter les échanges internationaux

L’évolution de la forme des soutiens agricoles est totalement liée aux accords de commerce internationaux, qui se déroulent par cycles. Pour permettre de définir un cadre multilatéral, des règles communes, qui régissent les échanges commerciaux internationaux entre les différents pays, chacun devait faire des concessions lors de ces cycles de négociation.

Le cycle de l’Uruguay (Uruguay round), est la première de ces négociations qui a inclus l’agriculture dans les accords du GATT en 1993, créant les fameuses boites orange, bleu et verte, impliquant un plafonnement des soutiens accordés à l’agriculture, et des différences de traitement selon le niveau de développement des pays.

C’est à cette période que le concept de paiements découplés a fait son apparition : découpler les soutiens agricoles sur une base historique, déconnecter les aides des volumes et des prix produits devait permettre de rendre le commerce plus équitable et cesser de perturber les signaux du marché.

Les Etats-Unis, moteurs du multilatéralisme, ont été les premiers à adopter les paiements découplés (Production Flexibility Contracts) en 1996. Au sein de l’UE, la transformation du système s’est faite en deux étapes, passant du soutien des prix aux aides couplées en 1992 (réforme Mc Sharry) puis aux aides découplées, décidées en 2003 et appliquées en 2006. Là encore, le calendrier ne doit rien au hasard : cette mise en conformité de la PAC aux exigences de l’époque étaient liées à l’ouverture d’un nouveau cycle de négociations, celui de Doha, débuté en 2001 au sein de l’OMC qui avait pris la suite du GATT.

Problème : le cycle de Doha, qui devait initialement durer 3 ans et permettre une libéralisation accrue des échanges, n’a au final jamais abouti. Le multilatéralisme espéré s’est transformé en une multiplication des accords bilatéraux, impliquant deux partenaires commerciaux, plutôt que cette plateforme d’échanges multiples rêvée par les libéraux.

Face à cet échec et aux critiques récurrentes sur les paiements découplés, accusés de constituer une rente indue aux agriculteurs et de faire gonfler le prix des terres agricoles, les Etats-Unis ont fait preuve de leur pragmatisme habituel et ont tourné la page du découplage en 2014. Pendant que l’UE continue à espérer donner seule le bon exemple au sein d’une OMC au point mort, outre-Atlantique, l’approche vis-à-vis du soutien agricole s’est radicalement transformée : fin des aides fixes, place à la gestion des risques.

Les aides contracycliques, à contre-courant des prix de marché

Le principe des aides contracycliques est simple : quand les prix de marché descendent, on distribue des subventions pour compenser la baisse des prix et garantir que l’agriculteur touchera un prix minimum pour sa production. L’agriculteur touche alors le prix payé pour sa marchandise par son acheteur, et l’aide contracyclique si les prix sont bas. En période de prix haut, l’agriculteur ne touche que le prix de marché et ne reçoit pas d’aide.

Alors qu’en Europe les subventions sont fixes, accordées indépendamment des prix des marchandises produites ou des revenus des agriculteurs, la logique américaine est radicalement différente : il s’agit de soutenir et de garantir le chiffre d’affaires des agriculteurs. Les Etats-Unis ont développé plusieurs programmes d’aides contracycliques, qui s’articulent avec un système d’assurance-récolte. Ces programmes peuvent porter uniquement sur les prix, mais aussi sur une combinaison prix/rendement et même sur une marge.

Pour les céréaliers, chaque année avant le 15 mars, les farmers ont ainsi le choix de souscrire gratuitement à l’ARC (Agricultural Risk Coverage) ou au PLC (Price Loss Coverage).

Comme nous l’expliquions dans cet article détaillé :

  • Le programme de couverture des prix, le PLC est un programme de soutien des prix qui déclenche des paiements si le prix moyen de la campagne de commercialisation est inférieur au prix de référence du produit.

Si le prix de marché descend sous l’effective reference price, les paiements contracycliques sont déclenchés : on verse à l’agriculteur la différence entre le prix de marché de l’année et l’effective reference price, multiplié par 85% de ses surfaces historiques et ses rendements individuels historiques.

  • Le programme de couverture des risques (l’ARC) est une aide contracyclique qui a des points communs avec l’assurance récolte, et qui vise à couvrir la perte de chiffre d’affaires (combinaison prix/rendement) lorsque celui-ci tombe sous un niveau de référence basé sur une moyenne mobile.

L’ARC se base sur des références régionales, à l’échelle du Comté, et fonctionne indépendamment pour chaque culture. Elle se déclenche si le chiffre d’affaires du Comté chute en dessous de 86% du chiffre d’affaires de référence, qui correspond à la moyenne olympique sur 5 ans du prix de marché multiplié par la moyenne olympique sur 5 ans des rendements du Comté.
Le paiement est plafonné à 10% du chiffre d’affaires de référence, multiplié par les surfaces historiques. Avec ce programme, si le Comté perd moins de 14 % de son chiffre d’affaires de référence, l’agriculteur ne touche rien. Si le Comté en perd 24 %, l’agriculteur touche 10 % du CA du Comté, rapporté à 85% de sa surface de référence. Si le CA du Comté baisse de 34 %, le farmer n’en touche toujours que 10 % au titre de l’ARC, les pourcentages de perte suivants pouvant être pris en charge par les assurances, s’il en a souscrit. Si l’agriculteur a un bon chiffre d’affaires, mais que celui du Comté est mauvais et passe sous les 86 % de la référence, il obtient quand même les subventions, sur la base de sa surface de référence.

Selon les cultures l’agriculteur choisit entre ARC et PLC.

Le prix de référence constitue le seuil de déclenchement des paiements du programme PLC. Il est fixé par culture pour la période des 5 ans du Farm Bill. Si les prix de marchés augmentent fortement, le prix de référence peut être réhaussé à hauteur de 85% de la moyenne olympique des prix de marché, sans pouvoir dépasser 115% du prix fixé par le Farm Bill.

Pour 2024, les prix de référence du PLC sont les suivants[1] :

Tableau 1 : Prix de référence du PLC, source Farm Doc Daily Illinois, calculs Agriculture Stratégies

Pour l’ARC, le prix de référence est issu d’un calcul différent. Comme évoqué, le déclenchement de l’ARC intervient en fonction d’une combinaison prix/rendement. Pour un rendement équivalent à la moyenne olympique des dernières années du Comté, l’ARC se déclenchera si les prix de marché descendent sous les niveaux suivants :

Tableau 2 : Prix de déclenchement de l’ARC, source Farm Doc Daily Illinois, calculs Agriculture Stratégies

Si les rendements s’écroulent, l’ARC pourra se déclencher même si les prix n’atteignent pas ces seuils, alors que le programme PLC n’interviendra que si les prix descendent sous le prix de référence 2024.

Les agriculteurs américains vont donc faire leur choix, en tenant compte à la fois :

  • Des prévisions de récolte
  • Des différents prix seuils pour chaque culture
  • Des dispositions propres à chaque programme
  • De leur stratégie en matière d’assurance récolte

Il faut en effet avoir en tête que ces dispositifs d’aides contracycliques se cumulent aux assurances-récolte souscrites par les agriculteurs. Chaque année, l’USDA fixe le montant des primes d’assurance à partir de projections sur les prix de marchés, sur les rendements attendus dans les County et selon les différents niveaux de risques encourus. Ces assurances sont subventionnées et peuvent couvrir les pertes individuelles jusqu’à 95% du chiffre d’affaires[2].

Ces différents outils permettent donc aux agriculteurs américains de se garantir un chiffre d’affaires minimum par hectare via les assurances, et de bénéficier d’une couverture supplémentaire gratuite via les programmes d’aides contracycliques.

Limite du système et enseignements pour la future PAC

On peut reprocher à ce système de ne pas s’adapter à l’évolution des coûts de production des agriculteurs. Au lieu de faire évoluer le prix de référence en fonction des prix du marché, il pourrait être possible de le faire évoluer en tenant compte des indicateurs liés aux intrants.

Et c’est d’ailleurs exactement ce que font les Etats-Unis pour les éleveurs laitiers, via le programme du Dairy Margin Coverage, un programme d’aides contracycliques qui assure la couverture d’une marge sur coût alimentaire pour les éleveurs laitiers.

Ce programme offre depuis 2019 aux éleveurs de leur garantir gratuitement une marge de 70 €/ 1 000l, seuls des frais de 100 $/an leurs sont imputés. Et pour la modique somme de 2,60 €/1 000 l, les éleveurs laitiers américains peuvent s’assurer une marge de 165 €/1 000 l pour un volume par exploitation plafonné à 2 270 000 litres[3].

Ainsi, des versements peuvent intervenir même lorsque le prix du lait est élevé si les coûts alimentaires (estimé au niveau national au regard du prix du maïs, de la luzerne et du soja) ont flambé. Le ministère américain réalise chaque mois une estimation du coût alimentaire par litre de lait, le compare au prix du lait moyen, et procède à des versements si le prix du lait ne permet pas de couvrir ce coût + le niveau de marge sélectionné par l’éleveur.

Figure 1 : Illustration du mécanisme de couverture de la marge sur coût alimentaire pour les éleveurs laitiers américains, chiffres USDA, traitement Agriculture Stratégies

Conclusion

Alors que la France comme l’UE s’enlise dans ses réflexions sur la répartition des marges et les conditions d’élaboration d’un prix plancher, les Etats-Unis ont fait le choix de répondre aux défaillances du marché et d’axer leur politique sur la gestion des risques plutôt que de légiférer sur les relations commerciales.

Une stratégie qui permet aux agriculteurs américains d’avoir une visibilité sur les prix, sur leur chiffre d’affaires et même sur leurs marges afin de pouvoir envisager l’avenir et planifier leurs investissements. De quoi faire des envieux sur nos territoires, et alimenter les réflexions sur la prochaine PAC.

 

Alessandra Kirsch, Directrice générale d’Agriculture Stratégies
Le 18 mars 2024

[1] Source :  https://farmdocdaily.illinois.edu/2024/01/first-look-at-plc-and-arc-co-for-2024.html

[2]  Voir les projections de prime pour 2024 https://farmdocdaily.illinois.edu/2024/02/first-look-at-crop-insurance-decisions-for-2024.html

 

[3] https://www.fsa.usda.gov/programs-and-services/dairy-margin-coverage-program/index

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