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Newsletter n°58 : Egalim et la nécessité de jouer collectif

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L’Edito de Jean-Baptiste Moreau, Porte-parole d’Agriculture Stratégies

« Une loi qui réglerait seule le problème de la rémunération des agriculteurs :

une illusion ou légende rurale »

Je vous entends déjà : c’est fort de café de la part du rapporteur de la loi EGALIM 1 qui l’a portée y compris pendant les campagnes 2017.

Et bien justement, je peux le dire d’autant plus légitimement que j’y ai cru sincèrement. Evidemment que cette loi était nécessaire, il fallait donner aux agriculteurs des outils pour les aider dans leurs négociations, mais il est tout aussi clair que cette loi ne peut pas à elle seule faire tout le boulot. Et ce n’est pas un Egalim 4 ou 24 qui règlera quoique ce soit.

Bien sûr, il aurait été beaucoup plus confortable pour les agriculteurs qu’il n’en fut pas ainsi. Une loi peut faire beaucoup de choses (la prise en compte des coûts de production des agriculteurs était indispensable, et il fallait également que ce soit les interprofessions qui déterminent ces indicateurs de coût de production), mais s’il il y a bien une chose qu’elle ne peut pas faire, c’est de changer des mentalités ancrées depuis des dizaines d’années.

Renforcer le pouvoir de négociation des agriculteurs, ça passe par la concentration de l’offre et l’organisation de la mise en marché. La structuration en Association d’Organisations de Producteurs est indispensable. J’ai essayé de pousser cela dans EGALIM 1 mais le pouvoir public et politique ne peut et ne doit pas se substituer aux responsables professionnels et syndicaux. Même si ce n’est pas parfait, EGALIM a mieux fonctionné en filière laitière parce que les producteurs sont tous en OP ou en coop. On vient d’observer deux batailles se jouer entre des mastodontes laitiers et des AOP qui regroupent l’essentiel de leurs fournisseurs, et pour la première fois, c’est les producteurs qui ont gagné.

Si on veut vraiment changer le rapport de force dans les filières, il faut jouer collectif. C’est un impératif que devrait prioritairement intégrer la filière chère à mon cœur qu’est la filière bovin viande, où l’opportunisme est érigé en dogme. Ce n’est pas un hasard si dans cette filière la contractualisation atteint difficilement 20%, alors qu’elle est obligatoire depuis plus de 2 ans.

Je peux d’autant plus légitimement en parler que je fus Président de coopérative, essentiellement bovins et ovins viande pendant 5 ans, et que je défendais déjà cela à l’époque, et j’ai souvent eu l’impression de parler dans le désert ou d’être Don Quichotte se battant contre les moulins à vent. Expliquer à un éleveur bovin viande qu’il doit engager toute sa production dans la coopérative et contractualiser est une véritable gageure : “ah ben non et si le maquignon m’en donne 10 centimes de plus moi je la lui vends et puis d’abord à la coop vous payez mal et vous entretenez des gens à rien foutre et de toute façon ce sont les administratifs qui commandent “.  Si j’avais du mettre 10 centimes dans une tirelire à chaque fois que j’ai entendu cette phrase je serais sans doute aujourd’hui millionnaire. Amis éleveurs, sachez que les administratifs ne commandent jamais, sauf si les professionnels sont trop lâches pour assumer leurs responsabilités. Et je ne connais pas un seul président de coopérative qui ne veuille pas la meilleure rémunération possible pour les animaux de ses adhérents.

Cette vision opportuniste de court terme condamne à brève échéance l’élevage bovin viande tel qu’il existe dans notre pays. Seule une réelle structuration et organisation de l’offre permettra de rééquilibrer le rapport de force et d’assurer une meilleure rémunération des éleveurs. Mais il y a également un travail de long terme à mener sur l’amélioration de la compétitivité des exploitations agricoles (qui semble être un tabou dans certaines filières alors que ça ne devrait pas l’être), l’adéquation entre la production agricole et les attentes des transformateurs pour répondre à la demande, et enfin sur la compétitivité des outils industriels.

Sous peine de disparaitre, il est temps de se réveiller et de mener les vrais combats qui ne sont pas ceux contre les traités de libre échange ou pour les prix planchers, éternels marronniers du syndicalisme et véritable miroir aux alouettes. Se battre pour assurer une meilleure rémunération aux agriculteurs ce n’est pas rejeter la faute à d’autres, mais travailler pour une meilleure organisation et meilleure compétitivité des filières.

 

Jean-Baptiste Moreau, Porte-parole d’Agriculture Stratégies,

 Le 14 mai 2024

 

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