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Européennes et nouvelles mandatures : priorité PAC !

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Les élections à peine terminées, l’heure est aux calculs pour constituer de nouvelles majorités au sein du Parlement Européen. Alors que les sujets agricoles devraient être en première ligne lors de la nouvelle mandature, le nombre de députés qui s’y intéressent de près en France a fortement réduit. Pourtant, au-delà des tractations politiques liées au Green Deal, les réflexions sur la prochaines PAC devraient être propulsées au sommet des priorités européennes, tant les délais sont courts d’ici à 2027 et les enjeux majeurs.

 

Rappels sur le fonctionnement des instances européennes et les échéances à venir

La prochaine date à retenir est celle du 16 juillet 2024, qui sera celle de la première session du nouveau Parlement Européen. Lors de cette séance, le nouveau du Président du Parlement sera élu et les députés se répartiront dans les différentes Commissions, chargées d’amender les textes de loi.

Qui dit nouveau Parlement dit également nouvelle Commission européenne. La deadline suivante est celle du 16 septembre 2024, où le Parlement Européen validera la composition de la nouvelle Commission. C’est le Conseil qui propose des Commissaires et un candidat à la présidence de la Commission, et les députés valident (ou pas) cette candidature.

Rappels sur le rôle du Parlement européen :

Co-législateur, il défini sa position sur les textes européens (PAC, règlements, directives) présentés par la Commission et doit ensuite se mettre d’accord avec le Conseil dans le cadre de trilogues.

Il a la possibilité de rejeter un accord de libre-échange : c’est la Commission qui négocie, le Conseil qui autorise sa signature (à majorité qualifiée pour la partie commerciale), et le Parlement qui l’approuve.

Il émet des avis et des résolutions qui visent à influencer les futurs textes européens à venir.

Les travaux européens ne pourront donc pas reprendre avant fin septembre, alors que le doute plane sur l’avenir du Green Deal et de plusieurs textes européens qui lui sont liés : transports, bien être animal, systèmes alimentaires, étiquetages, NBT, pesticides…

 

Les négociations PAC, déjà en retard

Et au sommet de ces priorités figure la PAC. Alors même que celle-ci a fait l’objet de dérogations dès sa première année d’application en 2023, alors que les BCAE sont presque toutes remises en question depuis le début de l’année, il apparait urgent d’élaborer un nouveau pacte, acceptable, pérenne, et durable, entre l’Union Européenne et ses agriculteurs.

Le chantier est d’une importance capitale, et la route promet d’être longue pour parvenir à un compromis qui soit à même de fixer un cap à l’agriculture de l’Union, et qui puisse répondre aux priorités des citoyens et des agriculteurs.

Or, la dernière PAC, qui a introduit des concertations nationales et des PSN, a généré un allongement inégalé des délais, pour un résultat inégalé lui aussi par son manque d’efficacité et d’adaptation au contexte paysan :

  • Début des réflexions PAC : 2015
  • Propositions législatives : 2018
  • Accord Conseil/Parlement sur l’architecture PAC : 2021
  • Validation PSN : 2022
  • Mise en œuvre : 2023

Il aura donc fallu 4,5 ans entre les propositions législatives et la mise en œuvre de la PAC, et la nouvelle est supposée débuter dans 2,5 ans.

Figure 1 : Les étapes de négociation de la PAC 2023-2027, source Agriculture Stratégies

Money money money

Les attentes vis-à-vis de la nouvelle PAC ne se limiteront pas à une simplification administrative, une révision des écorégimes ou un allègement des BCAE. La future PAC devra parvenir à apporter des réponses à la première préoccupation des agriculteurs : le revenu.

Les aides de la PAC ont représenté, en moyenne sur la période 2010-2018, environ 60% du revenu des exploitations agricoles avec de fortes variations selon les Etats membres :

  • 29 % aux Pays-Bas,
  • 41 % en Espagne,
  • 80 % en France et en Irlande
  • et 89 % en Allemagne.

Le revenu des agriculteurs est donc intimement lié aux aides directes de la PAC, et pourtant, le budget de ces aides décroît à chaque programmation, alors que les contreparties environnementales augmentent.

Figure 2 : Evolution des aides directes du 1er pilier sur les 3 dernières programmations, source Chambre d’Agriculture de Normandie avec adaptations

Depuis 2015, une partie des aides directes du 1er pilier de la PAC est désormais soumise au respect d’exigences environnementales qui s’ajoutent aux BCAE. Le paiement vert, comme l’écorégime, ne sont pas des aides supplémentaires dédiées à l’environnement mais forment une partie de l’enveloppe des aides directes désormais conditionnées au respect d’exigences supplémentaires.

Le budget global de ces aides n’a pas augmenté, il a fortement diminué : en moyenne annuelle, entre la programmation 2007/2013 et aujourd’hui, on constate une baisse de 25% des paiements directs du 1er pilier en euros constants 2018, c’est-à-dire avant même de tenir compte de la forte inflation de ces 3 dernières années.

  2007-2013 2014-2022 2023
Moyenne annuelle des paiements directs du 1er pilier en France en euros constants 2018 8,9 milliards /an 7,1 milliards /an 6,7 milliards / an

Figure 3 : Evolution du montant moyen des paiements directs du 1er pilier de la PAC.  Source CCAN, traitement Agriculture Stratégies

On pourrait argumenter que le nombre d’agriculteurs bénéficiaires de ces aides a diminué, et qu’il peut être considéré comme normal de voir le montant des aides diminuer avec le nombre des bénéficiaires. Néanmoins, les aides PAC n’ont jamais été définies par rapport à un actif, elles ont été mises en place tout d’abord par rapport à des volumes de production, puis rapportées à l’hectare ou aux effectifs animaux. La SAU exploitée reste sensiblement la même, et les charges d’exploitation ont augmenté, pour partie en raison de l’inflation et des intrants, mais aussi et de façon structurelle en raison d’un recours accru au travail salarié ou extérieur, pour compenser la perte de main d’œuvre associée ou familiale.

A l’échelle de l’UE, la perte de budget sur l’ensemble des aides PAC est elle aussi colossale : le budget de la PAC a été rogné de près de 90 milliards en 20 ans, soit une perte moyenne de 4,5 milliards par an en euros constants 2018.

En ce qui concerne la période 2021/2027, le budget a finalement été en partie sauvé grâce au plan de relance, qui a permis de conserver son budget en euros courants. Mais si les négociations à venir prenaient comme base budgétaire le montant décidé dans le cadre du CFP sans même considérer le montant rajouté dans le cadre du plan de relance, le résultat serait catastrophique pour l’agriculture européenne.

 

Fixer les lignes directrices de la PAC avant les propositions législatives

Les négociations sur la PAC entre Parlement Européen et Conseil débuteront sur la base des propositions législatives qui seront formulées par la nouvelle Commission. Une fois cette proposition mise sur la table, la structure générale sera fixée ; les lignes directrices de ce nouveau projet doivent donc être définies en amont.

Le budget de la PAC doit être revu à la hausse, c’est une nécessité, comme en témoigne les montants colossaux dépensés sous forme d’aides d’Etat dépensés ces dernières années pour pallier les carences de la PAC, qui ne font qu’accroître les distorsions de concurrence entre Etats Membres. D’après Euractiv[1], en 2 ans, la Pologne a ainsi près de 4 milliards d’euros d’aides d’Etat (hors PAC donc), l’Italie en a dépensé 2,3 milliards d’euros, la France 1 milliard d’euros, la Roumanie 770 millions d’euros, alors que les dépenses de la Belgique sont quasiment nulles.

Pour espérer mobiliser le budget européen dont elle a besoin pour répondre aux attentes de la société, l’agriculture doit se réinventer et la forme des soutiens doit également s’adapter à ce nouveau contexte.

 

Les deux premières années d’application de cette PAC ont été l’occasion d’apprécier à quel point les aides fixes ne sont plus adaptées à la réalité des marchés d’aujourd’hui : crises successives, perturbations liées aux échanges, au climat, ou aux tensions politiques, l’agriculture a besoin de mesures de gestion du risque. La PAC doit permettre d’aider les agriculteurs à faire face aux risques climatiques, sanitaires et économiques, et elle doit cesser de rajouter du risque juridique et administratif. La PAC doit également permettre aux agriculteurs de faire face au risque que représente l’adoption de nouvelles pratiques agroécologiques, le passage à des systèmes moins sécurisés par la chimie, et ne pas laisser les producteurs assumer seuls les pertes durant ce passage à des systèmes moins maîtrisés.  

Il est temps de revenir aux principes fondateurs de sa création (ceux du Traité de Rome de 1957), à savoir :

  • accroître la productivité de l’agriculture, pour faire face aux tensions sur une ressource en biomasse désormais convoitée pour de multiples usages (à des fins alimentaires, industrielles et énergétiques) dans une perspective de variabilité des rendements ;
  • assurer un niveau de vie équitable à la population agricole ;
  • stabiliser les marchés;
  • garantir la sécurité des approvisionnements;
  • assurer des prix raisonnables aux consommateurs.

 

Conclusion

S’il est illusoire d’espérer suivre l’exemple américain (le Farm Bill fixe les priorités pour l’agriculture, le budget s’adapte ensuite), il serait malgré tout temps de redéfinir la place de l’agriculture au sein du projet communautaire. Le budget PAC représentait 66% du budget européen au début des années 80, pour la période 2014-2020 il n’en représentait plus que 37,8% et sa part est tombée à 31% dans la dernière programmation.

Les ministres de l’agriculture doivent présenter leurs conclusions sur l’avenir de l’agriculture lors d’un Conseil les 24 et 25 juin prochain, où la France brillera par son absence compte tenu des événements nationaux, avec des ministres affaiblis ou indisponibles. Mais ce projet de texte risque de ne contenir qu’une succession d’orientations générales et de vœux pieux, qui se cumulera avec la position des ministres de l’environnement et les résultats du dialogue stratégique en cours avec les parties prenantes.

S’il est du ressort de la Commission de préciser le « comment » atteindre l’objectif, les lignes directrices fixées pour l’agriculture doivent être établies clairement. Disposer d’une alimentation de qualité qui préserve l’environnement a un coût, la transition agroécologique comporte une part de risque, difficilement acceptable dans un environnement économique aussi insécurisé. La PAC doit fixer un cap pour l’agriculture européenne, et lui donner les moyens et les outils pour l’atteindre.

 

Alessandra Kirsch, Directrice générale d’Agriculture Stratégies
Le 12 juin 2024

[1] https://www.euractiv.fr/section/agriculture-alimentation/news/colere-agricole-les-etats-membres-accordent-plusieurs-milliards-deuros-daide-au-secteur-agroalimentaire/

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