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Alors que des coupes franches sont annoncées, le Commissaire européen Hogan vient de présenter ses propositions législatives pour la PAC 2020. Chaque Etat membre devra établir un plan stratégique où il associera différents types d’aides directes, des mesures pour améliorer l’organisation des producteurs dans certaines filières et les mesures habituelles de développement rural. La Commission souhaite que chaque Etat membre précise ses objectifs et définisse un cadre pour suivre la performance de ses choix, mais elle ne s’applique pas à elle-même ces principes et ne propose rien de très concret sur la gestion des crises économiques. En recourant de manière excessive à la subsidiarité, cette proposition acte une renationalisation complète de la PAC, synonyme de renoncement. Aboutissement final de la trajectoire de réformes ouverte dans les années 1990, la Commission propose désormais le plus petit dénominateur commun pour parvenir à un accord avant les élections européennes, en bradant la principale politique communautaire intégrée. Alors que le contexte international est en ébullition et que les certitudes des années 1990 volent en éclat, l’Europe doit, au contraire, entreprendre une véritable réforme en profondeur de sa politique agricole dans le sens proposé par Agriculture Stratégies1.
Le 1er juin dernier, le Commissaire européen à l’Agriculture a dévoilé les projets de règlements pour la PAC 2021/2027. Peu avant, la Commission avait proposé une baisse de plus de 16% en euros constants des ressources de la PAC pour le prochain cadre financier pluriannuel2. Du jamais vu. Le débat sur le contenu de la prochaine PAC s’ouvre ainsi dans un contexte compliqué pour un Commissaire qui aura fort à faire pour convaincre que la réforme proposée ne va pas se traduire par un recul de l’ambition européenne vis-à-vis de la principale politique communautaire intégrée.
Non seulement le budget est en plein déclin (près de 30% entre 2007 et 2027), mais de surcroit on ne voit pas le retour de mesures de régulation de marché pour soulager des revenus agricoles touchés par la crise des marchés internationaux de matières premières agricoles depuis plusieurs années. Il n’en est rien : les bases de la trajectoire engagée au début des années 1990 – découplage des aides, dérégulation et alignement sur les marchés internationaux – ne sont pas remises en cause, et ce alors que tous les grands pays producteurs renforcent leur politique agricole pour limiter leur exposition à des prix internationaux de dumping.
Ce projet se démarque, en outre, des précédents dans lesquels la Commission proposait à chaque fois une démarche de convergence pour limiter les disparités qui ne manquaient pas d’apparaitre dans les choix nationaux d’application. Ce serait même le contraire : tout est fait pour que les Etats membres voient dans cette proposition un cadre suffisamment souple pour que chacun y trouve de quoi s’en satisfaire et qu’il y ait le moins d’aspérités possibles à traiter dans la négociation commune.
Le recours à la subsidiarité atteint ainsi des sommets. On renvoie aux Etats membres la responsabilité de définir des normes d’application qui sont loin de relever du détail (la définition des « vrais agriculteurs » ou la super-conditionnalité environnementale par exemple) et de mettre en cohérence leurs choix en termes d’aides directes, d’organisation des producteurs ou d’instruments du développement rural en formulant leur « plan stratégique ».
1. L’analyse du contenu
La composante « aides directes » des plans stratégiques
Les aides découplées restent au cœur de la PAC. Les aides au revenu de base devraient continuer de constituer la part du lion du budget agricole, même si le plancher de 60% du 1er pilier qui figurait dans les versions de travail a finalement disparu dans la version finale. Toujours appliquées soit via des droits à paiement, soit des aides à l’hectare (dans les nouveaux Etats membres), les Etats membres n’auront pas à faire évoluer leur système de distribution de paiement. Idem pour la convergence interne : les montants d’aides associés à chaque droit à paiement pourront être différenciés selon un zonage (comme c’est déjà le cas au Royaume-Uni) et n’auront à être harmonisés que dans une faible proportion puisqu’en 2026 les plus faibles montants devront être supérieurs à au moins 75% de la moyenne et les plus élevés ne pourront diminuer de plus de 30%.
Le paiement redistributif, apparu lors de la réforme de 2013 (aides aux premiers hectares), devrait cette fois-ci devenir obligatoire. Si cette proposition tend à traduire, là aussi, les limites d’une stricte égalité des aides à l’hectare, on relèvera cependant qu’aucun minimum en termes d’enveloppe, de montant ou de nombre d’hectares n’est précisé. Cela laissera donc l’opportunité aux Etats membres qui le souhaitent de ne pas employer significativement cette mesure.
Dans cette nouvelle proposition, comme dans la précédente, on retrouve également la possibilité pour les Etats membres de dédier au moins 2% de leur enveloppe spécifiquement aux jeunes agriculteurs sous la forme d’aides à l’hectare sans lien avec la production. Et au nom de la simplification administrative, il sera également possible d’octroyer une aide forfaitaire aux petits agriculteurs sur la base de l’ensemble des types d’aides auxquels ils pourraient prétendre.
Enfin, et c’est la seule véritable nouveauté pour ce qui est des aides directes : des aides aux « éco-dispositifs » (« éco-scheme ») prennent place dans la boite à outils de la PAC. Optionnel dans les premières versions, les Etats membres auraient l’obligation de mettre en place des aides pour les agriculteurs qui choisissent de s’engager dans des pratiques bénéfiques pour le climat et l’environnement, à définir dans chaque Etat membre. Mais là encore, il n’est fait référence à aucun minima en termes d’enveloppe. Il est seulement précisé que ces aides devront correspondre à un niveau d’exigence supérieur aux conditionnalités environnementales et porter sur des engagements différents de ceux valables pour les mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC – mesures contractuelles du 2ème pilier). De plus, ces aides à l’hectare devront respecter la règle des « surcoûts et manques à gagner » pour ne pas être considérées comme un moyen détourné de soutenir le revenu, dans le respect des règles agricoles de l’OMC au demeurant totalement dépassées.
Que penser des aides aux « éco-dispositifs » ?
On peut considérer que la Commission a souhaité couper court au verdissement des aides au revenu introduit en 2013 qui ambitionnait d’introduire des contraintes fortes en contrepartie des aides à l’hectare, pour en quelque sorte recoupler les aides à la production de services environnementaux. Mais la difficulté d’établir des critères environnementaux génériques sur la base d’un paiement indifférencié (une aide à l’hectare d’un montant fixe découplée de la production) alors que les modes de production et leurs impacts environnementaux sont très divers auront rendu cette idée caduque, et ce d’autant que les résultats du premier verdissement n’ont pas du tout été à la hauteur3. Plutôt que de cumuler différents objectifs sur un même instrument, la Commission choisit donc de s’en tenir à l’objectif de soutenir le revenu des agriculteurs avec l’aide au revenu de base et d’ajouter, à côté, un nouveau type d’aides pour les services environnementaux.
Mais là aussi, le diable se cache dans les détails et les concepts se heurtent souvent au mur de leur non-applicabilité. Alors que le Commissaire a précédemment mis en avant l’intérêt de basculer d’une logique de moyens vers une logique de résultats, il faut bien admettre qu’il est très compliqué d’établir un lien indiscutable entre des pratiques individuelles à l’échelle d’une ferme et des indicateurs relatifs à l’évolution des grands compartiments de l’environnement. Par exemple l’évolution de la qualité de l’eau d’une rivière dépendra de l’ensemble des actions des acteurs, et pas seulement des agriculteurs, sur le bassin versant.
Aussi, au-delà du concept, l’application de l’« éco-dispositif » n’apparait pas de manière limpide à ce stade. On pouvait imaginer que le stockage du carbone dans le sol qui, lui, est mesurable au niveau individuel, puisse être un exemple d’application de l’éco-dispositif. Mais à y regarder de plus près, la règle des surcoûts et manques à gagner et la diminution du budget de la PAC plaideraient au contraire à mobiliser le marché du carbone comme ressource complémentaire. Au final, l’analyse d’impact qui accompagne les propositions législatives donne une indication sur ce qu’envisage concrètement la Commission en termes d’application de l’éco-dispositif : il s’agit d’une aide au maintien des prairies permanentes. Cette proposition n’est pas sans rappeler la prime à l’herbe ou prime herbagère agro-environnementale, que la Commission ne voyait pas d’un bon œil si bien qu’elle avait été supprimée en 2013. On peut aussi penser que les aides aux « éco-dispositifs » pourront être le véhicule adapté pour les Etats membres qui souhaiteraient faire basculer l’aide au maintien à l’agriculture biologique dans le 1er pilier. Au final, ceux qui voulaient croire en une rupture majeure avec l’introduction de l’ « éco-dispositif » risquent d’être déçus.
Statu quo sur les aides couplées et plafonnement des aides
Alors que les versions de travail auxquelles nous avons pu avoir accès indiquaient parfois une réduction des marges de manœuvre pour les aides couplées, la proposition officielle reprend finalement le compromis de 2013 : les Etats-membres qui avaient utilisé les dérogations pour porter à 15% leur taux d’aides couplées (dont 2% pour les cultures riches en protéines) voire davantage, pourront continuer à le faire dans la limite du pourcentage approuvé par la Commission pour 2018.. Cette stabilité n’est pourtant qu’apparente, car la baisse annoncée du budget de la PAC se traduira forcément par une baisse de l’enveloppe disponible4. Dans ces conditions, on peut se demander ce que la Commission pourra annoncer dans le nouveau ‘plan protéines’ prévu pour les prochaines semaines. On relèvera d’ailleurs que le projet de règlement « Plans stratégiques » reprend dans son article 33, de manière très détaillée, les principales contraintes qu’a accepté l’Europe en 1993 en termes de soutien aux oléo-protéagineux vis-à-vis des Etats-Unis. Plus de 25 ans après, il est pour le moins surprenant que la Commission continue de prendre au pied de la lettre un « Memorandum of Understanding », un temps considéré comme caduc5.
Enfin, comme à chaque proposition de réforme depuis 1992, la Commission envisage d’introduire une dégressivité dans le versement des aides. Hormis le paiement redistributif, obligatoire mais sans plancher, il est ainsi proposé que le montant des aides par exploitation soit réduit au-dessus de 60 000€ et plafonné à un maximum de 100 000€, avec toutefois l’obligation de déduire le coût du travail (salaires et équivalent pour l’emploi familial). D’après les premières analyses sur ces règles, ce plafonnement n’aurait quasiment aucun effet6 et constitue surtout un affichage.
Les « interventions sectorielles »
A côté des aides directes, chaque Etat membre devra intégrer dans son plan stratégique des « interventions sectorielles ». Dans les grandes lignes, il s’agit de poursuivre ce qui se fait dans le secteur des fruits et légumes ou de la viticulture, mais aussi pour l’apiculture, le houblon ou l’huile d’olive, où les producteurs sont incités à s’organiser collectivement en organisations de producteurs (OP) – le plus souvent des coopératives – pour investir en commun et maîtriser leur commercialisation. La nouveauté de cette réforme serait de pouvoir étendre cette logique d’intervention à d’autres secteurs au choix des Etats membres. En France, il ne serait pas absurde que le secteur laitier puisse être concerné compte tenu de ses handicaps organisationnels.
Concrètement, les Etats membres auront à choisir parmi les nombreux types d’instrument que les organisations de producteurs devront intégrer dans le programme opérationnel qu’ils auront à soumettre pour validation, puis à mettre en œuvre pour une durée comprise entre 3 et 7 ans. De la protection des ressources naturelles à la prévention des crises de marché en passant par la R&D et la maitrise de l’offre, les objectifs sont nombreux.
Malheureusement, les moyens ne semblent pas du tout à la hauteur. Le soutien public à ces fonds opérationnels sera égal aux contributions des producteurs, dans la limite de 50% des dépenses réelles et dans la limite de 5% de la valeur commerciale des produits issus des OP, ce qui correspond aux ordres de grandeur actuels pour les fruits et légumes notamment. Mais, le projet de règlement prévoit que seulement 3% de l’enveloppe totale du 1er pilier pourront être consacrés à ces approches sectorielles !
Outre les faibles ressources budgétaires fléchées, on ne peut remarquer que le décalage entre les objectifs et les instruments. S’il est globalement pertinent d’améliorer l’organisation collective des producteurs, en les incitant notamment à maîtriser leur production pour s’ajuster à la demande, les secteurs actuellement concernés par cette logique d’intervention sectorielle sont plutôt peu soumis à la concurrence internationale du fait principalement de la périssabilité des produits ou de stratégies de différenciation. Or en étendant les interventions sectorielles à des commodités soumises aux cours des marchés internationaux, on voit bien que l’articulation entre ces modes de régulation privés et les outils d’intervention publique, existants ou à imaginer, est indispensable. Mais rien ne figure dans la proposition de la Commission.
Gestion des crises : Hogan oublie la clé de voûte de toute politique agricole
C’est là où le bât blesse le plus. On demande aux Etats membres de définir une stratégie de soutien des revenus des agriculteurs, et aux organisations de producteurs de prévenir les crises en développant des régulations privées. Mais la Commission ne fait aucune proposition quant à son rôle en cas de crises de marché. Or, maintenir l’intégrité du marché intérieur européen ne peut relever que du niveau communautaire et doit même être considéré comme un garde-fou à la renationalisation de la PAC. De plus, c’est assez paradoxal que la Commission demande aux Etats membres d’établir des indicateurs et des cibles à atteindre pour faire entrer la PAC dans la logique inspirée du New Public Management, mais ne se l’applique pas à elle-même ! Il y aurait pourtant un intérêt non négligeable à ce que la Commission, dans un dialogue vertueux avec le Conseil et le Parlement, établisse elle-même sa stratégie d’utilisation des outils d’intervention de marché de manière à utiliser les ressources budgétaires à bon escient. Il y a là incontestablement la preuve que la Commission organise le repli vers Etats membres de la principale politique commune.
Ainsi, au chapitre de la gestion de crise, la seule nouveauté est l’extension des possibilités d’utilisation de la réserve de crise, maintenant appelée « réserve agricole » qui apportera un soutien additionnel « avec comme objectif la gestion de marché ou la stabilisation ou en cas de crises affectant la production ou la distribution agricole ». Rappelons-le la réserve de crise voulue par le Commissaire Ciolos lors de la réforme de 2013 n’a, à ce jour, pas été utilisée par son successeur. Dans la nouvelle mouture proposée, la réserve financera les mesures relevant des articles 8 à 21 de l’OCM – qui reste en l’état – (achat public et stockage privé) ainsi que les mesures de crises des articles 219, 220 et 221 qui donnent des latitudes d’action assez larges à la Commission7. Le budget annuel octroyé à la réserve de crise serait d’« au moins 400 millions d’euros en prix courants ». Et surtout, les sommes non engagées devront être reportées d’une année sur l’autre, et donc conservées au sein du fond, sans limitation dans le temps, y compris dès l’année 2020.
La composante « développement rural » des plans stratégiques
Enfin, la troisième composante des plans stratégiques reprend les modes d’intervention habituels du second pilier de la PAC. Les Mesures Agro-Environnementales et Climatiques (MAEC), volontaires et contractuelles, restent inchangées, elles devront bénéficier d’au moins 30% des fonds du second pilier. Le programme de financement de l’action locale, LEADER, devra bénéficier d’au moins 5% des fonds du second pilier. On retrouve également les aides à l’investissement dont le cofinancement pourra être porté jusqu’à hauteur de 75% du coût des investissements. Le plafond des aides à l’installation pour les jeunes agriculteurs est porté à 100 000€. Ces plafonds sont suffisamment élevés pour ne pas contraindre des Etats membres qui seront surtout limités par leur capacité à financer ces mesures compte tenu d’enveloppes nationales en baisse. Ainsi les possibilités de transferts du 1er vers le 2nd pilier sont portées à 15%, tout comme d’ailleurs les possibilités de transferts du 2nd pilier vers le 1er pilier, preuve s’il en est que toutes les configurations sont possibles.
Pour le financement d’outils privés de gestion de risque (assurances et fonds mutuels), on trouve peu de changements par rapport aux dernières modifications apportées par le règlement Omnibus, fin 2017. La couverture doit concerner les pertes de production ou de revenu supérieures à 20% et le taux de soutien public maximum est de 70% des coûts éligibles. Outre qu’ils auront à s’assurer qu’il n’y a pas de surcompensation résultant du croisement avec d’autres dispositifs publics ou privés, les Etats membres auront à charge d’établir les conditions d’éligibilité, de constitution et de gestion des fonds mutuels, ce qui ne sera pas une mince affaire. Au final, comme en 2013, les Etats membres ont la possibilité d’accompagner le développement des assurances et des fonds mutuels, mais il n’y a pas d’éléments nouveaux qui permettraient de croire à un réel développement de ces outils pour les risques de marché qui, rappelons-le, sont d’une efficacité très limitée quand les prix ne fluctuent pas régulièrement autour des coûts de production8.
Enfin, au vu des difficultés autour de la validation par la Commission des programmes français comportant l’indemnité compensatoire de handicap naturel (ICHN) lors de la précédente programmation, la Commission semble vouloir enterrer la hache de guerre puisque contrairement à 2013, elle ne prévoit plus de faire basculer ce soutien dans le 1er pilier. La proposition fait également référence au zonage de l’actuelle programmation, zonage qui est en train d’être stabilisé non sans heurts.
2. L’évaluation d’ensemble
L’examen complet des propositions de la Commission pour la PAC post 2020 met en évidence une stratégie de négociation où il s’agit de proposer le cadre le plus souple possible aux Etats membres pour espérer leur accord rapide, tout en ne cédant rien sur le cœur de la trajectoire à l’œuvre depuis le début des années 1990 : découplage des aides, dérégulation et alignement sur les cours internationaux. Si elle est calibrée pour permettre à un Commissaire de boucler « sa » réforme dans un laps de temps très court avant la fin de mandature (et vraisemblablement l’espoir de postuler à sa propre succession), cette stratégie du « plus petit dénominateur commun » se veut séduisante pour les membres du Conseil européen9.
Alors qu’il a attendu le Traité de Lisbonne pour avoir voix au chapitre sur les sujets agricoles, le Parlement européen serait marginalisé car il n’aura pas de place dans les négociations sur la validation par la Commission des plans stratégiques nationaux. Il en est de même pour les Régions, les Landern, les Autonomias et autres collectivités infra-nationales, qui étaient devenues autorités de gestion du 2nd pilier mais dont le rôle dans la définition des plans stratégiques nationaux n’est pas du tout défini. C’est une autre facette de la « renationalisation » de la PAC, il y aurait recentralisation de la gestion de certains fonds.
Certes, on pourra toujours mettre en avant que les plans stratégiques auront à être validés par la Commission pour contester l’idée d’une renationalisation de la PAC et la perte de son « C ». De plus le suivi de la réalisation des plans via des indicateurs et des valeurs cibles ou encore la possibilité de bénéficier d’un bonus de performance de 5% en cas d’atteinte des objectifs environnementaux et climatiques en 2026 pourraient être les moyens d’une véritable ambition pour cette nouvelle PAC.
Mais comment imaginer que la Commission puisse avoir la possibilité d’éviter un nivellement par le bas des plans stratégiques dans la mesure où elle ne pourra forger sa légitimité politique sur le résultat d’une négociation où tous les sujets qui pouvaient potentiellement fâcher auront été renvoyés à plus tard. De plus, comment tenir une réelle ambition sur le plan environnemental si, par ailleurs, rien n’est fait pour protéger les producteurs européens d’une course à la compétitivité sur des marchés internationaux de dumping où normes environnementales n’est que synonyme de surcoûts ?
Il ne faut donc pas s’y tromper ce projet de réforme recourt de manière si excessive au principe de subsidiarité qu’il en constitue un véritable dévoiement en renvoyant à l’échelon national des responsabilités que les Etats membres ne pourront pas tenir. Faute de volonté d’harmoniser, on est en passe d’institutionnaliser la concurrence réglementaire entre Etats membres et les distorsions associées au sein même du marché commun. Il s’agit d’un pas de plus vers une renationalisation de la principale politique communautaire intégrée, par abdication du pouvoir politique européen qui ne voudrait pas remettre vingt-cinq ans de réforme qui auront conduit à rendre inefficace la PAC.
En réduisant la PAC à sa seule dimension redistributive, la Commission s’est elle-même tendu le piège dans lequel elle est tombée, celui de la perte de confiance dans la capacité des institutions européennes à faire fonctionner ce que les Etats membres souhaitaient mettre en commun en termes de souveraineté alimentaire et de défense du monde agricole. Croire qu’en renonçant à ses responsabilités sur la PAC, la Commission pourra faire mieux sur d’autres enjeux (migration, défense, etc.) est au demeurant totalement illusoire.
Dans ces conditions il est peu probable et absolument pas souhaitable que ce projet de réforme aboutisse avant les élections européennes et le renouvellement de la Commission. Et compte tenu d’un contexte international en ébullition où les certitudes d’un ordre international bâti dans les années 1990 sont en train de voler en éclat, il est temps pour l’Europe d’entreprendre une réforme en profondeur de la PAC qui devra s’affranchir des règles agricoles de l’OMC de 1994. Cette réforme en profondeur dont Agriculture Stratégies vient de définir le contour donnera à l’Europe l’occasion de redéfinir sa position en faveur d’un nouveau multilatéralisme. Comme pour la grande réforme de 1993, c’est de la pression internationale et du constat de l’inefficacité de la politique intérieure que naitra une nouvelle trajectoire de réformes.
Jacques Carles, Président d’Agriculture Stratégies
Frédéric Courleux, Directeur des études d’Agriculture Stratégies
1 Voir notre Note de Référence Stratégique https://www.agriculture-strategies.eu/2018/05/pour-une-reforme-en-profondeur-de-la-pac-dans-un-cadre-multilateral-a-renouveler/
2 Voir le décryptage que nous faisons de cette proposition : https://www.agriculture-strategies.eu/2018/06/les-vrais-chiffres-de-la-baisse-du-budget-de-la-pac-ue27/
3 Pour une analyse complète des rapports de la Cour des comptes à ce sujet : https://www.agriculture-strategies.eu/2018/03/la-cour-des-comptes-europeenne-juge-severement-lefficacite-des-aides-decouplees-et-du-verdissement/
4 Il faut rappeler que 20 pays et l’Ecosse avaient choisi d’utiliser au maximum les aides couplées. Voir : https://www.agriculture-strategies.eu/2018/01/application-de-la-pac-2014-le-retour-en-grace-des-aides-couplees/
5 Par la Commission elle-même notamment en 2011, cf : https://ec.europa.eu/agriculture/sites/agriculture/files/cereals/factsheet-oilseeds-protein-crops_en.pdf
6 Voir l’analyse d’Allan Matthews http://capreform.eu/why-capping-will-be-a-mirage/
7 C’est l’article 219 qui avait été le socle de l’aide à la réduction volontaire de la production laitière mise en place avec succès en 2016.
8 Voir une analyse complète : https://www.agriculture-strategies.eu/2018/01/les-marches-a-terme-et-les-assurances-revenus-ne-sont-pas-des-substituts-aux-regulations-publiques/
9 La France a, pour sa part, déjà annoncé par l’intermédiaire de la Ministre des affaires européennes qu’aucun accord n’était possible sur le budget avant les élections européennes et que les décisions seront reportées à la prochaine mandature http://www.rtl.fr/actu/politique/nathalie-loiseau-est-l-invitee-de-rtl-7793639997