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En prévision de la douzième réunion ministérielle de l’OMC, qui a finalement été reportée à juin 2021 à cause de la crise sanitaire, plusieurs rapports ont été publiés pour contribuer au débat et tenter de relancer des négociations commerciales multilatérales qui continuent d’achopper sur les sujets agricoles. Parmi les plus remarquables, deux retiennent plus particulièrement l’attention dans la mesure où ils proviennent d’experts très au fait des discussions et plutôt en défense du cadre actuel. L’un et l’autre passent en revue les politiques agricoles des principales puissances agricoles, constatent leur renforcement et formulent des propositions pour débloquer les négociations du cycle de Doha ouvert, rappelons-le, en 2001.
Le rapport cosigné par des membres de l’IFPRI (International Food Policy Research Institut) et l’IISD (International Institute for Sustainable Development) dresse un bilan plus que mitigé de la philosophie qui a prévalu lors de la création de l’OMC : les plafonds restent peu contraignants pour les pays développés, les paiements découplées sont critiqués et l’absence de plafonnement par production est jugée négativement. Les rapporteurs établissent ainsi quatre recommandations pour envisager un accord sur une modification des règles :
- Le plafonnement des soutiens à l’agriculture devrait être établi sur la base d’un pourcentage de la valeur globale de la production, et non plus sur des références historiques établis à la fin des années 1980.
- Les pays en développement devraient bénéficier d’un traitement spécial avec, tout de même, une période de mise en conformité plus longue et/ou un plafond initial plus élevé.
- Des limites doivent être établis par produit ou catégories de produits.
- Le soutien accordé par les politiques de stockage ne serait plus comptabilisé pour contrôler le respect des plafonds si l’achat à prix administré sur le marché intérieur est effectué non pas en deçà du prix international mais à un niveau de prix qu’il conviendrait d’arrêter dans les négociations multilatérales.
La dernière de ces propositions semble particulièrement intéressante. En effet, à ce stade, si les dépenses directes pour l’achat de stocks à visée de sécurité alimentaire ne sont pas comptabilisées dans les engagements de réduction des pays en voie de développement, les effets de ces programmes quand ils permettent d’avoir des prix intérieurs supérieurs aux prix internationaux sont, eux, pris en compte. Cette proposition conjointe de l’IFPRI et de l’IISD aurait mérité d’être davantage étayée dans le rapport, mais on peut l’interpréter comme résultant du constat que le prix international peut parfois être un mauvais signal, celui d’une logique de dumping, et qu’il faudrait lui substituer un prix international de référence établi politiquement. On distinguerait alors les situations où un gouvernement cherche seulement à protéger ses producteurs et ses filières contre des prix de dumping, des cas où le soutien par des prix minimums intérieurs est considéré comme excessif au regard notamment des coûts de production des autres pays producteurs.
Le second rapport a été commandité par l’IATRC (International Agricultural Trade Research Consortium) à Lars Brink et David Orden. Il offre une analyse très approfondie des limites actuelles des règles de l’OMC, en laissant une place conséquente à la mesure de soutien de marché et en exposant plusieurs panels attaquant notamment les politiques agricoles de l’Inde et la Chine. Il va donc plus loin sur la question des stocks stabilisateurs à visée de sécurité alimentaire et analyse finement le compromis précaire qu’ont obtenus les Indiens pour défendre leurs politiques.
En termes de proposition, Brink et Orden restent plus en retrait que le rapport susmentionné. Plutôt qu’un prix international de référence établi politiquement, ils proposent de prendre la moyenne des prix à la frontière sur les trois années précédentes à la place des prix de 1986-88 retenus par l’OMC et qui servent toujours au calcul du soutien 30 ans après !
En définitive, la montée en puissance des politiques agricoles, dans un contexte de marché internationaux déprimés, conduit à porter une plus grande attention à la façon dont les politiques de soutien de marché sont comptabilisées au regard des règles de l’OMC. Ceci est d’autant plus vrai que continue de s’éroder la croyance dans l’efficience des marchés internationaux : ils ne sont pas toujours de bons signaux car ils peuvent traduire des situations de déséquilibre, c’est même le cas général et non l’exception.
La crise sanitaire consécutive au Covid-19 a resensibilisé l’opinion et les dirigeants quant à la question des stocks, notamment alimentaires, nécessaires en cas de rupture des chaines d’approvisionnement. Espérons que le débat progresse aussi du côté des spécialistes du commerce international, car, pour la plupart, s’ils reconnaissent les limites des règles actuelles de l’OMC pour comptabiliser les différentes formes de soutien, ils semblent encore loin de prendre toute la mesure de la question de la sécurité alimentaire qui nécessite non seulement des échanges mais aussi des stocks. Ainsi l’on arrivera peut-être à considérer enfin les stocks indiens et chinois, non plus comme un archaïsme poliment toléré, comme l’exprime Brink et Orden, mais comme un modèle à généraliser pour que chaque grand ensemble géographique prenne sa part à la sécurité alimentaire.
La rédaction d’Agriculture Stratégies
Le 8 juillet 2020