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Les semaines de confinement qui viennent de s’écouler ont à nouveau mis en lumière l’extrême précarité dans laquelle vivent les personnes isolées et les familles qui comptent sur l’aide alimentaire, distribuée par un tissu associatif auquel il convient de rendre hommage. Les conséquences économiques et sociales de la pandémie seront certainement fortes et nécessiteront un élan de solidarité supplémentaire pour contenir l’augmentation des besoins.
On ne peut exclure que survienne une catastrophe alimentaire dans les prochains mois et il faut s’y préparer. Au-delà du plan d’urgence pour l’aide alimentaire de 39 millions d’euros débloqué en avril par le gouvernement français, un renforcement significatif des moyens financiers accordés par les pouvoirs publics est nécessaire. Aujourd’hui, près d’un tiers du budget des principales associations est fourni par le Fonds européen d’aide aux plus démunis (FEAD), complété par un cofinancement national minimal de 15 %.
Pour la période 2014-2020, l’effort du budget européen s’est élevé à 3,8 milliards d’euros pour sept ans et pour l’ensemble de l’Union européenne, où l’on estime à 13 millions le nombre de bénéficiaires. Or cela ne représente que 3 % de la population européenne, très en deçà de la population qui vit en dessous du seuil de pauvreté [le taux de risque de pauvreté était de 17 % dans l’Union européenne en 2017, selon Eurostat].
Montant ridiculement faible
Ce montant, si important soit-il pour le fonctionnement des associations, est ridiculement faible au regard des budgets américains en faveur de l’aide alimentaire. Les différents programmes alimentaires fédéraux s’élevaient à un peu plus de 103 milliards de dollars en 2019, en recul sensible depuis leur pic historique de 2014, où 114 milliards avaient été dépensés pour plus de 47 millions de bénéficiaires de l’aide alimentaire (soit 15 % de la population) et 30 millions d’enfants pour les programmes concernant les écoles.
Et ceci sans compter la multiplicité des programmes caritatifs, qui bénéficient de conditions fiscales très avantageuses. Pour faire face à la crise sanitaire, un nouveau programme de 3 milliards de dollars a même été créé. Dénommé « Farmers to Families Food Box », il est spécialement conçu pour mobiliser les invendus dus au confinement et les faire distribuer par les banques alimentaires.
« Il existe aussi aux Etats-Unis des aides sociales fédérales et étatiques. L’aide alimentaire américaine vient en plus »
Dans son plan de relance, qui doit encore être validé par les Etats membres, la Commission européenne a proposé 55 milliards d’euros (sur sept ans), pour répondre à court terme aux conséquences de la crise. Le Fonds social européen (FSE +), qui contient désormais le FEAD, va pouvoir mobiliser ces budgets, et il y a urgence à ce que les Etats membres se saisissent de ces montants pour étendre la politique d’aide alimentaire européenne au-delà du niveau actuel dont on mesure la grande insuffisance en soi comparée aux financements américains.
Il convient, à cet égard, de préciser que l’aide alimentaire américaine n’est pas une forme d’aide sociale comparable aux efforts consentis par les budgets sociaux des Etats membres, RSA ou équivalent, aides au logement, soutiens divers, comme l’accès à l’énergie… Il existe aussi aux Etats-Unis des aides sociales spécifiques fédérales et étatiques qui s’apparentent, par leur destination et leurs montants, aux aides sociales européennes, l’aide alimentaire américaine venant en plus par l’entremise de différents programmes ciblés concernant une part importante de la population.
Capacité d’orientation
Au-delà de l’indispensable augmentation du financement européen, la manière dont sera employé le FEAD doit également être discutée. Si verser des bons d’achat aux personnes démunies a le mérite d’être simple à administrer, la généralisation de cette approche n’est pas acceptable. Elle déstabiliserait les associations, qu’il faut au contraire conforter pour l’ensemble de l’action sociale à laquelle elles donnent accès une fois ouverte la porte d’entrée que constitue l’aide alimentaire.
« Les nombreuses initiatives des collectivités locales démontrent que c’est à l’échelle des territoires que cette intégration doit commencer »
De surcroît, il est indispensable de rebâtir des liens entre la politique sociale alimentaire et l’agriculture. Les Etats-Unis ne font pas exception, bien au contraire. En dehors de l’Union européenne, tous les autres pays disposent d’un cadre global qui permet de traiter conjointement l’alimentation et l’agriculture. A suivre les recettes néolibérales, on veut réduire les politiques européennes au versement d’argent aux consommateurs dans le besoin d’un côté, aux agriculteurs en crise de l’autre. Il convient au contraire de défendre la capacité d’orientation que doivent avoir ces fonds en matière de nutrition et de transition environnementale notamment.
Cette reconnexion nécessite également de revoir le code des marchés publics, afin d’y établir une dérogation pour l’achat de produits alimentaires locaux. Enfin, les nombreuses initiatives des collectivités locales, avant et pendant la crise sanitaire, démontrent que c’est à l’échelle des territoires que cette intégration doit commencer. Recentraliser l’essentiel des mesures du second pilier de la PAC [en faveur du développement rural] au niveau national ne va pas dans ce sens. Ainsi, les contrats pluriannuels à objectifs agroenvironnementaux, dans lesquels s’engagent les agriculteurs pour améliorer leurs pratiques, pourraient aussi être utilisés pour favoriser une offre agricole de qualité destinée à l’aide alimentaire.
C’est à ces conditions seulement que l’on redonnera un sens à ce qui deviendra une politique agricole et alimentaire commune, afin de faire advenir un véritable droit à l’alimentation à l’échelle européenne.
Xavier Emmanuelli est président du Samu Social international et ancien secrétaire d’Etat à l’action humanitaire d’urgence.
Jacques Carles est président du think tank Agriculture Stratégies, et vice-président du Samu Social international.