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Les plans stratégiques nationaux : attentes multiples et gestion alourdie pour un résultat incertain

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Les projets de règlements européens, proposés par la Commission en juin 2018, introduisent une innovation majeure : l’élaboration par chaque État-membre d’un plan stratégique national (PSN) définissant les interventions et les modalités de mise en œuvre de la PAC à l’échelle nationale, couvrant les deux piliers de la PAC. Souvent vue comme une nouvelle étape vers une forme de renationalisation de la PAC, cette nouveauté vient en effet compléter les latitudes déjà offertes par les précédentes réformes. Mais elle permet en outre à la Commission d’avoir un nouveau degré d’influence sur la mise en œuvre de la PAC, indépendamment des trilogues. Cette nouvelle strate de la PAC, qui nécessite en plus de prendre en compte l’avis public sur un sujet déjà complexe, et qui rallonge encore le processus législatif a-t-elle finalement un réel intérêt ?

Les plans stratégiques nationaux, une nouvelle étape de la subsidiarité

Depuis l’instauration du découplage en 2003 et l’agrandissement de l’UE en 2004, la PAC est devenue une habituée de la subsidiarité. Ce principe permet de laisser ouvertes un grand nombre de marges de manœuvre aux Etats-Membres : le niveau de découplage, sa date d’application, le choix des BCAE (bonnes pratiques agro-environnementales), le pourcentage d’enveloppe à mobiliser pour certaines aides (JA, paiement redistributif, ou aides couplées), le taux de convergence des aides, la possibilité de plafonner ou non les aides par exploitations, ou encore le niveau d’aides affecté à chacun des deux piliers, la flexibilité, le cofinancement… La liste devient interminable. Chaque disposition est désormais sujette à compromis et adaptation pour parvenir à contenter 27 Etats Membres aux agricultures diverses dans un calendrier de négociations contraint.

Les négociations prennent davantage de temps, la machinerie administrative peine à suivre et la mise en œuvre de la PAC prend désormais des années de retard à chaque cycle : la PAC 2013 se met en place en 2015, et la PAC 2021 démarrera en 2023. Dans ces conditions, impossible de tirer des leçons de la période précédente pour envisager la suivante ; la proposition législative de la PAC post 2020 est arrivée sur la table en 2018, soit au bout de moins de 3 années de la PAC précédente, et a donc été conceptualisée alors que la PAC 2014-2020 venait à peine d’être validée.

La PAC se targue de vouloir engager les agriculteurs dans de grandes transitions environnementales qui nécessitent de modifier les systèmes d’exploitation sur le long terme, mais ne peut offrir des conditions stables en terme d’incitations économiques et politiques. Alors que le revenu dépend des aides à 93% pour la filière bovins lait, 152% pour la filière ovins/caprins, et 195% pour la filière bovins allaitants[1], les conditions d’attributions et le montant des aides font l’objet de modifications tous les 5 ans. Quand cette incertitude se rajoute à celle des prix de marchés et des aléas climatiques, comment envisager des investissements qui s’amortissent sur 15 ans ?

L’accumulation de ces incertitudes (règlementaires, climatiques, économiques) se fait d’autant plus insupportable que la gestion des crises tarde à devenir une priorité politique. Tandis que la gestion des aléas climatiques est reléguée aux Etats-Membres, et dépendra des PSN et de l’enveloppe budgétaire qui y sera consacrée (les assurances climatiques faisant l’objet de nombreuses critiques en raison de leur coût et de la difficulté à les déclencher), la gestion des crises de marché reste, elle, du ressort de la Commission (hors PSN). Alors que les réformes successives de la PAC ont amené à une dérégulation complète du secteur via l’abandon des quotas et l’instauration des aides découplées, les propositions de nouvelles règles pour la réserve de crise et de régulation de l’offre votées par le Parlement, dont l’ambition reste pourtant modérée, rencontrent encore peu peu d’échos au Conseil. La réforme ignore en effet le contexte actuel des marchés agricoles marqué par la volatilité, et ne prend toujours pas en compte les conséquences de ces fluctuations de prix sur la stratégie productive des exploitations. Or la sécurisation des revenus et des investissements est nécessaire pour assurer la transition agroécologique et consolider une agriculture diversifiée créatrice d’emplois et de richesses. Un agriculteur qui s’engage dans une transition de son système de production a besoin de soutiens publics à plusieurs niveaux : formation, conseil individuel et collectif, soutiens économiques et financiers, gestion des risques. Cela concerne deux niveaux principaux d’intervention : la gestion des crises (de marché, climatique ou sanitaire) et les soutiens aux investissements matériels et immatériels nécessaires à la transition.

Déléguer aux PSN la responsabilité de relier la PAC au Green Deal

Afin de tenter de redonner un cap à la PAC, la Commission lui a donné de grandes orientations via 9 grands objectifs détaillés lors de la publication des propositions législatives, le 1er juin 2018. Entre temps, la nouvelle Commission élue en 2019 a détaillé ses ambitions environnementales au travers du Green Deal, qui précise le rôle attribué à l’agriculture au sein de la stratégie Farm to Fork, et s’articule sur le sujet agricole avec d’autres stratégies, comme celle sur la biodiversité.

La question de la capacité de la future PAC à répondre aux ambitions environnementales du Green Deal et aux objectifs chiffrés annoncés par la stratégie Farm to Fork s’est rapidement posée. Alors que ce Green Deal aurait pu être vu comme une opportunité de réorienter la PAC  et de reprendre le texte depuis la base, la Commission a, elle, estimé que les propositions de 2018 étaient aptes à répondre aux enjeux soulevés, à condition toutefois que les PSN soient suffisamment ambitieux pour permettre d’atteindre ces objectifs[2]. Les trilogues en cours incluent donc désormais les objectifs du Green Deal dans les compromis à trouver, qui doivent déjà concilier les points de vue du Conseil et ceux du Parlement Européen[3]. Sollicités par le Parlement sur cette question, les chercheurs de l’INRAE se sont montrés pour le moins sceptiques[4]. Pour eux, il ne sera pas possible d’atteindre les objectifs du Green Deal sans modifier de façon conséquente la proposition législative initiale, via une conditionnalité renforcée, un fléchage accru des aides vers des actions environnementales, une protection aux frontières et une articulation avec une politique alimentaire digne de ce nom. Pour eux, la façon dont seront conçus les PSN restera en effet déterminante.

La déclinaison nationale via les PSN semble être à la fois une tentative de donner une occasion aux Etats Membres de s’approprier ces nouveaux objectifs de la PAC, et de leur déléguer la responsabilité de l’atteinte des objectifs du Green Deal. Le choix du niveau des objectifs de résultat revient en effet aux Etats Membres, alors même que la définition proposée des indicateurs ou de la méthode de calcul reste floue. Autre point qui contribue à décrédibiliser cette nouvelle forme de gouvernance : tous ces objectifs du Green Deal ou de la stratégie Farm to fork restent non contraignants juridiquement, car non inclus dans les propositions législatives. Autrement dit, l’Etat-Membre ne sera pas sanctionné s’il n’atteint pas ces objectifs.

Heureusement d’ailleurs, car le PSN doit permettre d’atteindre des objectifs devenus multiples, au point que l’exercice laisse dubitatif. La proposition de règlement prévoit que le PSN réponde à 3 objectifs généraux, en établissant une « stratégie nationale structurée autour de neuf objectifs spécifiques et d’un objectif transversal ». La stratégie Farm to Fork y rajoute des objectifs chiffrés (50% de réduction de l’utilisation des pesticides, d’antibiotiques, de pertes de nutriments, 25% de surfaces en bio). La PAC est désormais supposée servir des objectifs de plus en plus diversifiés voire antagonistes, comme assurer un revenu équitable aux agriculteurs et accroître la compétitivitéoù le dumping est la règle, mais aussi protéger l’environnement, agir contre le changement climatique, tout en répondant aux attentes sociétales[5].

A charge pour chaque Etat-membre de trouver comment y parvenir, via l’élaboration d’objectifs de résultats pour arriver à atteindre des objectifs européens. En résumé, on vous pointe du doigt la destination, à vous de trouver la distance que vous êtes capable de parcourir et le chemin à suivre.

Afin d’encourager tout de même l’effort collectif et d’éviter aux Etats-Membre les moins sportifs de se contenter d’un trajet plus court agrémenté de raccourcis, il est prévu que les PSN de chaque État-Membre doivent être approuvés par la Commission européenne. Au vu de l’importance des PSN dans l’application de cette PAC, ce point mérite d’être souligné, car il illustre la volonté de la Commission de peser dans les négociations, et ce même au-delà des trilogues, alors qu’elle n’est pas co-législatrice. Néanmoins, au vu du calendrier (les PSN devront être remis cette année et approuvés au plus tard en 2022), on peut considérer qu’il sera compliqué pour la Commission de refuser un plan pour cause d’objectifs trop peu ambitieux. Dans une tentative désespérée de s’imposer, la Commission a formulé en décembre dernier des « recommandations », qui devront, a-t-elle martelé, être prises en compte par les Etats-Membres lors de l’élaboration de leurs PSN. Cette prise de position unilatérale de la part de la Commission est venue de façon impromptue se greffer aux attentes déjà multiples vis-à-vis de cette future PAC. Mais comme l’analyse très bien Tomàs Garcia Ascarate, ces recommandations interviennent trop tard dans le processus pour être réellement prises en compte, et sont donc d’une utilité assez relative. Pour preuve, elles restent très générales et ne font l’objet d’aucun critère chiffré.

Figure 1 : les étapes de la nouvelle réforme et de sa déclinaison française sous l’influence de la Commission, source Agriculture Stratégies

Le PSN en charge de (ré)concilier les attentes agricoles et civiles

La PAC, qui ne parvenait déjà pas à faire l’unanimité parmi les paysans, opposant régulièrement éleveurs et céréaliers sur la répartition des enveloppes, doit désormais également réaliser une nouvelle performance : celle de contenter le reste de la société civile (ce qui risque de ne pas être une mince affaire). Une obligation afférente à la rédaction du PSN est l’élaboration d’un diagnostic par l’Etat Membre de sa propre situation, vis-à-vis de l’état de son agriculture et des conséquences de la mise en œuvre des PAC antérieures. Ce diagnostic doit également servir à réaliser un état des lieux des besoins du secteur mais également de faire le point sur les attentes des consommateurs. Suite à la diffusion de son diagnostic le 5 février 2020, la France a mis en œuvre la seconde étape obligatoire, à savoir la consultation du public sur l’élaboration du futur PSN, sur la base de ce diagnostic. En raison des circonstances, la consultation s’est faite de façon dématérialisée sur la plateforme ImPactons et au moyen de réunions publiques. Le point de vue citoyen fait ainsi l’objet d’une attention particulière au niveau national, pour la première fois au niveau national depuis la création de la PAC, puisque cette consultation était une obligation inédite du processus législatif.

Le 7 janvier dernier, la plateforme ImPactons a rendu sa copie, incluant 1083 propositions. La Présidente du débat, Chantal Jouanno, a noté la réticence des autorités et des professionnels à inviter le grand public à se saisir du débat, indiquant que celui-ci a particulièrement été marqué par la « défiance » dans un contexte sociétal où les remises en cause finissent par être mal perçues. Comment reprocher aux agriculteurs de craindre les effets de l’opinion publique vis-à-vis de la distribution d’aides vitales pour la survie de leurs entreprises ? Et pour cause. Sans surprise, les attentes citoyennes se concentrent majoritairement sur la protection de l’environnement, et le gouvernement devra y apporter une réponse d’ici le 7 avril. Le risque réside pour l’agriculture française de continuer à se retrouver coincée entre les normes environnementales les plus élevées au monde, des surtranspositions fréquentes et une connexion toujours plus grande avec des prix internationaux de dumping. Les ONG environnementales doivent prendre conscience de cet état de fait et aider l’agriculture à se sortir de cette impasse en plaidant pour que les standards européens s’appliquent également aux importations, au risque sinon que leurs exigences aggravent la situation.  Invitées au même titre que les syndicats agricoles espérons que ces ONG  pourront utiliser les négociations sur la déclinaison française de la PAC au travers du PSN pour se saisir pleinement de cet enjeu.

Alors que les trilogues sont toujours en cours pour parvenir à mettre d’accord Parlement Européen et Conseil des Ministres sur des sujets de base comme l’enveloppe dédiée aux eco-regimes, le plafonnement des aides, le montant des aides découplées, ou encore les règles du paiement redistributif[6], les Etats-Membres doivent tout de même avancer sur la conception de leurs PSN. Manque de visibilité et de recul, objectifs contradictoires, pression des différentes instances, des syndicats, de la société civile… La définition claire d’objectifs de résultats, pourtant promue dans la proposition initiale de la Commission, relève d’une vraie gageure dans un tel contexte.

Alessandra Kirsch, Directrice des études d’Agriculture Stratégies

Le 29 janvier  2021

[1] https://impactons.debatpublic.fr/wp-content/uploads/diagnostic-v2_psn-pac_022020c_compressed.pdf

[2] https://ec.europa.eu/info/sites/info/files/food-farming-fisheries/sustainability_and_natural_resources/documents/analysis-of-links-between-cap-and-green-deal_en.pdf

[3] https://www.euractiv.com/section/agriculture-food/news/agrifood-brief-a-5-column-clover-for-luck-with-cap/?utm_term=Autofeed&utm_medium=social&utm_source=Twitter#Echobox=1611335697

[4] https://www.europarl.europa.eu/thinktank/fr/document.html?reference=IPOL_STU%282020%29629214

[5] https://agriculture.gouv.fr/pac-post-2020-quest-ce-que-le-plan-strategique-national

[6] Pour un récapitulatif des divergences qui opposent le Parlement Européen et le Conseil des ministres suite aux votes d’octobre 2020, voir la publication de CAPeye https://www.supagro.fr/capeye/pac_post2020/

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