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Loi sur la restauration de la nature, quels impacts pour les agriculteurs ?

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Les discussions au Parlement Européen sur le projet de règlement de restauration de la nature ont davantage été le théâtre de manœuvres politiques que de discussions sur le fond. Dans la perspective des élections de l’année prochaine, chaque camp essaye de marquer des points et de glaner des futurs électeurs, troquant parfois NGT (nouvelles techniques génomiques) contre biodiversité, à l’image des manœuvres indélicates de Frans Timmermans, vice-président de la Commission[1]. Les futurs règlements deviennent donc des totems politiques à défendre, au point qu’on parle davantage de la victoire politique de tel ou tel camp plutôt que des enjeux en cours et de l’impact à venir de ces nouvelles règlementations. Nous vous proposons dans cet article de dépasser tout clivage politique et d’étudier les objectifs et conséquences de ce projet de règlement sur la restauration de la nature pour les agriculteurs.

 

Des règlements pour rendre les objectifs du green Deal juridiquement contraignants

Les différents projets de règlement en discussion (utilisation durable des pesticides, restauration de la nature, gaspillage alimentaire) visent à permettre d’atteindre les ambitions affichées dans le Green Deal et les différentes stratégies (Farm to Fork et Biodiversité notamment). Rappelons-le, les différentes cibles du Green Deal qui concernent l’agriculture sont les suivantes :

  • Neutralité carbone à horizon 2050 et une baisse de 55 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) en 2030 par rapport à 1990 (en 2020 la baisse est établie à -33%). Pour l’agriculture, l’objectif c’est -40 % en 2030 par rapport à 2005 (aujourd’hui la baisse est de -1.7% par rapport à 2005).
  • Consacrer à minima 25 % des terres agricoles à l’agriculture biologique en 2030 (contre moins de 10% en 2020)
  • A horizon 2030 et en prenant la moyenne des années 2015-2017 pour référence :
    • Diviser par deux le recours et le risque liés aux pesticides et à l’usage des antibiotiques pour l’élevage
    • Réduire de 50 % la perte en nutriments des sols à l’horizon 2030 et pour cela réduire de 20 % l’utilisation d’engrais chimiques
  • Réserver 10 % de la surface agricole à des particularités topographiques à haute diversité biologique (incluant, entre autres, les bandes tampons, les terres en jachère rotationnelle ou permanente, les haies, les arbres non productifs, les murs en pierre ou encore les mares).

Les objectifs du Green Deal ne relevaient jusqu’alors que de l’ordre de la communication, et les règlements en discussion ont pour but d’imposer aux Etats-Membres des objectifs juridiquement contraignants, qui pourront être à l’origine de jugements et de sanctions s’ils ne sont pas atteints. A la différence d’une directive, un règlement n’appelle pas de mesures de transposition pour être directement applicable sur le territoire de tous les Etats membres de l’Union européenne. La négociation des dispositions qui y seront contenues est donc particulièrement importante.

L’avis du Parlement fluctuant au gré des vents inflationnistes et politiques

Ces objectifs du Green Deal ont en grande partie été déclinés au travers de la stratégie de l’UE en faveur de la biodiversité dévoilée en 2020[2] et avaient reçu en 2021 un accueil très favorable des députés : dans une résolution de mai 2021, le Parlement européen « exprime son soutien à l’objectif pour 2030 consistant à affecter au moins 25 % des terres agricoles à l’agriculture biologique; affirme que ce chiffre devrait être revu à la hausse à moyen et à long terme; se réjouit particulièrement de l’objectif de 10 % ou plus de terres agricoles constituées d’éléments de paysage à haute diversité […] ; souligne que ces deux objectifs devraient être intégrés à la législation de l’Union, mis en œuvre par chaque État membre et mentionnés dans les plans stratégiques relevant de la politique agricole commune [3]».

Mais 2 ans plus tard, face à une inflation alimentaire qui a largement dépassé les 15% dans l’UE 27 sur tout le second semestre 2022 et le premier trimestre 2023, et dans la perspective des élections législatives de 2024, la donne a malgré tout changé. Dans la proposition de règlement de la Commission dévoilée le 22 juin[4], les fameux 10% d’infrastructures agroécologiques dans la SAU font bien partie des objectifs à atteindre à l’échelle de l’Union[5], mais cet objectif est supprimé dans la version adoptée le 12 juillet dernier par les députés, de même que toutes les contraintes spécifiquement adressées au secteur agricole contenues dans l’article 9 de la proposition originale.

Exit donc l’obligation de faire augmenter le taux d’infrastructure agroécologiques dans la SAU (fixé aujourd’hui à 4% par la PAC), l’indice de papillons de prairies ou des oiseaux agricoles, ou le stock de carbone organique dans les sols cultivés, ou l’exigence de restauration des tourbières drainées. Exit également l’évaluation des plans nationaux de restauration par la Commission, qui, rappelant sans conteste l’évaluation des plans stratégiques nationaux de la PAC, devait viser à s’assurer de la conformité et l’adéquation de ceux-ci avec les objectifs fixés. L’évaluation devient un simple examen qui doit désormais également tenir compte de « l’impact du plan national de restauration en particulier sur la production agricole et forestière, afin de s’assurer qu’il n’occasionne pas une délocalisation de la production en dehors de l’Union ».

Vers une expansion des zones Natura 2000 ?

Pour autant, la quête de la restauration de la nature sera-t-elle sans conséquence sur le secteur agricole ? Sans doute pas. L’ambition principale de ce texte reste de restaurer les écosystèmes dégradés, qu’ils se situent en zone agricole, urbaine, ou forestière.

Dans la version du texte proposée par la Commission, l’article 4 exigeait la mise en place des mesures de restauration nécessaires pour remettre en bon état 30% des surfaces des habitats qui ne le sont pas à horizon 2030, 60% à horizon 2040 et 90% à horizon 2050, et à créer de nouvelles zones d’habitats pour atteindre des superficies d’habitats minimum. Il s’agissait donc d’étendre le zonage Natura 2000 et d’en renforcer la gestion par des mesures plus contraignantes (sur les pesticides ou la gestion de l’azote notamment).

Une idée que les députés ne semblent plus partager pleinement : leur texte restreint la portée des mesures de restauration des habitats, qui s’appliqueront sur les sites Natura 2000 en mauvais état uniquement. La création de nouvelle zone d’habitats reste au programme, mais sera établie dans le respect de chaque plan national de restauration, et ne fait plus référence à des objectifs chiffrés au sein de l’Union.

Dans les faits, le mauvais état des zones Natura 2000 peut déjà donner lieu à un jugement : c’est le cas aux Pays-Bas, où le mauvais état des zones Natura 2000 a donné lieu à la crise de l’azote, mais également en France, où l’Etat a déjà été attaqué avec succès par France Nature Environnement en 2019, pour ne pas avoir interdit l’utilisation de pesticides dans ces zones protégées. Les méthodes pour définir le bon ou le mauvais état de ces zones ne sont pas harmonisées, et si aux Pays-Bas le critère retenu est la mesure des dépôts azotés, en France on étudie leur état tous les 6 ans au travers d’une appréciation systémique, qui prend notamment en compte l’état de conservation des espèces typiques de l’habitat, en recensant leur présence et leurs caractéristiques. Le dernier rapport, de 2019, indique que seuls 20% des habitats sont en bon état, et que la situation se dégrade pour un quart des habitats et des espèces d’intérêt communautaire. En France, les zones Natura 2000 couvrent 12,9 % du territoire hexagonal dont 15 % d’espaces agricoles.

Sur ce point, les députés ne semblent donc pas souhaiter modifier de façon importante la législation existante ; l’extension possible du réseau Natura 2000 pour atteindre une « superficie de référence favorable » de ces habitats reste d’actualité, mais les Etats-Membres seraient alors tenus à une obligation de moyen (mettre en place les mesures nécessaires) et non plus de résultat (« dans le but d’atteindre »).

Le potentiel de production de l’UE sera-t-il impacté par la loi sur la restauration de la nature ? Pour l’heure, impossible donc de répondre à cette question qui dépendra d’une part des autres règlements à venir, qui concerneront l’usage des pesticides, des engrais, et l’agriculture biologique. Concernant la restauration de la nature, parmi les nombreuses limitations et garde-fous souhaités par le Parlement, on ne manquera pas de noter que toute obligation sera reportée lors de l’apparition de circonstances exceptionnelles, comme une éventuelle inflation alimentaire d’au moins 10 % ou une baisse de 5% de la production agricole. Cette loi ne devra pas non plus entraver la construction de logements ou le déploiement de projets d’énergies renouvelables. Enfin, la loi ne s’appliquera que lorsque la Commission aura fourni des données sur les conditions nécessaires pour garantir la sécurité alimentaire à long terme (« il sera applicable à partir de la date à laquelle la Commission aura fourni au Parlement européen et au Conseil des données solides et scientifiques sur les conditions qui sont nécessaires pour garantir la sécurité alimentaire à long terme, de façon à prendre en considération le caractère indispensable des terres arables en agriculture conventionnelle et biologique ainsi que les incidences de la restauration de la nature sur la production alimentaire, les disponibilités alimentaires et les prix des denrées » et que les pays de l’UE auront quantifié la superficie à restaurer pour atteindre les objectifs de restauration pour chaque type d’habitat. Mais le texte final n’est pas encore (loin s’en faut) rédigé, puisqu’il devra faire l’objet de compromis durant les trilogues à venir entre Commission, Conseil de l’UE et Parlement. Les assouplissements requis par le Parlement Européen sur l’agriculture pourraient donc ne pas perdurer.

Alessandra Kirsch, Directrice des études d’Agriculture Stratégies
Le 19 juillet 2023

[1] https://www.euractiv.fr/section/agriculture-alimentation/news/pesticides-et-restauration-de-la-nature-frans-timmermans-a-tente-dobtenir-le-soutien-des-eurodeputes/

[2] https://commission.europa.eu/system/files/2020-05/env-20-002_factsheet1-vbo-fr-c.pdf ou https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/qanda_20_886

[3] https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/A-9-2021-0179_FR.pdf

[4] https://www.europarl.europa.eu/RegData/docs_autres_institutions/commission_europeenne/com/2022/0304/COM_COM(2022)0304_FR.pdf

[5] au travers des articles 9, 11 et 14

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