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L’Edito de Jean-Baptiste Moreau, Porte-parole d’Agriculture Stratégies
« Et l’agriculture dans tout ça ? »
Nous sortons d’une phase d’élections assez dense et mouvementée, c’est le moins que l’on puisse dire. Nous n’avons pas eu le temps de nous pencher sur le résultat des élections européennes et leur impact sur les politiques agricoles européennes qu’il a fallu enchainer sur les élections législatives, elles aussi déterminantes pour le secteur agricole.
Nous allons essayer de résumer les conséquences de ces deux élections sur les politiques agricoles – exercice périlleux car nous ne sommes probablement qu’au début de nos surprises.
Moins de connaisseurs de l’agriculture dans les rangs français
Commençons par les élections européennes. Le raz-de-marée du RN sur ces élections au niveau français a eu comme conséquences directes d’éliminer quelques acteurs clés français de la dernière mandature sur les questions agricoles.
Côté groupe centriste, Irène Tolleret ne s’était pas présentée et le faible score de Renew (Renaissance) a fait sortir pour le moment Jérémy Decerle du Parlement européen. Ce parti au centre de l’hémicycle, qui permettait souvent d’obtenir une bascule de majorité dans un sens ou un autre dans la précédente mandature, ne compte plus à proprement parler de spécialiste des questions agricoles, si ce n’est la présidente de Renew Europe Valérie Hayer.
Du côté du PPE (LR), Anne Sander était trop loin sur la liste pour être élue. Benoit Biteau (Verts) a également perdu (il vient de regagner un poste de député de Charente Maritime). Christophe Clergeau a été élu sur la liste PS.
Côté nouveaux arrivants, Celine Imart, agricultrice et ancienne porte-parole d’Intercéréales arrive dans l’hémicycle européen au sein du PPE, et le RN qui envoie le plus fort du bataillon français comptera deux connaisseurs des questions agricoles : Gilles Pennelle, désormais ex-directeur général du RN et conseiller régional de Bretagne et une éleveuse ovine Valérie Deloge, également conseillère régionale de Bourgogne Franche-Comté.
Les élections européennes aboutissent à une perte d’influence française
Le Parlement a donc perdu trois grands spécialistes du monde agricole, qui permettaient à la France d’avoir une influence sur les dossiers européens. Dans la précédente mandature, l’influence française sur les dossiers agricoles s’est notamment traduite par le fait que des députés français ont été nommés rapporteurs ou rapporteur fictifs de dossiers importants : Anne Sander avait ainsi été rapporteure sur le règlement restauration de la nature et en première ligne des négociations sur le renouvellement des générations, les indications géographiques, le financement de la PAC, le règlement sur l’organisation commune des marchés (OCM). Irène Tolleret était investie sur les NBT et les indications géographiques, et Jérémy Decerle était rapporteur sur le bien-être animal et négociateur sur la question du renouvellement des générations. Christophe Clergeau avait pris la suite d’Eric Andrieu, rapporteur sur l’OCM, et s’investissait sur le sujet NBT.
Pour les députés fraîchement élus ou réélus, l’accès à la Commission Agriculture sera déterminant pour leur implication sur les sujets agricoles, Christophe Clergeau ayant d’ores et déjà annoncé qu’il quittait cette commission pour rejoindre celle de l’environnement. Ensuite, le poids du groupe politique auquel ils appartiennent, le poids de la France au sein de ce groupe et leurs propres compétences guideront les responsabilités qui leur seront confiées.
Ainsi, le fait que la Commission Agriculture (historiquement présidée par le PPE) pourrait voir sa présidence attribuée au groupe de droite conservatrice ECR risque de diminuer encore l’influence française dans les politiques agricoles. Rappelons que ledit groupe ECR est dominé par les Italiens du parti de Georgia Meloni, et c’est à ce groupe qu’appartiennent aujourd’hui Marion Maréchal Le Pen et Nicolas Bay.
Au niveau du Conseil, l’influence du Président Macron va faiblir avec les résultats des législatives, puisqu’il ne peut plus se prévaloir d’une majorité au sein de son pays et pourra potentiellement se retrouver en désaccord avec ses ministres sur des questions européennes. Néanmoins l’absence de majorité claire au sein de l’Assemblée nationale va tout de même lui permettre de choisir lui-même le Commissaire européen français.
Quelles orientations à venir pour l’agriculture européenne ?
Globalement au niveau du Parlement, les rapports de force bougent assez peu si ce n’est un recul des écologistes et une influence accrue du PPE, et un groupe d’extrême-droite, comprenant Viktor Orban et présidé par Jordan Bardella, devenu troisième.
Sur les questions environnementales, un double mouvement est à l’œuvre : d’abord cette droitisation risque de ralentir les velléités de normes contraignantes – le rejet du texte sur les produits phytopharmaceutiques étant encore dans toutes les mémoires.
D’un autre côté néanmoins, Ursula von der Leyen, dont la reconduction comme Présidente de la Commission fera l’objet d’un vote en plénière du Parlement européen le 18, aura besoin de quelques voix des Verts pour sécuriser sa majorité, et a déjà fait quelques signes dans leur direction.
Enfin, que vont devenir les accords internationaux dans ce contexte ? Les eurodéputés français européens quels que soient leur groupe y sont plutôt opposés alors que leurs groupes respectifs (et en particulier le PPE) y sont favorables. Là encore, c’est l’incertitude qui domine.
L’Assemblée nationale perd en compétence agricole et aura du mal à s’accorder sur un cap pour l’agriculture
Venons-en à ces législatives. La réduction du nombre des députés en charge des questions agricoles au sein du bloc centriste s’est poursuivie. Exit Frédéric Descrozailles, Pascal Lavergne, Alexis Izard, Anne Laure Babeau. Au sein du groupe Ensemble – ou du moins, des groupes centristes, tant la recomposition semble incertaine à ce jour – il reste donc Nicole Le Peih, Stephane Travert, Sandrine Le Feur, et Thierry Benoit. Marc Fesneau et Agnes Pannier Ruinacher ont été réélus ou élus. Côté nouveau Front Populaire, outre l’arrivée de Benoît Biteau, André Chassaigne, Guillaume Garot, Dominique Potier et Aurélie Trouvé sont réélus. A droite, seul Julien Dive a regagné. A l’extrême droite, Grégoire de Fournas échoue et Christophe Barthès est reconduit.
Si les orientations de politique générale sont aujourd’hui impossibles à déceler, tant les scénarios de coalition semblent nombreux et instables, on peut malgré tout réfléchir aux grandes tendances qui influenceront la politique agricole.
D’abord, l’intérêt des politiques : alors même qu’une grande partie des circonscriptions clés se trouvaient en zones rurales, la campagne n’a pas, et c’est un euphémisme, laissé une grande place aux sujets agricoles. Sujet trop technique pour des programmes faits à la va-vite ? Sujet trop clivant ? Gageons plutôt qu’il s’agit d’un désintérêt des Etats-majors parisiens.
Ensuite, les textes en cours d’examen : si l’examen du projet de loi d’orientation agricole se poursuit au Sénat, il donnera ensuite probablement lieu à la création d’une commission mixte paritaire, composée des représentants des deux chambres qui seront chargés de rédiger un texte de compromis, qui devra être voté par les deux instances. Avec un Parlement aussi remanié, qui présente des visions extrêmement différentes de l’agriculture et des objectifs à assigner au secteur, cette recherche de compromis s’avère complexe. En l’absence d’accord, le Gouvernement peut donner le dernier mot à l’Assemblée qui peut, dans ce cas, reprendre soit le texte voté en CMP, soit le dernier texte voté par elle. Dans tous les cas, le processus législatif s’annonce long, complexe, pour un résultat incertain alors que la profession est toujours dans l’attente d’annonces concrètes aux conséquences immédiates.
En ce qui concerne la loi Egalim, la mission d’information Babault/Izard a pris fin avant d’avoir rendu ses conclusions, mais les grandes lignes ont malgré tout été diffusées dans la presse. Une façon de léguer à la postérité les principaux acquis de la mission pour envisager une prochaine loi ? Qui génère des incertitudes supplémentaires pour les acteurs en vue des prochaines négociations commerciales.
In fine, comment se composera la majorité plurielle que le Président appelle de ses vœux, à quel gouvernement, quel ministre de l’agriculture donnera-t-elle pouvoir ? Sera-t-elle à même de définir une vision de l’agriculture qu’elle assumera de porter ? Il n’est pas certain, à l’heure ou l’agriculture et la souveraineté alimentaire françaises exigeraient une vision de moyen et long terme, que cette assemblée ait une durée de vie au-delà des 12 mois. C’est bien le principal problème de cette configuration pour les sujets agricoles et c’est la raison pour laquelle des think-tanks comme le nôtre sont indispensables : car nous agriculteurs et membres de l’écosystèmes savons que nous ne pouvons plus nous permettre de repousser les réformes. Penser l’agriculture par-dessus et au-delà du tumulte de l’Assemblée sera plus que jamais nécessaire.
Jean-Baptiste Moreau, Porte-parole d’Agriculture Stratégies,
Le 16 juillet 2024
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Note de cadrage – Repenser la création et le partage de la valeur
Cette note de cadrage s’inscrit dans le cadre du projet de réflexion collective d’Agriculture Stratégies sur la thématique de la création et du partage de la valeur. Elle vise à permettre à nos adhérents et contributeurs d’acquérir un niveau de connaissance préalable commun sur le sujet et à faire émerger de premiers questionnements, qui seront traités en groupe de travail. Pour toute précision sur notre fonctionnement collaboratif, voir les éléments présentés sur ce lien.
La note de cadrage complète sera réservée aux participants de nos groupes de travail. Nous vous proposons d’en découvrir ici la première partie, qui présente les mécanismes mobilisés par les lois Egalim pour atteindre leurs objectifs, leurs limites en matière de prise en compte de coûts de production, la notion de prix abusivement bas et la difficulté de définir le coût de la matière première agricole.
La seconde partie de la note portera sur la part de la valeur agricole dans le produit fini, l’encadrement des marges, le cas des grossistes et le fonctionnement des appels d’offre en marque distributeur. Elle fera également le point sur les initiatives existant hors périmètre Egalim dans différentes filières sur le partage de la valeur.