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Conclusions du dialogue stratégique : vers une PAC pour services environnementaux ?

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Le dialogue stratégique sur l’avenir de l’UE a rendu ses recommandations. En matière d’agriculture, l’heure est au changement, afin de rendre le secteur compatible avec les limites planétaires et d’engager une transition qui permette d’ajuster offre et demande, afin de « Faire en sorte que le choix facile soit celui qui est sain et durable ». Des évolutions qui appellent à une révision de la forme des soutiens de la PAC, en s’éloignant d’une distribution des aides à l’hectare, en ciblant les aides au revenu sur « les agriculteurs qui en ont le plus besoin » et en conditionnant une part croissante du budget à des aides sous conditions de résultats environnementaux. Par ailleurs, le consensus obtenu entre les différents acteurs assume la volonté d’orienter les consommateurs vers un régime davantage basé sur les protéines végétales.

Un « consensus conceptuel qui ouvre de nouvelles perspectives pour l’agriculture, l’alimentation et les zones rurales sur le continent »

Le rapport débute en posant un constat clair : la transition vers une agriculture plus compatibles avec les enjeux climatiques et environnementaux dans le respect des limites planétaires nécessite des arbitrages entre différents objectifs qui ne pourront être atteints simultanément.

Le rapport liste ainsi sans être exhaustif les antagonismes qui opposent régulièrement les différentes parties prenantes :

  • Est-il possible d’avoir une agriculture respectueuse de l’environnement qui produise suffisamment pour permettre de réduire les importations, tout en soustrayant des surfaces pour les réserver à la nature et en augmentant en parallèle notre capacité à produire des énergies renouvelables ?
  • Est-ce souhaitable d’intensifier la production agricole sur certaines surfaces pour permettre de réserver d’autres surfaces à la nature ? Ou est-il préférable d’extensifier l’agriculture pour réduire la pression locale sur le milieu en mobilisant davantage de surfaces agricoles ?
  • Faut-il rechercher une souveraineté alimentaire basée sur une autonomie complète ou maintenir voir accroitre le niveau des importations ?
  • Est-il possible de rémunérer équitablement les acteurs de la chaine alimentaire, en incluant les coûts liés à la transition, tout en garantissant des prix raisonnables au consommateur ?

 

Partant du principe qu’une répartition équitable des coûts liés à la transition doit être à la base de la réflexion, le rapport acte qu’il n’existe pas de façon objective et incontestée de trancher entre ces différents objectifs, et qu’il est nécessaire de hiérarchiser les priorités.

L’agriculture est considérée comme d’importance stratégique par les cosignataires du rapport, qui considèrent que l’alimentation doit être reconnue comme « entité critique » (un domaine crucial) dans la législation de chaque Etat-Membre. Pourtant, les recommandations contenues dans le rapport sont de nature à déstabiliser profondément le secteur.

 

« Faire en sorte que le choix facile soit celui qui est sain et durable ».

Pour permettre de « créer des systèmes agroalimentaires socialement responsables, économiquement rentables et durables sur le plan environnemental », le rapport mise sur une adaptation entre offre et demande, au travers de différentes incitations à la consommation de produits « sains et vertueux ». Allègement de taxe, aide alimentaire ciblée, commande publique, éducation, communication, tous les leviers économiques et sociétaux doivent ainsi être activés en ce sens.

Les auteurs insistent ainsi sur le fait que « les vrais coûts de l’alimentation humaine et animale sont cachés et devraient être mieux reflétés par les prix du marché ». En clair, les produits qui ne sont pas suffisamment durables devraient coûter plus cher. Les aliments sains eux, doivent rester accessibles et rémunérer correctement les agriculteurs et les acteurs de la chaine alimentaire, en mobilisant de l’argent public pour cela.

En ce qui concerne l’élevage, le rapport commence par reconnaitre les vertus de l’élevage durable et les aspects positifs qu’il peut apporter à l’environnement, aux paysages et à l’économie. Mais il reste catégorique : les productions animales doivent malgré tout diminuer et leurs émissions de gaz à effet de serre avec. La réduction devra se faire en particulier dans les zones où l’élevage est concentré et génère des pollutions. Une position qui n’est pas sans rappeler la situation des Pays Bas, où le gouvernement vient de débloquer une 3ème vague d’aides pour inciter à la fermeture d’élevages bovins. Le rapport indique que la consommation européenne fléchit d’ores et déjà sur certains produits animaux et qu’on constate un intérêt accru pour les protéines d’origines végétales qu’il faut renforcer. Pour les élevages restants, ceux-ci devront être modernisés, respectueux avant tout de l’environnement et du bien-être animal.

Quid des importations, dans ce contexte de montée en gamme souhaité par le collectif ? Les parties prenantes reconnaissent la nécessité de ne pas introduire dans le marché des produits qui ne respecteraient pas ces normes réhaussées et invitent la Commission à revoir son approche de façon à « mieux reconnaître l’importance stratégique de l’agriculture et des produits alimentaires dans les négociations commerciales ». L’ambition globale est de créer un meilleur alignement entre les importations et les standards européennes, et il est précisé que la Commission devra mener des études d’impact pour évaluer les effets de nouvelles règlementations sur la compétitivité de l’UE et la faisabilité pour les opérateurs à l’intérieur et à l’extérieur de l’UE. Néanmoins, il est dit clairement que les considérations relatives au commerce ne doivent pas entraver la capacité de l’UE à adopter :

1°  des mesures destinées à soutenir la durabilité à long terme de l’agriculture européenne, telles que la reconstruction de la santé des sols et de la biodiversité des terres agricoles

2° des mesures relatives au bien-être animal recommandées par les avis scientifiques produits par l’Autorité européenne de sécurité des aliments.

Alors que les négociations avec le Mercosur viennent de reprendre, le ton est donné quant à la façon dont doivent être hiérarchisées les priorités.

 

Quelles conséquences pour la future PAC ?

Si la création d’un fond de transition indépendant du budget PAC est une bonne nouvelle, celui-ci ne servira qu’au financement des investissements. La réorientation des soutiens PAC historiques semble actée.

Le consensus adopté par les parties prenantes considère que les aides au revenu (paiements découplés) doivent ainsi devenir plus ciblées et concerner les agriculteurs actifs « qui en ont le plus besoin ». Sont ainsi cités les petites exploitations et les exploitations mixtes, les jeunes agriculteurs, les nouveaux entrants et les agriculteurs installés dans les zones soumises à des contraintes naturelles.

Le texte annonce ainsi une approche de soutien au revenu fondé sur la viabilité économique des agriculteurs. Un groupe d’expert devra être mandaté par la Commission pour définir les critères d’accessibilité à cette aide au revenu et définir les mécanismes à mobiliser pour parvenir à un meilleur ciblage comme le paiement redistributif, le plafonnement ou la dégressivité.

Pour « stabiliser le revenu agricole » et rémunérer de façon plus juste les agriculteurs qui produisent des services environnementaux, tout en donnant au contribuable des garanties sur la façon dont est utilisé son argent, « un système de paiements environnementaux ciblés et axés sur les résultats » sera mis en place. Ces « paiements de récompense » devraient être « conditionnés à des résultats quantifiables qui sont mesurés par des indicateurs robustes ».

De tels paiements pour service environnementaux seront réservés aux agriculteurs dont les pratiques iront au-delà des exigences de base de l’UE et visent à atteindre « les plus hautes performances environnementales, climatiques, et en matière de bien-être animal ».

Le texte préconise ainsi un abandon progressif et complet des paiements découplés à l’hectare au profit d’une aide ciblée au revenu pour certains agriculteurs et de paiements pour services environnementaux pour l’ensemble des producteurs. Dès la prochaine PAC, les Etats Membres seront donc appelés à prévoir dans leurs PSN des paiements pour services environnementaux dont le budget, initialement calé sur la part dédiée actuellement aux éco-régimes et aux MAEC (de l’ordre de 32% en moyenne, piliers 1 et 2 compris) sera appelé à augmenter de façon substantielle durant les deux prochaines programmations.

Pour compenser la perte d’aides découplées ainsi préconisées, les agriculteurs n’auront d’autres choix que de mettre en œuvre des pratiques environnementales conditionnées à une obligation de résultat. Un objectif à l’origine poursuivi lors de la mise en place des éco-régimes, qui ont été critiqués parce qu’ils ont été rendus trop accessibles.

 

Vers une nouvelle politique de gestion des crises et du risque

Les transitions menées doivent rendre l’agriculture plus résiliente, plus adaptée aux aléas climatiques et sanitaires, et moins dépendante des intrants. Le rapport préconise une relocalisation des intrants nécessaires à la production, qui devront être produits de façon durable (sans évoquer par exemple l’écart de prix qui pourra exister entre engrais décarbonés et engrais classiques et les répercussions sur la compétitivité de l’agriculteur).

La gestion du risque devra se faire avant tout à l’échelle de la ferme, qui devra s’approprier les outils à sa disposition, tandis que les risques liés au marché seront gérés par des partenariats publics/privés (subventions, assurances, fonds de mutualisation). Un marché unique de l’assurance européen serait ainsi envisagé, pour une meilleure transparence et une meilleure accessibilité pour les agriculteurs.

La réserve de crise sera quant à elle réformée pour devenir un instrument pluriannuel ciblé sur les risques exceptionnels et catastrophiques, dont les versements seront réservés aux agriculteurs qui auront mobilisé des outils de gestion du risque à titre individuel.

Enfin, le rapport ouvre une porte en direction de la constitution de stocks stratégiques pour certaines productions clés, dont la constitution sera soumise à une évaluation d’impact en termes d’efficacité et de risque de perturbation de marché.

 

Conclusion

Ce rapport apporte certaines perspectives positives pour l’agriculture, notamment budgétaires, qui reconnait la nécessité d’apporter les financements nécessaires à la transition et à la restauration de la nature au travers de budgets spécifiques suffisants, indépendants de celui de la PAC. De même, la volonté de s’émanciper d’aides fixes à l’hectare au profit de paiements ciblés de façon plus efficace pour protéger le revenu agricole est intéressante, tout comme le projet d’une réforme de la réserve pour mieux gérer les crises avec un budget pluriannuel. Néanmoins, l’esquisse de cette future PAC a malgré tout de quoi inquiéter. Ce rapport assume en effet de privilégier la protection de l’environnement à la production de denrées alimentaires, ce qui pose question à la fois sur le revenu agricole et sur la souveraineté alimentaire si le rééquilibrage souhaité entre offre et demande ne fonctionne pas et si la mise en place de clauses miroirs et de mesures autonomes (mesures miroirs) fonctionnelles échoue à protéger l’agriculture européenne. En l’état, cette nouvelle PAC ne semble pas pouvoir permettre un accroissement de la compétitivité de la ferme Europe, et n’apporte pas de réelle garantie de protection vis à vis des autres agricultures, alors que les autres grands pays producteurs soutiennent, encadrent et protègent leurs agricultures.

Le projet de réorientation massive des aides PAC vers des paiement pour services environnementaux rappelle fortement la politique agricole mise en place au Royaume-Uni depuis le Brexit, guidée par le principe « argent public pour biens public ». Une mise en place qui a laissé bon nombre d’agriculteurs sur le quai : d’après Agra Presse, « en 2023, sur les 84 000 fermes à avoir bénéficié de paiements directs (pour une enveloppe de 1,384 Mrd de livres sterling), 39 500 avaient souscrit à des programmes environnementaux (pour 572 millions de livres sterling) »[1].

Rappelons que les aides de la PAC représentent, en moyenne sur la période 2010-2018, environ 60% du revenu des exploitations agricoles européennes (80% en France). Toute modification de la répartition de ces aides a donc des conséquences immédiates et majeures sur le revenu et la compétitivité des fermes.

 

Alessandra Kirsch, Directrice générale d’Agriculture Stratégies
Le 11 septembre 2024

[1] https://www.agra.fr/agra-europe/comment-le-royaume-uni-seloigne-de-la-pac?overridden_route_name=entity.node.canonical&base_route_name=entity.node.canonical&page_manager_page=articles&page_manager_page_variant=articles-panels_variant-1&page_manager_page_variant_weight=-98&check_logged_in=1

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