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Retour sur l’année 2024 pour comprendre la lassitude agricole

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Déjà plus d’un an que le secteur agricole attend des réponses. La colère est peut-être moins visible de l’extérieur, moins spectaculaire, car la lassitude prend le dessus. Pourtant, l’année 2024 n’a fait qu’empirer la situation pour les agriculteurs. Après des années trop sèches, ce sont les excès d’eau qui ont pénalisé le secteur, tandis que la sécheresse a perduré de façon très localisée dans les Pyrénées Orientales. Comment s’adapter quand les années atypiques s’enchainent et que les maladies contagieuses se développent sous de nouvelles formes chaque année ? Dans cet article, nous vous proposons une rétrospective de l’année 2024 et des conséquences attendues en termes de revenu agricole. La situation est différente pour chaque filière, certaines faisant face à des problématiques conjoncturelles liées à la météo, aux maladies ou aux marchés, tandis que d’autres sont d’ordre structurelles.

 

2024, l’année des mauvaises récoltes et des maladies animales

La nouvelle n’est pas passée inaperçue : la production 2024 de blé tendre en France est au plus bas depuis 1983, les chiffres avancés annoncent une perte de 25% de blé par rapport à 2023. En cause : des mauvais rendements dus à une météo catastrophique, qui a perturbé les semis et qui a affecté la qualité. Les surfaces semées en céréales à paille se réduisent au profit des oléagineux sur les 3 dernières campagnes (2022, 2023 et 2024), pour des raisons différentes. Les aléas climatiques en premier lieu, qui modifient les assolements prévus, mais également des facteurs liés aux marchés. Avec des charges liées aux intrants qui augmentent, les agriculteurs se tournent vers des cultures plus économiques comme le tournesol, qui ont vu leurs prix de vente augmenter avec celui des huiles.

Ces évolutions entraînent des ajustements logistiques complexes pour les organismes stockeurs, qui ont du faire face à une perturbation des chantiers de récolte, à des coûts de séchage et de tri élevé, et à la nécessité de trouver des marchés rémunérateurs pour l’ensemble des cultures récoltées. Pour les agriculteurs, et notamment les polyculteurs éleveurs, l’année a été particulièrement compliquée : le calendrier agricole a été perturbé, les travaux de fenaison retardés sont tombés au même moment que le début des moissons, avec des possibilités d’intervention très réduites en raison des orages récurrents. Dans une profession où quelques jours font toute la différence en termes de qualité, il a fallu prioriser certains travaux au détriment d’autres.

L’élevage fait également face à deux maladies contagieuses qui génèrent des pertes et limitent les possibilités de mise en marché et d’export : la maladie hémorragique épizootique (MHE), qui touche les bovins depuis l’année dernière, et la fièvre catarrhale ovine, qui touche comme son nom l’indique les ovins mais également les bovins et se développe rapidement cette année, avec l’arrivée de nouveaux sérotypes qui nécessitent d’adapter la stratégie vaccinale. Si l’Etat est intervenu pour indemniser les pertes directes liées aux soins et à la mortalité, soulager les trésoreries, et prendre une partie de la vaccination à sa charge, pour les éleveurs concernés, les pertes se feront sentir dans la durée. Les animaux qui ont été touchés et qui ont survécu deviennent moins productifs, et la reproduction pose problème (pertes de fertilité, avortements). Le retour récent de la fièvre aphteuse en Allemagne, une première depuis 35 ans, fait naître de nouvelles craintes pour les éleveurs français.

Côté viticulture, le rendement a également été impacté par les excès d’eau. Il a fallu traiter davantage pour repousser les maladies fongiques, mais le mildiou, les épisodes de grêle ou de gel tardif ont malgré tout pénalisé les vignes, et la vendange serait en recul de 18% par rapport à l’an dernier et de 11 % à la moyenne 2019- 2023[1]. L’arboriculture a en revanche été plutôt épargnée cette année (la production a été en hausse pour les poires et les cerises, quasiment stable en pommes), à l’exception des abricots, dont la production est estimée en baisse de 35 % par rapport à la récolte abondante de 2023 et de 21 % par rapport à la moyenne de 2019 à 2023[2].

 

Quelles conséquences sur le revenu des producteurs ?

Il est difficile d’anticiper avec précision les conséquences de cette année 2024 compliquée sur le revenu agricole. Les indicateurs qui permettent d’estimer l’évolution des charges comme l’IPAMPA se basent sur des prix de marché (des engrais, des produits phytosanitaires, des semences, du fioul, de l’électricité ou de l’alimentation animale etc) mais ne peuvent prendre en compte l’évolution des pratiques générées par ces aléas climatiques et sanitaires. Les indices qui portent sur les coûts de production peuvent donc être stables ou en baisse (en lien avec les prix des intrants), alors que le revenu agricole est impacté par des charges supplémentaires.

Par exemple en élevage, la pousse de l’herbe a été bonne, mais la qualité nutritionnelle des fourrages n’était pas nécessairement au rendez-vous et a généré des achats en aliments concentré supplémentaire. L’hivernage des bêtes prolongé par un printemps trop humide qui ne permettait pas de sortir les bêtes a épuisé les stocks fourragers et risque là encore de générer des achats supplémentaires. Enfin, si des ensilages et enrubannages de qualité ont pu être réalisés en début d’année, ils ont également engendré des charges en plus par rapport au foin. Néanmoins, les prix de vente des produits animaux (lait, viande bovine, viande porcine) se maintiennent à des niveaux élevés.

Du côté des productions végétales, il a parfois fallu remplacer au printemps des cultures d’hiver qui, victimes d’excès d’eau, ne présentaient aucun potentiel de réussite, par des cultures de printemps, générant des frais de mise en culture supplémentaire. Ces cultures de remplacement présentaient un bon potentiel, mais que les mois de septembre et octobre trop humides ont détérioré. Le salissement des cultures a été particulièrement important cette année, de même que la pression sanitaire (ravageurs/champignons) et a généré davantage de traitements phytosanitaires, pour un rendement et une qualité globalement faibles et dans un contexte de prix mondiaux en baisse.

Après deux années 2021 et 2022 aux résultats exceptionnellement bons, l’année 2023 a été ainsi marquée par l’arrivée d’un effet ciseaux en céréales : les charges sont restées globalement élevées et les prix sortie de ferme ont commencé à baissé. Cet effet sera très marqué en 2024, associé à des rendements faibles et renforcé par les conséquences de la météo sur les pratiques agricoles.

Figure 1 : Ciseau des prix pour les exploitations spécialisées en céréales et oléoprotéagineux. Source : données Agreste, traitement Agriculture Stratégies

Le résultat courant avant impôt (RCAI) par exploitant à temps plein, qui constitue un bon indicateur pour analyser le revenu des agriculteurs après aides perçues et charges payées, a ainsi chuté de 39 % en un an (toute production confondues). L’année 2022 avait été exceptionnelle en termes de revenus, mais la descente est violente, notamment pour le secteur céréalier dont le revenu par exploitant passe de 66 500€ à 12 000€ en 2023 (-82%). Et l’année 2024 sera pire.

Figure 2 : Evolution du revenu courant avant impôt par exploitant, avec et sans aides, pour les exploitations spécialisées en céréales et oléoprotéagineux, en euros constants, source Agriculture Stratégies d’après chiffres RICA

La viticulture, victime de la déconsommation nationale

La consommation de vin diminue en France depuis les années 80, y compris désormais pour les vins sous AOP depuis une période récente. D’après France Agri Mer, 37% des Français ne boivent jamais de vins, et il y a de moins en moins de consommateurs réguliers[3]. Dans un contexte de recul global de la consommation d’alcool où seule la bière progresse, chaque nouvelle génération est moins consommatrice de vin.

Une évolution qui impacte en particulier les vignobles du Sud Ouest et du Bordelais. La production bordelaise s’écoule pour moitié en GMS et pour moitié à l’export, et ses deux débouchés se sont rétractés : depuis 2012, le Bordeaux a accusé la perte d’un tiers des volumes à l’export et de 40% des volumes consommés sur le territoire. En conséquence, les disponibilités en vin Bordelais augmentent alors que la demande diminue, faisant chuter le prix du vrac alors que les coûts de production sont plus élevés qu’auparavant.

Figure 3 : Disponibilités et prix du vrac des vins de Bordeaux (appellation régionale), source France Agri Mer, traitement Agriculture Stratégies

Consciente de cette évolution de la consommation et de la nécessité d’adapter la production, la filière viticole s’est mobilisée pour obtenir des financements pour des plans d’arrachage. L’enveloppe de 120 millions d’euros consentie vise à permettre l’arrachage de 30 000ha (soit 3,75% des 800 000 hectares de vignes recensés en France en 2020), avec un montant pouvant atteindre 4 000 euros par hectare, et s’ajoute au plan d’arrachage sanitaire de 8 000 ha validé en novembre 2023 pour le Bordelais.

Cette campagne d’arrachage permettra-t-elle de parvenir à rééquilibre offre et demande et à faire ainsi remonter les prix ? Quelles conséquences pour la viabilité des caves coopératives qui devront fonctionner avec des volumes réduits ? Par quoi remplacer les vignes arrachées ? Les filières viticoles du Sud Ouest font actuellement face à des interrogations nombreuses dans un contexte anxiogène.

 

Conclusion

L’année 2024 a été compliquée pour un bon nombre d’agriculteurs, et peut être vue comme emblématique des défis à relever pour le monde agricole : elle cumule les effets du changements climatique (excès d’eau ou excès de chaleur et de sècheresse dans la durée), risques sanitaires (pression des maladies végétales et animales), et volatilité des marchés. Il ne s’agit plus de s’adapter au changement, mais de résister à un environnement climatique et économique de plus en plus imprévisible.

A ces incertitudes s’ajoutent également les risques liés à des règlementations européennes mouvantes. Le dialogue stratégique sur l’avenir de l’agriculture européenne mené cet été recommande une profonde mutation des aides PAC, qui doivent devenir plus ciblées et soumises à conditions de résultats environnementaux. L’Europe continue à promouvoir une agriculture toujours plus vertueuse, et estime que les considérations relatives au commerce ne doivent pas entraver sa capacité à adopter des mesures en faveur de la durabilité ou relatives au bien-être animal. De quoi attiser la colère agricole alors que les négociations avec le Mercosur ont été finalisées côté Commission Européenne et que se pose désormais la question de la ratification du traité.

Quelles réponses pourront-être apportées pour faire face à la détresse agricole ? Financer des investissements non productifs et panser des trésoreries en souffrance n’est pas une stratégie de long terme. Réduire les risques (économiques, climatiques, sanitaires) pour sécuriser les revenus agricoles, raisonner en filières pour développer les marchés en cohérence avec la demande en serait une. Nous terminerons en empruntant les mots de Sébastien Abis : « pour investir dans le vert, il faut éviter d’être dans le rouge ».

 Alessandra Kirsch, Directrice générale d’Agriculture Stratégies
Le 16 janvier 2025

[1] https://agreste.agriculture.gouv.fr/agreste-web/download/publication/publie/IraVit24105/2024_105inforapviticulture.pdf

[2] https://www.agreste.agriculture.gouv.fr/agreste-web/download/publication/publie/IraFru2495/2024_95inforapAbricot.pdf

[3] https://www.franceagrimer.fr/content/download/72649/document/SYN_EnquetQuinVin_9eEdition_M12A2023.pdf

 

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