Paris, le 20 février 2018 : La communication de la Commission du 14 février 2018 relative au cadre financier pluriannuel dans la perspective de la réunion informelle des Chefs d’Etat du 23 février est un document qui entérine le désengagement de l’UE en matière de politique agricole, même s’il précise les principes utiles suivants :
- La recherche de la valeur ajoutée européenne dans les choix budgétaires, rappelant ce qui est le fondement de l’Union européenne, la subsidiarité qui établit qu’ « une dépense au niveau européen doit être plus efficace qu’une dépense au niveau national ».
- La flexibilité budgétaire qui doit conduire à « repenser les mécanismes actuels »
- La création d’une réserve de crise beaucoup plus consistante, entre 21 et 28 milliards d’euros pour faire face à des évènements ou investissements imprévus.
- Enfin la mise en place d’un fonds stratégique d’investissement de 500 milliards d’euros voire de 1000 à 2000 milliards.
Ces principes ouvrent pleinement la voie à une refonte de la PAC conforme aux propositions faites par le think-tank Momagri.
A ce stade d’orientations politiques, on ne peut donc qu’être d’accord même si la réflexion sur les ressources n’ouvre pas encore vers une augmentation des ressources suffisantes pour assurer un avenir à la construction européenne.
Mais les simulations et les recommandations de la Commission pour le développement ou le repli des politiques européennes ne sont pas à la hauteur des enjeux.
La Commission part ainsi de l’hypothèse que comme les fonds de cohésion et la PAC représentent 70% des dépenses communautaires, il faut les réduire plus ou moins drastiquement pour doper ou faire émerger d’autres politiques. Or, c’est inverser l’ordre des priorités car avant de définir un budget, il faut savoir à quoi il va servir.
Par ailleurs, les simulations faites dans ce document sont purement arithmétiques et n’illustrent pas des choix politiques réalistes. Un exemple est donné avec le sujet de la protection des frontières. Au-delà des hypothèses de statu quo et de doublement des moyens, il est envisagé une prise en charge de la totalité de la protection aux frontières, ce qui est totalement irréaliste car cela impliquerait l’abandon par les Etats Membres de leur souveraineté.
S’en suivent d’autres propositions de même nature, comme augmenter de 50% ou doubler les programmes de recherche, imaginer un projet de développement conjoint des outils de Défense qui atteindrait 14% des dépenses de Défense des Etats membres…avec des contreparties en termes de réduction des fonds de cohésion de 25% à 35% et de la PAC de 15% à 30%.
Il s’agit d’hypothèses qui ignorent la sous-consommation budgétaire, comme celle des programmes de recherche, qui ne s’interrogent pas sur leur faisabilité, et encore moins sur les priorités à privilégier.
C’est une sorte de catalogue à la Prévert qui démontre l’incapacité de la Commission à proposer des projets de politiques fondatrices d’une relance de l’UE et qui masquent ainsi une absence d’ambition.
Comme si la Commission n’était qu’un syndic de copropriété qui attend patiemment que les 27/28 propriétaires se mettent d’accord. Mais il y a un hic : la Commission a l’initiative législative. On attend d’elle autre chose que d’énoncer des principes et de faire des simulations totalement désincarnées. On attend qu’elle donne un cap qui tienne compte de la réalité du Monde et de l’avenir de l’Europe.
Ainsi pour la Politique Agricole Commune : aucune proposition sur des orientations permettant dans le cadre budgétaire de mieux faire face à la volatilité des marchés ou à l’effondrement des revenus. Rien.
Alors, et Momagri l’a démontré, que l’on peut mettre en œuvre une PAC apportant une meilleure valeur ajoutée budgétaire et répondant parfaitement aux principes qu’énonce la Commission.
Il n’est pas concevable que les Chefs d’Etat puissent réfléchir utilement sur des bases aussi fragiles et orientées.
Mais c’est aussi parce que les Etats Membres n’ont pas été capables de donner un contenu fort à la future réforme de la PAC que ces hypothèses de réduction du budget de la PAC sont faites par la Commission.
Nous demandons au gouvernement français qu’une réflexion soit engagée dès maintenant pour éviter ce nouveau hold-up aveugle que la Commission propose avec un aplomb qui démontre son total désintérêt pour la seule grande politique intégrée au plan européen ; comme si l’avenir dépendait de l’abandon du passé alors que tous les grands pays producteurs de la planète renforcent leur politique agricole.
Le résultat : le risque d’une nouvelle réduction de l’enveloppe budgétaire de la PAC sans révision des modalités de distribution des aides qui permettraient aux agriculteurs européens d’être sur un pied d’égalité avec les agriculteurs américains, canadiens, chinois ….
Monsieur le Président, vous pouvez et devez défendre une PAC stratégique pour la France et pour l’Europe. Les réflexions et les propositions existent. Nous les avons bâties et testées au fil de ces dernières années. Nous comptons sur vous pour défendre une PAC renouvelée dans un cadre budgétaire maintenu.
Vous avez à plusieurs reprises défendu un projet européen nouveau et ambitieux. Il est indispensable que vous affirmiez cette exigence à l’occasion des premières discussions sur le CFP, le 23 février prochain.
Jacques Carles, Président d’Agriculture Stratégies